Accès aux soins

IVG, contraception : dans un désert médical, un Planning familial itinérant

Accès aux soins

par Caroline Peyronel, Emma Conquet

Dans les déserts médicaux, le droit à l’avortement maintenant garanti par la Constitution peut sembler lointain, faute de médecins et d’hôpitaux. Sur le plateau des Millevaches, le Planning familial de Peyrelevade tente de réduire cette inégalité.

C’est une étape historique pour les droits des femmes. Lundi 4 mars, le Parlement français réuni en Congrès a voté l’inscription du droit à l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution. Mais encore faut-il y avoir accès, à l’avortement. Ce qui n’est pas évident partout sur le territoire français.

Dans les zones rurales, il existe très peu de structures d’écoute et de conseils sur l’avortement, la sexualité, le genre, la contraception. Ce manque se creuse avec la fermeture des hôpitaux et maternités, souvent accompagnée de celle des centres de santé sexuelle, où les consultations avec des professionnels de santé, dont des gynécologues, sont gratuites et confidentielles. Les femmes vivant dans des déserts médicaux rencontrent donc de plus en plus de difficultés d’accès à la contraception et à l’avortement. En cas de grossesse non désirée, elles font face à des délais beaucoup plus longs qu’en ville.

Délais plus longs qu’en ville

Alors, l’association du Planning familial prend le relais. Comme à Felletin, dans la Creuse. Là, c’est sur le parking d’un Intermarché qu’une camionnette blanche fournit informations et conseils sur tous ces sujets. Ouverte sur le côté et prolongée d’un auvent, l’installation intrigue Aymeri, 26 ans, les bras chargés de courses : « Le Planning familial », lit-il les yeux plissés vers une banderole. « C’est quoi ça ? »

Deux femmes discutent devant l'auvant ouvert d'une camionnette sur le parking d'un supermaché.
Le stand itinérant du planning s’est installé sur le parking d’un supermarché.
©Caroline Peyronel

Le Planning familial est une association créée dans les années 1960 et active depuis partout en France pour l’accès à la contraception et à l’éducation sexuelle entre autres. Faire connaître les actions de l’association, c’est justement l’objectif de Mara Tschopp, présente ce jour-là sur le parking de l’hypermarché : « Les gens ne savent pas forcément à quoi ça sert, c’est pour ça qu’on se déplace », dit-elle sous l’habitacle du centre de consultation et stand de prévention installé sur roues. 

En 2015, cette conseillère conjugale et formatrice a cofondé l’antenne du Planning familial de Peyrelevade, dans un petit village corrézien d’à peine 800 habitants. C’était alors le tout premier Planning familial du département. Il a depuis été rejoint par celui de Tulle, en 2021. Le Planning familial de Peyrelevade reste le seul du plateau des Millevaches, un grand parc naturel enclavé qui s’étend aussi dans la Creuse et la Haute-Vienne.

« On a voulu créer une association territoriale qui couvre plusieurs départements, car c’est plus ancré que les délimitations administratives, explique Mara Tschopp. On était un groupe d’habitantes et on s’est rendu compte qu’il n’existait pas, sur le plateau, de ressource sur la vie sexuelle ou sur le féminisme. » Il faut parfois rouler longtemps pour atteindre un centre médical et toutes les femmes ne possèdent pas de permis de conduire ou de véhicule. « Ici, ça a n’existe pas les transports en commun », rappelle l’animatrice de Peyrelevade, situé à plus d’une heure en voiture de Limoges (Limousin) ou Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme).

Stocker des contraceptifs d’urgence

L’implantation locale du Planning familial permet de mieux orienter les femmes vers des soignants libéraux ou des structures adaptées aux besoins, et aussi de mieux cerner les problématiques du territoire. Quand elle s’est formée à la maison-mère parisienne du Planning familial, les mises en situation étaient « très urbaines » et « pensées pour la ville », reprend-elle. Le public rural fait face à des problématiques différentes, liées au manque d’anonymat, de mobilité ou encore d’accès à la prévention.

Une femme assise à l'inétreiur d'un stand itinérant disucte avec une visisteuse.
Les animatrices du Planning familial de Peyrelevade sont le plus souvent confrontées à des cas de violences intrafamiliales.
©Caroline Peyronel

Par exemple, sur le plateau des Millevaches, les pharmacies sont moins nombreuses qu’en ville, et avec des amplitudes horaires plus réduites. Pas facile dans ces conditions de se procurer une pilule du lendemain un dimanche. « On ne s’y attendait pas, mais ici on a beaucoup plus de cas de violences que de demandes d’interruption volontaire de grossesse », indique Mara Tschopp.

Des préservatifs en gros plan, une personne passe avec un cadie dans le fond
Dans le camion, préservatifs, flyers d’information et pins sont en libre service.
©Caroline Peyronel

Face à ce constat, le Planning des Millevaches et ses quatre salariées ont établi une liste de « personnes-ressources », chargées de stocker des contraceptifs d’urgence dans plusieurs villages alentour, pour agir rapidement. Le même système est mis en place pour les tests de grossesse. « On en a mis gratuitement et en libre-service dans les WC de tiers-lieux partenaires », comme des cafés associatifs, se félicite la Corrézienne. Cela permet également aux femmes de ne pas affronter le regard parfois jugeant des pharmaciennes ou des médecins, dans des villages où l’anonymat n’existe pas.

Le Planning des Millevaches assure aussi des consultations, des actions de sensibilisation et oriente ensuite vers d’autres professionnels de santé ou des associations selon le motif. Ses salariées mettent à disposition des livres féministes et de la documentation, organisent des ateliers de prévention et interviennent auprès des scolaires. Elles fournissent des préservatifs et contraceptifs d’urgence gratuitement. Mais le Planning ne peut pas prescrire la pilule, car il n’a pas de vocation médicale.

Une femme assise sur un canapé discute avec une autre, vue de trois-quarts.
Marie Tschopp dans les locaux du planning familial, qui offrent un espace de discussion tout en assurant l’anonymat des visiteuses.
©Caroline Peyronel

« Nous vivons sur un petit territoire où tout le monde se croise », reprend Mara Tschopp en finissant d’installer les tracts de prévention, préservatifs, pins et stickers à message, sur un panneau en bois. Justement, sur le parking, un homme de passage remarque qu’il a « déjà vu » l’animatrice. « Elle vit dans mon village », ajoute-t-il. Cette proximité avec la population peut être un atout pour acquérir la confiance des gens, mais également un frein, qui les empêche de se confier, par peur du « qu’en dira-t-on ».

Confidentialité assurée

Pour se parer à d’éventuels malaises dans l’espace public, les animateurices du Planning ont alors élaboré une stratégie. « On annonce un cadre de confidentialité, souligne Mara. Par exemple, si on revoit des personnes rencontrées au Planning en dehors du local, on ne viendra pas leur parler. On ne parle évidemment pas de ce qu’on sait sur les autres à la prochaine fête du village ! » 

Mais pour elle, le problème principal reste l’ignorance de l’existence de ce Planning familial dans la région. C’est pour cette raison qu’en 2021, les éducateurices ont créé un dispositif itinérant. Un utilitaire dépliable stationne dans les cours des établissements scolaires et près des supermarchés pour permettre à la population de venir poser des questions plus facilement.

Des brochues et des livres sur une étagère. Le titre de l'une est "Notre Corps"
Le Planning familial offre un accès libre à une bibliothèque féministe et engagée.
©Caroline Peyronel

Ce soir d’hiver, peu de gens se pressent devant le camion. Maria Tschopp n’est pas étonnée. Selon son expérience, « il faut être patient ». L’année de l’ouverture du Planning à Peyrelevade, elle n’a reçu aucune visite. Marina, 28 ans, passe devant le Planning ambulant, mais ne s’arrête pas. « Je n’en ai pas besoin personnellement », affirme-t-elle.

Pallier l’absence de l’État

Nombreuses sont celles qui n’osent pas franchir le pas. « Ce n’est pas évident de trouver des formes pour que la population se sente concernée, affirme l’éducatrice. Il a fallu quatre ans pour que des personnes viennent régulièrement au local. » Une femme l’interpelle au loin, c’est la gérante de l’Intermarché, Stéphanie Ober. « Vous devriez vous mettre à l’écart du magasin parce que plus ce sera confidentiel, plus il y aura de monde », suggère-t-elle. Pour la responsable du supermarché, faire venir le Planning est un service d’intérêt général : « Comme on est loin de tout, il faut venir à nous. »

Malgré ses actions favorables, le Planning familial de Peyrelevade a vu ses soutiens publics diminuer ces dernières années. « Il faudrait que l’Éducation nationale nous ouvre plus facilement ses portes et qu’on soit davantage soutenu par les pouvoirs publics, à travers des campagnes d’affichage et plus de prévention. »

Emma Conquet

Photo de une : Mara Tschopp a cofondé le planning familial de Peyrelevade/©Caroline Peyronel