C’est une première. Le 14 mars 2024, le comité des ministres du Conseil de l’Europe a exprimé sa « profonde préoccupation » face à l’aggravation de la surpopulation carcérale en France. Et pour cause : les taux d’occupation des prisons ne cessent d’augmenter, et ce, de manière exponentielle. D’après les chiffres du ministère de la Justice publiés fin février, les geôles françaises – métropole et outre-mer – comptaient 61 737 places opérationnelles pour 76 258 détenus, soit une densité carcérale globale de 123,5 %. Il s’agit du nombre de détenus le plus élevé jamais enregistré.
Des maisons d’arrêt surpeuplées
Les détenus sont répartis dans 187 établissements pénitentiaires, caractérisés par une très grande diversité de taille, d’architecture, d’ancienneté et de niveau de sécurité. Ils se divisent en deux grandes catégories : les maisons d’arrêt et les établissements pour peine.
Les maisons d’arrêt accueillent les détenus condamnés à des peines de deux ans maximum et les personnes en attente de jugement – donc présumées innocentes – placées en détention provisoire. Cette mesure, censée être exceptionnelle, est cependant devenue la norme : aujourd’hui, sur l’ensemble des personnes incarcérées, 20 254 sont des prévenus, emprisonnés dans l’attente de leur jugement. Ils représentent ainsi un quart des détenus.
Surtout, ce sont ces prisons qui abritent la majorité de la population carcérale (66,2 %) et sont aussi les plus surpeuplées, avec un taux moyen d’occupation qui frôle les 150 %. Il atteint ou dépasse même 200 % dans seize établissements, à l’image de Majicavo à Mayotte (320,2 %), Bordeaux-Gradignan (228,7 %), Bayonne (196%), Lons-le-Saunier (196,7 %), Tours (200,7 %), Béthune (198,3 %), Chambéry (174,2 %) ou encore Villepinte (179,6 %). En raison de cette surpopulation, et malgré l’ajout de lits superposés, plus de 3000 détenus sont contraints de dormir sur un matelas posé à même le sol, soit 50,2 % de plus qu’il y a un an.
Les autres prisons sont appelées « établissements pour peine » et rassemblent les centres de détention pour les détenus condamnés à une peine supérieure à deux ans (près de 20 000 places), et les maisons centrales pour les détenus condamnés à de longues peines, et comportant un régime de sécurité renforcé (six maisons centrales et sept quartiers, soit 2 227 places). En maison centrale, la densité carcérale atteint 78,4 %, contre 96,7 % en centre de détention.
Rien contre la surpopulation
« C’est pathétique de voir que rien n’est fait pour lutter réellement contre la surpopulation en France »”, déplore Dominique Simonnot, la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté. La principale mesure prise par les gouvernements successifs consiste à construire plus de places de prison. Ainsi, le dernier plan présenté par Emmanuel Macron comme le « programme immobilier pénitentiaire le plus ambitieux depuis 30 ans » prévoit de créer 15 000 places supplémentaires d’ici 2027.
Sur l’ensemble, le ministère de la Justice a tout de même annoncé la construction de 21 structures d’accompagnement vers la sortie (SAS), soit 2000 places. Ces SAS doivent offrir un régime de détention axé sur la réinsertion, pour des personnes condamnées dont le reliquat de peine est égal ou inférieur à deux ans et qui présentent « un risque d’évasion faible ».
« Il faut absolument revenir à des modèles de prisons à taille humaine, à rebours des énormes paquebots de plus de 500 places construits en partenariat public-privé et dont on connaît aujourd’hui le caractère déshumanisant », estime Dominique Simonnot. Régulièrement dénoncées pour leur vétusté, les anciennes prisons avaient l’avantage d’être situées plus proche des centres-villes, favorisant le maintien des liens familiaux, mais aussi l’accès des associations, du corps enseignant et des professionnels du secteur médical.
Augmentation des troubles psychiatriques
Un autre chiffre interpelle. En prison, les personnes atteintes de troubles psychiatriques sont largement surreprésentées comparativement à la population générale. Il y a quinze ans, le Comité de consultation national d’éthique (CCNE) s’alarmait déjà du « déplacement de l’hôpital psychiatrique vers la prison ». Depuis, la situation ne s’est pas améliorée. « On estime à 10 % le nombre de personnes atteintes de troubles mentaux extrêmement graves en détention, et au moins 30 % concernées par des troubles psychiques caractérisés », note la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté.
D’après une étude menée en février 2023 par la Fédération régionale de recherche en psychiatrie et santé mentale des Hauts-de-France, en prison, un homme sur dix et une femme sur six souffrent d’un trouble psychotique, quand ces troubles ne touchent que 1 à 2 % de la population générale. Par ailleurs, la moitié des personnes interrogées est concernée par une addiction, tandis qu’un tiers des hommes et la moitié des femmes présentent des troubles comme la dépression.
S’ils sont nombreux à entrer en prison avec des troubles, le problème d’accès aux soins somatiques et psychiatriques en détention accentue le phénomène. D’autres facteurs sont également à prendre en compte, notamment « l’exposition à des évènements potentiellement traumatiques au cours de la détention », comme le note l’Observatoire international des prisons (OIP). D’après l’association, 11 % des femmes et 19 % des hommes rapportent des violences physiques, 25 % et 19 % des violences psychiques.
Enfin, dans un contexte de surpopulation carcérale, l’accès aux activités et aux parloirs, essentiels au maintien des liens familiaux et identifiés comme des facteurs de protection de la santé mentale, reste très limité. « Il se passe des choses magnifiques en prison, grâce aux enseignants, aux étudiants et aux associations qui viennent donner de leur temps, il y a du théâtre, du sport… Sauf que presque personne n’y accède, car il y a trop de détenus », abonde la contrôleuse générale.
Taux de suicide 7 fois plus élevé
La mission de réinsertion est pourtant inscrite dans les textes et prérogatives de l’administration pénitentiaire, au même titre que la sécurité. Les chiffres donnent là encore un autre éclairage sur la réalité : en France, l’administration embauche près de 30 000 surveillants, contre seulement… 5000 personnels d’insertion et de probation. Pour la sociologue Corinne Rostaing, autrice de Une institution dégradante, la prison (Gallimard, 2021), cela s’explique en partie par un prisme sécuritaire. « Il existe une suspicion d’évasion ou de dangerosité.
On rend les prisons étanches et on applique des mesures de sécurité maximale à la majorité des détenus – pourtant condamnés à 70 % pour des délits [un cambriolage, une escroquerie, une agression sexuelle ou un homicide involontaire sont considérés comme des délits ; un meurtre ou un viol comme des crimes, ndlr]. Or il existe plus de tentatives de suicide que d’évasions », analyse la chercheuse. Derrière les murs, le taux de suicide est en effet six à sept fois plus élevé qu’à l’extérieur.
Margot Hemmerich
Photo : Une cellule du centre pénitentiaire de Toulouse - Seysses, lors de la visite parlementaire du député de la Nupes/LFI Christophe Bex qui vient vérifier si les recommandations de la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté concernant Seysses en 2021 ont été suivies. © Art Core Ben / Hans Lucas