Déplacements officiels

Enquête sur les jets de la République : notre méthodologie

Déplacements officiels

par Pierre Jequier-Zalc

Basta! a suivi l’usage qui était fait des jets de la République par le président de la République et le gouvernement depuis le début de l’année 2022. Voici, en toute transparence, notre méthodologie.

Pour réaliser cette enquête sur les jets de la République, nous avons retracé l’historique des voyages effectués par les sept avions de l’escadron ET 60 via le site en open source ADSB Exchange. Pour ce faire, nous avons récupéré les immatriculations de ces avions – des informations disponibles sur Internet – et nous avons recensé systématiquement leurs vols depuis le 1er janvier 2022.

Voici les immatriculations suivies : F-RAFA, F-RAFB, F-RAFC, F-RAFD, F-RAFP, F-RAFQ et F-RARF

Depuis cette date, nous avons ainsi répertorié plus d’un millier de vols effectués par ces avions. Mais cet escadron ayant d’autres fonctions (militaire, transport médical, entraînement…) que le transport du président de la République ou d’un membre du gouvernement, nous avons ensuite cherché à isoler les vols qui ont servi dans le cadre d’un déplacement présidentiel ou ministériel.

Dans ce but, nous avons croisé plusieurs sources :
 le numéro d’identification du vol
 les agendas officiels du président de la République et des ministres
 les comptes Twitter du président de la République et des ministres

ici un falcon immatriculé F-RAFP (correspondant l'escadron ET 60), avec le numéro d'identification du vol CTM0008, signifiant qu'il est affrété pour l'Elysée ou le gouvernement.
Jets gouvernementaux
Exemple des informations disponibles : ici un falcon immatriculé F-RAFP (qui fait partie de l’escadron ET 60), avec le numéro d’identification du vol CTM0008, signifiant qu’il est affrété pour l’Élysée ou le gouvernement. Il s’agit d’un vol Paris-Angers, le 15 mars 2022, qui correspond à la venue d’Emmanuel Macron, Gérald Darmanin et Marlène Schiappa sur place à cette date.
Capture d’écran ADBS Exchange

Les numéros d’identification des vols transportant un membre du gouvernement ou le président de la République sont presque systématiquement sous la forme CTM000x où x est un nombre entre 1 et 12. Ainsi, lorsqu’un vol avait un tel numéro, nous nous sommes assuré que le chef de l’État ou un ministre était bien sur place le jour en question, à l’aide de son agenda officiel, de son compte Twitter (la plupart des ministres et le chef de l’État publient des images de leur déplacement) et des médias, notamment la presse quotidienne régionale (PQR) et les chaînes d’information en continu. Cette dernière source nous a également permis de vérifier que les horaires des déplacements correspondaient bien aux horaires de vol du jet.

Évidemment, sauf rare cas de vidéos prises sur le tarmac d’un aéroport, nous n’avons aucune preuve formelle que telle ou telle personne était dans ce jet. Nous avons cependant jugé suffisante la concordance de nombreux indices (numéro de vol, appareil emprunté, date, heure, lieu) pour établir le fait que tel avion avait servi dans le cadre d’un déplacement présidentiel ou ministériel. Nous avons également adressé une liste de questions, trajet par trajet, à l’Élysée et à Matignon une semaine avant la parution de notre article. Aucune réponse ne nous a été apportée.

Cas pratique : Élisabeth Borne à Aix-en-Provence et à Avignon

Le 9 juillet, le site ADBS Exchange indique que le Falcon 7X immatriculé F-RAFB a décollé à 11 h 36 de Paris-Villacoublay, l’aéroport où est stationné l’escadron ET60. Il atterri à Aix-en-Provence à 12 h 28. Le numéro de vol est le suivant : CTM0004. Donc, a priori, ce vol a servi dans le cadre d’un déplacement présidentiel ou ministériel. En se rendant à la date du 9 juillet sur le compte Twitter d’Élisabeth Borne, on tombe d’abord sur ce tweet où on voit la Première ministre aux Rencontres économiques d’Aix.

Tweet d’Élisabeth Borne le 9 juillet 2022
Capture d’écran Twitter

Cela semble donc concorder. Pour s’assurer que les horaires sont conformes, nous avons vérifié ceux de la prise de parole d’Elisabeth Borne lors de cette manifestation. Sur leur site, on peut lire qu’elle intervient bien le samedi 9 juillet de 14 h 30 à 14 h 40 en qualité de « grand témoin ». En réalité, sa prise de parole dure une vingtaine de minutes comme on peut le voir sur des vidéos.

Quelques heures plus tard, un second tweet est publié par la Première ministre.

Tweet d’Élisabeth Borne le 9 juillet 2022
Capture d’écran Twitter

Après Aix-en-Provence, Élisabeth Borne s’est donc rendue à 75 kilomètres de là, à Avignon pour assister à une représentation d’Iphigénie. Sur ADBS Exchange, le Falcon 7X fait la même chose, allant d’Aix-en-Provence à Avignon. Cependant, cette fois, les horaires ne collent pas. Le jet atterri à Avignon à 19 h 48 alors que la pièce a commencé peu après 18h comme l’indique le site du festival.

Vol du 9 juillet 2022 du Falcon 7X F-RAFB
Le trajet, à vide, du Falcon 7X immatriculé F-RAFB pour aller chercher la Première ministre à Avignon.
Capture d’écran ADBS Exchange

Ainsi, la Première ministre est allée par d’autres moyens à Avignon, très certainement en voiture vu la proximité des deux villes. En revanche, tout concorde pour dire que c’est bien elle qui emprunte le Falcon 7X quand celui-ci repart d’Avignon vers 22 h 40 pour rentrer à Paris, toujours sous le même numéro de vol : CTM0004.

Isoler les vols « problématiques »

À partir de cette base de données de plus de 300 vols, nous nous sommes concentrés sur ceux qui s’apparentaient comme étant les plus « problématiques ». Pour dresser cette catégorie, nous avons opérer en deux phases.

1- Dans un premier temps, nous avons isolé les vols intérieurs, c’est-à-dire allant d’une ville française à une autre (hors DROM). Seules exceptions, nous avons conservé les destinations de Bruxelles et de Luxembourg du fait de leur proximité en train de Paris (respectivement 1 h 22 et 1 h 46 en TGV).

2- Parmi ces vols, nous avons regardé ceux où une alternative en train ou en voiture permettait de réaliser le même trajet en moins de trois heures. Pour mettre en place cette limite, nous nous sommes appuyés sur la circulaire de novembre 2020 de Jean Castex qui dit que « la voie aérienne ne pourra être autorisée que lorsque le temps de trajet par la voie ferroviaire est supérieur à trois heures ». Ici, par souci d’honnêteté, nous n’avons gardé que les allers-retours entre des villes éloignés de moins de 3 h. Par exemple, le Paris-Strasbourg d’un trajet Paris-Strasbourg/Strasbourg-Berlin/Berlin-Paris n’a pas été conservé dans cette catégorie. En revanche, un Paris-Mulhouse (moins de 3 h)/Mulhouse-Strasbourg (moins de 3 h)/Strasbourg-Paris (moins de 3 h) a été conservé. Les allers-retours à Grenoble (3 h 01 en TGV) et Marseille (3 h 04 en TGV) ont également été conservés.

À l’issue de ce tri, nous avons pu catégoriser, depuis le 1er janvier 2022, 38 allers-retours (en 80 vols) comme « problématiques ».

De plus, nous avons remarqué, en construisant notre base de données, différents vols qui ne rentraient pas dans cette catégorie et pouvaient s’avérer comme « problématiques ». Notamment ces allers-retours à plusieurs jets ou ces micro-vols de quelques minutes entre deux villes séparées seulement de quelques dizaines de kilomètres sur le territoire hexagonal.

Estimer l’impact écologique

Ensuite, pour établir une estimation du bilan carbone de ces déplacements, nous nous sommes servis du calculateur de la plateforme ComparePrivatePlanes ainsi que des données fournies par l’International Business Aviation Council (IBAC). Ces dernières estiment des émissions en carbone plus importantes pour les Falcon que le premier comparateur. Pour ne pas surévaluer l’impact écologique de ces vols, nous avons donc conservé les mesures du premier, gardant à l’esprit qu’elles étaient, peut-être, légèrement minorées.

Pour les éléments de comparaison, nous nous sommes appuyés sur les données publiques sur le sujet. Pour l’empreinte carbone moyenne d’un Français, nous avons gardé le chiffre qui prend en compte les émissions importées, issues notamment de la fabrication des biens et des services à l’étranger. Ce chiffre est donc de 11,2 tonnes équivalent CO2 en un an par personne. Il provient de ce rapport public. Les chiffres sur la consommation des trains sont à retrouver ici, sur la consommation d’une voiture essence achetée en 2020 ici et sur l’objectif de neutralité carbone ici.

Pierre Jequier-Zalc
En photo : un avion Falcon 7 (Dassault) de l’escadron ET 60 / CC Par Laurent Errera, CC BY-SA 2.0