Sécheresse

« L’eau qui atteint la mer est perdue » : les arguments des pro-bassines battus en brèche

Sécheresse

par Sophie Chapelle

Alors que la bataille autour des mégabassines fait rage, des arguments mensongers parsèment les réseaux sociaux au sujet du cycle de l’eau. Voici le top 5 de ces contre-vérités, analysées et décortiquées.

Argument bidon n°1 : « Le retour des pluies marque la fin de la sécheresse »

«Il parait que c'est la sécheresse en Bretagne»
« Il paraît que c’est la sécheresse en Bretagne »
Le 11 mars 2023, sur twitter.

« Ce n’est pas parce qu’on a une flaque dans son jardin que la sécheresse est derrière nous » rappelle Serge Zaka, agrométéorologue. Trois types de sécheresse doivent être distingués. Il y a d’abord la sécheresse météorologique qui consiste en un manque de précipitations par rapport à la normale.

Vient ensuite la sécheresse agricole qui se traduit par une humidité faible des sols – jusqu’à deux mètres de profondeur – et qui peut conduire à une baisse des rendements des cultures. Enfin, la sécheresse hydrologique se définit par un manque durable de précipitations avec une baisse du niveau des cours d’eau et des nappes phréatiques.

« Grâce aux pluies de ces derniers jours, 90 % de cours d’eau sont dans un état satisfaisant et les sols agricoles sur les 40 premiers centimètres se gorgent d’eau », indique Serge Zaka à partir des données du site de veille Info-sécheresse. Avec des nuances : des départements comme l’Aude et les Pyrénées-Orientales continuent d’avoir des sols agricoles très secs en raison d’une pluie encore trop rare. En cette fin d’hiver, l’Hexagone est plutôt sorti de la sécheresse agricole. Cela laisse espérer pour les agriculteurs la réussite de leurs semis de printemps et la récolte de fourrage dans les prochaines semaines. La sécheresse n’est pourtant pas derrière nous, bien au contraire.

« La bombe à retardement ? Ce sont les nappes pour la production estivale », ajoute l’agrométéorologue. En dépit des récentes pluies, 80 % des nappes phréatiques sont encore déficitaires. Les pluies infiltrées durant l’automne sont très insuffisantes pour compenser les déficits accumulés durant l’année 2022 et améliorer durablement l’état des nappes. « Il faut se préparer à passer un été avec des nappes basses », alerte Serge Zaka. La sécheresse hydrologique est toujours d’actualité.

Argument bidon n°2 : « L’eau qui atteint la mer est perdue »

« Et si on stockait ce surplus d'eau en prévision de l'été plutôt que de le laisser repartir à la mer ?»
« Et si on stockait ce surplus d’eau en prévision de l’été plutôt que de le laisser repartir à la mer ? »
Tweet repéré par le site Bon Pote

En période de pénurie vient l’idée de stocker l’eau quand elle est en excès. L’eau douce qui va la mer est-elle perdue ? « Les précipitations sont en partie issues de la vapeur d’eau formée au-dessus des océans », rappelle Florence Habets, directrice de recherche CNRS en hydrométéorologie. « On pourrait considérer que les volumes d’eau dans les océans sont bien suffisants pour pouvoir ne pas restituer toute l’eau douce reçue sans affecter trop fortement ce cycle de l’eau », note-t-elle. Mais ce n’est pas sans conséquence.

« Sur le bassin méditerranéen, qui est une mer quasi fermée, les apports d’eau douce à la mer ont été réduits de plus de 20 % du fait de la construction de barrages ayant créé des réservoirs et de l’utilisation de cette eau pour les activités humaines », illustre Florence Habets. Cette drastique réduction des apports à la mer Méditerranée a eu de nombreux impacts sur la circulation de l’eau dans le bassin méditerranéen, avec des modifications de sa salinité et de sa biodiversité.

La mise en service du barrage d’Assouan, dans les années 1960 en Égypte, a par exemple fortement modifié les débits du Nil et conduit à une réduction drastique de la prise de sardines. Sur la côte du delta du Nil, cette dernière est passée d’environ 15 000 tonnes en 1964 à 4600 tonnes en 1965, année du début de la mise en eau du barrage, puis à seulement 554 tonnes en 1966 [1]. Soit une division des prises de sardines par 27. « Les rivières apportent à la mer de l’eau, des sédiments, et de nombreux autres composants chimiques et minéraux qui sont importants pour la biodiversité des écosystèmes marins et estuaires », rappelle Florence Habets.

Argument bidon n°3 : « Seule “l’eau en excès” est captée dans les mégabassines »

«Pomper l'excédent pour remplir les réserves de substitution»
« Pomper l’excédent pour remplir les réserves de substitution »
Tweet repéré par Bon Pote

Les mégabassines ne se remplissent pas en captant l’écoulement de l’eau, mais uniquement par pompage en nappe et en rivière. L’idée d’« eau en excès » est au fondement de ces mégabassines, appelées réserves de substitution par ses promoteurs. La notion de « substitution » consiste précisément à « prélever l’excédent d’eau l’hiver pour la réutiliser l’été » [2]. « Quand il tombe 100 mm en une demi-journée, cette eau-là file directement à la mer et ne vient pas remplir les nappes. Donc, il faut prélever les excès d’eau », argumentait Marc Fesneau, le ministre de l’Agriculture, en août 2022.

Quand peut-on considérer l’eau de la nappe « en excès » ? Ce serait a priori lorsque la nappe déborde sur des zones inhabituelles, ce qui peut favoriser les inondations. En réalité, les mégabassines ne prélèvent pas l’eau lorsque il y en aurait trop. Comme le relève Florence Habets, les « excès d’eau » concernés pour le remplissage des mégabassines ne concernent visiblement pas les épisodes conduisant à des inondations par débordement de nappe. Les seuils fixés par la préfecture autorisent ce remplissage même lorsque la nappe est extrêmement basse, souligne le mouvement des Soulèvements de la Terre en s’appuyant sur des cas précis dans les Deux-Sèvres.

« Les niveaux de nappe choisis pour les prélèvements de substitution sont bien inférieurs au niveau de débordement », constate également Florence Habets. Dans le cas du marais poitevin où des retenues de substitution prélèvent dans la nappe, « les niveaux choisis sont plus proches du minimum observé en hiver que de la cote de débordement ».

Argument bidon n°4 : « En prélevant moins d’eau en été, les bassines améliorent les niveaux des nappes »

Les bassines seraient favorables aux débits des cours d'eau
Les bassines seraient favorables aux débits des cours d’eau
Extrait du rapport du bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), juin 2022

Le rapport du Bureau des ressources géologiques et minières (BRGM), publié en juin 2022 sur le sujet, est régulièrement cité par les promoteurs des mégabassines. Il mentionne qu’en prélevant moins en été, on améliore le niveau des nappes au printemps et en été de l’ordre de 6 %. Certaines rivières pourraient avoir un débit estival 40 % supérieur.

Cette base scientifique est contestée par les collectifs opposés aux bassines, dans une contre-expertise publiée fin janvier. D’après Anne-Morwenn Pastier, autrice d’une thèse en hydrologie et géologie, le modèle numérique utilisé manque de précision sur les niveaux de nappe minimum et maximum. La marge d’erreur serait bien trop élevée pour prendre cette étude au sérieux [3]. Impossible dès lors d’affirmer que les bassines amélioreraient l’état des nappes et des cours d’eau. Autre élément, le rapport ne prend pas en considération le réchauffement climatique.

Suite aux critiques, le BRGM précise, dans un communiqué publié mi-février, que ses simulations ne montrent qu’une « tendance [...] à prendre avec précaution ». Il ajoute que « la prise en compte des évolutions climatiques, non simulées dans l’étude, est importante : en effet, la récurrence de périodes de sécheresse hivernale pourrait conduire de manière répétée à des niveaux de nappe inférieurs aux seuils réglementaires, compromettant le remplissage des réserves certaines années ».

Peut-on comparer sur ce point la situation française à ce qui se joue déjà aux États-Unis ? « La Californie revient régulièrement dans l’actualité avec ses incendies et ses barrages à moitié vide : c’est ce à quoi on peut s’attendre dans nos régions si on continue à émettre à ce point des gaz à effet de serre », estime Florence Habets [4]

Argument bidon n°5 : « Les bassines sont adaptées au changement climatique »

Intervention de Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture, le 6 novembre 2022.

Le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau défend becs et ongles les réserves de substitution. Il n’hésite d’ailleurs pas à s’appuyer sur les rapports du Groupement intergouvernemental des experts du climat (Giec) pour faire état de l’accentuation des sécheresses dans les années à venir.

Or, que dit précisément le Giec à ce sujet ? « Les réservoirs coûtent cher, ont des impacts environnementaux négatifs, et ne seront pas suffisants partout pour des niveaux de réchauffement élevés » [5].

« Vouloir compter sur de grosses retenues artificielles pour faire face aux sécheresses, c’est vraiment une solution de maladaptation », juge Agnès Ducharne, hydrologue et directrice de recherche au CNRS.

La « maladaptation », terme utilisé dans la littérature scientifique, renvoie à des changements engagés contre le réchauffement climatique, mais qui ne font qu’accroître la vulnérabilité de la société face à ce risque. Pour la chercheuse, « ce type de retenue va favoriser la persistance de pratiques agricoles très demandeuses en eau, alors qu’on sait très bien que les ressources en eau vont diminuer ».

Sophie Chapelle

Photo de une : Manifestation contre les méga-bassines le 22 septembre 2021 / © Guy Pichard