Vous croyiez les lasagnes et autres plats préparés à base de cheval retirés des rayons ? Détrompez-vous ! Des canassons aux passeports falsifiés, des chevaux de course traités lourdement aux anti-inflammatoires, des bêtes maltraitées, malades, impropres à la consommation pénètrent aujourd’hui encore – et massivement – les circuits de distribution européens et français, sans que nous en soyons informés. Il existe en fait deux scandales dans le même scandale : du cheval a continué de se faire passer dans les supermarchés pour du bœuf, et ce bien des années après 2013.
La crise du coronavirus propice aux fraudes
Ensuite, des chevaux de loisir ou de course traités aux antibiotiques – notamment phénylbutazone, un anti-inflammatoire non stéroïdien – qui ne sont pas censés entrer dans la chaîne alimentaire ont fini sous vide avant d’atterrir dans nos assiettes. En juillet 2020, des animaux vivants et plus de 17 tonnes de viande chevaline ont été saisis dans plusieurs abattoirs européens. « Environ 20 % des passeports étrangers utilisés pour ces chevaux présentaient des signes de falsification », détaille l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire belge (AFSCA).
En Belgique, « 28 passeports falsifiés ont été identifiés, essentiellement pour introduire illégalement des équidés "exclus de la chaîne alimentaire" dans la chaîne alimentaire ». En avril 2020 déjà, soit en pleine crise du coronavirus, deux cargaisons frauduleuses de viande chevaline avaient été saisies au Danemark et aux Pays-Bas. D’après The Telegraph, il s’agissait de viande de cheval en provenance d’Allemagne « déguisée en bœuf [...], les criminels profitant de la fermeture des frontières et des fermetures d’entreprises pour vendre de faux produits ».
Le trafic dure depuis 2013
Alors que l’Europe importe d’outre-Atlantique la majeure partie du cheval qu’elle mange (80 % de la viande chevaline vendue dans nos hypermarchés arrivent des Amériques), de nombreux rapports d’audit des inspecteurs vétérinaires de la Commission européenne tirent la sonnette d’alarme quant à l’absence de traçabilité et aux conditions sanitaires déplorables constatées en Argentine, Uruguay, Mexique et même au Canada. Depuis des années, de nombreux voyants sont au rouge, et même rouge vif. Pourtant, on a assisté, impuissants, au cercle infernal des scandales alimentaires qui s’enchaînent selon un schéma quasi immuable : opacité pour les consommateurs, évident manque de traçabilité et sous-effectifs criants au sein des organes de contrôle.
En ayant accumulé les preuves sur plusieurs années, je veux parler précisément du cheval parce que les leçons de cette histoire sont loin d’avoir été tirées. En vérité, le trafic des chevaux impropres à la consommation n’a jamais cessé, même après le « horsegate » de 2013. Remontons le fil de l’histoire... récente. Le 6 mars, puis le 27 avril 2020, en pleine crise du Covid-19 donc, les Pays-Bas informent leurs voisins européens qu’ils ont saisi des chevaux à la traçabilité plus que douteuse ; et l’enquête montre que certains sont vendus en France et en Belgique. Les 6 et 10 avril, la Pologne alerte à deux reprises sur la vente à l’Italie de chevaux qui auraient dû être « exclus de la chaîne alimentaire ».
Des médicaments impropres à la consommation dans nos steaks ?
Trois mois auparavant, en janvier 2020, les agents du service espagnol de protection de l’environnement (SEPRONA) ont arrêté, dans la province de Barcelone, un groupe de criminels en bande organisée soupçonnés de vendre de la viande de cheval impropre à la consommation humaine, provenant de 300 bêtes tuées dans des abattoirs qui ne respectaient pas les réglementations nationales et européennes en matière alimentaire. Là encore, les documents étaient falsifiés. Au cours de leur enquête, ils passent au crible les papiers d’identité de plus de 10 000 chevaux. L’opération conduit à l’arrestation de 15 suspects et à l’ouverture d’une enquête pour 13 autres.
Tous s’adonnaient à leurs activités criminelles depuis 2015, avec l’appui d’un abattoir, de plusieurs fermes d’élevage, de marchands de bétail et même de vétérinaires. En 2017 déjà, l’Espagne avait arrêté 65 individus mêlés à un trafic aux ramifications européennes. Reprenons le fil. En octobre 2019, le Royaume-Uni prévient Paris que des tests en laboratoires montrent que du cheval bourré de phénylbutazone, un anti-inflammatoire, est entré frauduleusement dans la chaîne alimentaire française.
Quelques mois avant, la Belgique signalait déjà le même problème, sur de la viande chevaline en provenance du Canada cette fois. En juin 2019, l’Irlande révèle les résultats de plus de 18 mois d’enquête menée par le National Bureau of Criminal Investigation, le Criminal Assets Bureau, la Garda National Drugs and Organised Crime Bureau, la Garda National Cyber Crime Bureau, les fonctionnaires du ministère de l’Agriculture et de la Food Safety Authority of Ireland (FSAI). Une sacrée mobilisation. Après de nombreuses perquisitions effectuées dans plusieurs comtés, les autorités ont mis à jour un trafic de chevaux impropres à la consommation orchestré par sept entreprises.
Fausses cartes d’identités pour fraudes en série
Les Irlandais ne mangeant pas de cheval, la viande était forcément destinée à l’exportation : direction la Belgique, la France et les Pays-Bas. Des animaux qui avaient subi des traitements hormonaux ou antibiotiques (phénylbutazone encore) ou qui étaient trop vieux, en tout cas nullement aptes à finir dans nos estomacs. Mais voilà, quand un cheval n’est plus bon à rien, s’en débarrasser coûte cher au propriétaire qui doit payer une redevance pour l’équarrissage (en France, elle oscille entre 150 et 600 euros, selon les départements). L’introduire frauduleusement dans la chaîne alimentaire, en revanche, peut rapporter une coquette somme.
Comment est-ce possible ? Chaque cheval possède un passeport et est muni d’une micropuce, histoire de faciliter sa traçabilité. Il suffit, une fois muni de faux documents et d’une micropuce correspondante, de vendre les bêtes entre 600 et 1 000 euros par animal. Pour contourner les règles, la fausse puce mentira sur l’histoire de l’animal en question et ouvrira tout grand les portes de l’abattoir. Et c’est précisément de là qu’est partie l’investigation des autorités irlandaises. Celles-ci ont en effet mis la main sur des dizaines de micropuces arrivant tout droit de Chine. Après vérification, il s’agissait de puces qui avaient eu une vie antérieure, injectées dans des chevaux d’Europe de l’Est morts des années auparavant !
Les puces avaient sillonné la moitié de la planète avant d’entrer sous les radars irlandais. L’Italie repère, en mai 2019, quelque chose de louche : les informations figurant sur les certificats sanitaires de viande de cheval réfrigérée en provenance d’Argentine ne collent pas avec les informations fournies par les étiquettes reproduisant la date d’abattage. Au même moment toujours, le Royaume-Uni met la main sur un cheval irlandais destiné au marché français qui n’avait pas plus de papiers en règle : son passeport avait été falsifié. Le 4 mars, alors que les débats sur le Brexit étaient particulièrement tendus, le Royaume-Uni avait aussi démantelé un énorme réseau de chevaux aux passeports falsifiés qui finissaient dans de nombreux pays.
Les bêtes provenaient du Royaume-Uni et d’Irlande, étaient abattues en Allemagne, vendues sur place comme en Belgique, en Chine, en Finlande, en France, en Irlande, en Italie, en Pologne et sur le territoire britannique. L’année 2018 ne vaut pas mieux : à cinq reprises, nos voisins européens ont annoncé la présence en France de viande chevaline – provenance Royaume-Uni, Belgique ou Danemark – présentant des résidus d’antibiotiques interdits ou des lacunes de traçabilité. Comprenez : des faux papiers. Comme nous connaissons juste l’existence des lots frauduleux identifiés grâce aux contrôles, lesquels sont, redisons-le, insuffisants en nombre, les observateurs sont convaincus que ces fraudes sont, hélas, une petite partie de l’iceberg.
Ingrid Kragl
Photo : « Course de steacks », Marc Hanauer.
Manger du faux pour de vrai, les scandales de la fraude alimentaire. Ingrid Kragl, éd. Robert Laffont. 21 euros.
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