Le 9 mars, des centaines d’abeilles ont occupé la place du Palais Royal devant le Conseil d’État, le poing levé. Des panneaux représentant le pollinisateur ont été disposés par des militants de trois organisations – Agir pour l’environnement, la Confédération paysanne et Nature & progrès – en vue de s’opposer à la récente dérogation du gouvernement qui permet l’usage de deux néonicotinoïdes. Le même jour, Guillaume Tumerelle, l’avocat de ces organisations, plaidait en audience devant le Conseil d’État pour suspendre cette dérogation, en dénonçant le non-respect du règlement européen et des arguments scientifiques incohérents.
Réautoriser deux insecticides neurotoxiques interdits en France et en Europe ? C’est bien ce qu’a fait le gouvernement, sous la pression du lobby betteravier. Pour rappel, la loi biodiversité en 2016 avait marqué une avancée dans la lutte contre les pesticides de synthèse, en interdisant les néonicotinoïdes. Alors que cette mesure était opérationnelle depuis septembre 2018, le gouvernement est revenu sur sa décision en août 2020 en accordant des dérogations aux betteraviers qui subissaient une invasion de pucerons verts propageant le virus de la jaunisse. Malgré la forte contestation citoyenne, une nouvelle loi a été adoptée en décembre dernier, ouvrant la porte à d’autres dérogations.
« Leur modèle est complètement obsolète. La dérogation n’a pas lieu d’être »
Depuis le 5 février, un premier arrêté dérogatoire autorise les betteraviers à utiliser provisoirement des semences traitées avec des pesticides contenant deux substances actives de néonicotinoïdes, l’imidaclopride et le thiamethoxam. C’est pour suspendre cet arrêté que les trois organisations écologistes ont déposé un référé auprès du Conseil d’État. En parallèle, d’autres associations ont déposé des recours auprès des tribunaux administratifs de Lyon et de Toulouse.
Pour les organisations écologistes, les températures observées en février ne justifient en rien une telle mesure. « Leur modèle est complètement obsolète, selon l’avocat Guillaume Tumerelle. La dérogation n’a pas lieu d’être. » L’invasion de pucerons est déclenchée par la météo. Or, le motif de l’arrêté repose sur une étude basée sur des températures de moyennes saisonnières et non pas sur la réalité d’un mois de février très froid, pour prédire les risques d’invasion. D’ailleurs, l’Espagne, qui prévoyait la même dérogation, a décidé de la retirer au vu des températures hivernales.
« On est en train de signer notre mort à petit feu »
Si les rendements des betteraves sucrières ont été mis à mal en 2020, Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne, souligne que ceux-ci ne sont pas plus faibles qu’il y a dix ans. Depuis la fin des quotas sucriers en 2017, les rendements se sont envolés et les prix ont chuté. Derrière l’arrêt des néonicotinoïdes, il ne s’agit pas seulement de préserver la biodiversité et la santé humaine mais aussi le revenu des agriculteurs. Pour le syndicaliste, la course au volume est une impasse. « On est en train de signer notre mort à petit feu. On n’arrivera pas à pallier des revenus en baisse par une augmentation des volumes », explique-t-il.
Le véritable problème de la filière sucre ne serait pas l’arrêt des néonicotinoïdes, mais la libéralisation des marchés, qui a fait baisser le revenu des agriculteurs depuis trois ans. « L’enjeu ce n’est pas la technique, c’est comment la filière économique permet l’arrêt des néonicotinoïdes » relève Nicolas Girod. Dans un contexte économique défavorable, la réponse technique lui paraît illusoire. Pour sortir de cette dépendance supplémentaire que sont les insecticides, la Confédération paysanne milite pour des mécanismes de régulation des volumes avec des prix rémunérateurs pour les agriculteurs. Ce n’est qu’ainsi que les agriculteurs pourront transformer leur pratiques en profondeur, tout en exerçant leur activité dignement.
Les organisations peuvent-elles espérer une suspension de l’arrêté ? « Au niveau juridique, je pense qu’on est très solide, mais il y a des enjeux financiers », estime Maître Tumerelle, en référence aux forces économiques du secteur betteravier. Alors que les semis sont prévus d’ici deux à trois semaines, la décision du conseil d’État est attendue dans les prochains jours.
Lola Keraron
Crédit Photo : Agir Pour l’Environnement