Agriculture

Effondrement de la biodiversité, eau et sols contaminés : les coûts cachés des pesticides

Agriculture

par Nolwenn Weiler

Face à un agriculteur victime de pesticides, un député de la majorité présidentielle a lancé : « Vous voulez quoi, qu’on n’ait plus d’agriculture ? ». Or, c’est précisément l’usage de pesticides qui risque de nous condamner au désert.

Portrait stylisé de Nolwenn Weiler
L’édito de Nolwenn Weiler
Voici l’édito de notre newsletter On en Agro !. Pour la découvrir en intégralité et pour la recevoir gratuitement, c’est par là.

Ouvrir le robinet à pesticides – qui déversait déjà abondamment ses molécules toxiques – pour calmer la colère des agriculteurs, et obtenir qu’ils rentrent à la maison. Voilà qui va sans doute réjouir les vendeurs de ces produits, pour qui la France est un juteux marché, le premier en Europe, avec un quart des ventes totales pour une valeur annuelle estimée à 3 milliards d’euros [1]. Certes, le plan Ecophyto, né dans la foulée du Grenelle de l’environnement de 2009, n’a pas encore permis de diminuer leur usage. Mais sa mise sur « pause », annoncée le 1er février par le Premier ministre, montre que le gouvernement n’a visiblement pas l’intention de réfléchir à un modèle agricole capable de se passer des pesticides.

Il prévoit même de masquer leurs consommations réelles, voire leur augmentation, en renonçant à l’outil qui permettait de mesurer leur usage : le « Nodu » (nombre de doses unités). Indicateur historique du plan Ecophyto, le Nodu rend compte de la quantité de pesticides utilisés par hectare. Il pourrait être remplacé par le « HRI1 », dont on ne sait pas exactement ce qu’il mesure puisqu’il est censé prendre en compte la quantité et la dangerosité des pesticides.

« Si un pesticide très toxique est interdit et remplacé par un pesticide tout aussi nocif, on considère qu’il s’agit d’une forte réduction des pesticides », illustre l’ONG Générations futures, qui siège au comité d’orientation et de suivi (COS) du plan Ecophyto. Seule certitude : cet indicateur peut donner « une fausse impression de forte baisse » d’utilisation des pesticides. Entre 2011 et 2021, le Nodu indique une hausse d’utilisation des pesticides de 3 %, alors que le HRI1 indique une baisse de 32 % ! « Remettre en cause l’indicateur Nodu c’est remettre en cause l’objectif même de la réduction des usages des pesticides en agriculture qui était au cœur du plan », ajoute l’ONG.

Fermeture de captages d’eau

Sans que l’on comprenne bien en quoi cela va sauver les agriculteurs, le gouvernement décide donc d’appuyer sur l’accélérateur qui nous mène au désastre. Les coûts collectifs astronomiques de l’usage des pesticides n’en finissent plus d’être documentés. Regardons par exemple l’hécatombe d’oiseaux : 25 % d’entre eux ont disparu ces 40 dernières années en Europe. Dans les milieux agricoles, cette proportion grimpe à 57 % ! Très impactés par le réchauffement climatique, les oiseaux le sont aussi par l’usage massif de pesticides qui les affament en faisant disparaître les insectes. Insectes dont le déclin est tout aussi spectaculaire : de 70 à 80 % d’entre eux ont disparu [2].

Intéressons nous aussi à l’état de l’eau, tellement contaminée que des captages doivent être fermés, notamment à cause de la présence de métabolites, ces descendants des pesticides que l’on retrouve partout. A certains endroits, les autorités sanitaires sont tellement désemparées qu’elles rehaussent les seuils au-delà desquels l’eau est considérée comme impropre à la consommation – une eau considérée trop polluée hier redevient ainsi potable.

En septembre 2022, les taux d’esa-métolachlore (métabolite issu d’un désherbant du maïs) acceptables ont ainsi été multipliés par 9, passant de 0,1 à 0,9 microgramme par litre. A Masserac, en Loire-atlantique, où la problématique des pesticides inquiète les élus depuis plusieurs années, l’impossibilité de dépolluer l’eau est patente. « Après passage de la filtration au charbon (l’une des plus efficaces que l’on connaisse à ce jour pour les pesticides, ndlr), on retrouve encore plus de 300 molécules », remarque Mickaël Derangeon, vice-président d’Atlantic’eau, le syndicat producteur d’eau potable.

Sols impropres

A cela s’ajoute l’état des sols, sur lesquels la recherche commence à se pencher, découvrant une présence généralisée de pesticides, qui rend une partie de ces sols impropres à la production alimentaire.

Face à Christian Jouault, agriculteur victime de pesticides, le député Renaissance de l’Hérault Patrick Vignal a lancé sur le plateau de BFM TV : « Vous voulez quoi, qu’on n’ait plus d’agriculture » ? Mais c’est précisément l’usage de pesticides qui risque de nous condamner au désert. Comment pourra-t-on cultiver la terre et nourrir le monde sans le concours des insectes, qui assurent jusqu’à 35 % de la production mondiale via la pollinisation ? Comment les agriculteurs feront-ils pour abreuver leurs bêtes et se désaltérer quand ils ne pourront plus boire l’eau qui coule sous leurs pieds ? Et où cultivera-t-on les légumes quand les terres seront toutes contaminées ?

« Mettre une pause sur Ecophyto c’est inacceptable. On ne peut pas continuer comme ça, alors que tellement de gens sont malades », a répondu Christian Jouault, en ce moment hospitalisé pour soigner une leucémie, alors qu’il a déjà eu un cancer de la prostate reconnu comme une maladie professionnelle.

Réorienter les aides

Longtemps réduites au silence, les victimes des pesticides sont de plus en plus nombreuses à prendre la parole et à obtenir la reconnaissance de leurs maladies comme d’origine professionnelle. En 2022, le fonds d’indemnisation des victimes de pesticides a reçu 650 demandes de reconnaissances. Ce n’est là que la partie émergée de l’Iceberg, car les démarches pour une reconnaissance en maladie professionnelle sont un vrai parcours du combattant. De plus, la honte et le déni restent fort dans les campagnes.

Personne n’a dit qu’il serait facile de réduire ou renoncer à ces outils d’apparence miraculeuse que sont les pesticides, et surtout pas ceux et celles qui travaillent au quotidien en se passant d’eux. Les agriculteurs ont besoin d’aide pour résoudre mille et une impasses techniques, répondre à leurs doutes, mutualiser les bonnes idées, et indemniser leurs récoltes perdues. Des milliards d’euros pourraient être réorientés vers ces tâches essentielles.

« En France, les dépenses réelles associées aux pesticides sont deux fois plus élevés que les profits du secteur », estime une étude du Bureau d’analyse sociétal de l’intérêt collectif (Basic) publiée en 2021. Et ce calcul « a minima » ne prend pas en compte l’ensemble des maladies dues aux pesticides, ni les mesures de plus en plus onéreuses pour traiter l’eau, ni les aides aux agriculteurs. Mises bout à bout, ces dépenses s’élèvent à plus de 18 milliards d’euros.

Nolwenn Weiler

Dessin : © Cécile Guillard

Notes

[1Moyenne 2016-2022, calcul du Bureau d’analyse sociétale d’intérêt collectif (Basic).

[2Selon une recension d’études réalisée par le quotidien Le Monde en février 2023.