Un cas de grippe aviaire a été détecté en Dordogne dans un élevage de jeunes poules le 21 octobre. Alors que le virus pourrait s’étendre à d’autres élevages, des éleveuses et éleveurs témoignent dans un recueil publié par la Confédération paysanne de ce qu’ils ont vécu lors de la précédente crise de grippe aviaire, au printemps 2022. Depuis le début de l’épizootie de grippe aviaire en novembre 2021, 17 millions de volailles ont été abattues en France. C’est cinq fois plus que l’année précédente.
Selon le syndicat, « les éleveuses et éleveurs plein-air ont été stigmatisés, empêchés de travailler, bouleversés par l’incurie des décisions prises par le ministère de l’Agriculture et les interprofessions. Des choix économiques, avant d’être sanitaires, ont mis en difficulté tous les éleveurs de cette filière et éprouvé des services de l’État déjà exsangues sur le terrain ».
Le ministère de l’Agriculture avait pris la décision dès le 5 novembre 2021 de « claustrer », c’est-à-dire d’enfermer, toutes les volailles de plein air. La Confédération paysanne déplore que le gouvernement refuse d’attaquer le problème à sa racine : l’industrialisation de la filière volailles marquée par une surdensité, des flux incessants et en constante augmentation, du fait de la segmentation de la production, et un appauvrissement génétique des animaux. Voici les témoignages croisés d’éleveuses et éleveurs.
Nicolas et Alexandra : « Les services vétérinaires nous ont abattu 485 volailles saines »
« Nous sommes installés depuis 2019 en volailles plein-air. Pour nous, c’était évident pour le bien-être animal et pour nos consommateurs. Nous commercialisons le tout en vente directe sur les départements des Deux-Sèvres, la Vienne, la région parisienne et la Picardie.
Le 28 février 2022, nous sommes passés en zone de protection suite à un cas de grippe aviaire concernant de la dinde industrielle sur la commune de La-Chapelle-Saint-Étienne. À partir de ce moment-là, nous n’avons pas pu commercialiser nos volailles, car les services vétérinaires nous imposaient des écouvillons à notre charge avant de faire un abattage. Difficile quand nous avons peu de trésorerie. Nos volailles étaient dehors jusqu’à cette date, nous avons préféré les enfermer suite à cela, car les services vétérinaires circulaient sur la commune.
Le 25 mars 2022, nous avons reçu un arrêté préfectoral pour procéder au dépeuplement sur le département, nous sommes les premiers d’une longue liste... Cet arrêté stipulait l’abattage préventif de nos volailles saines dans un délai de dix jours.
Le 2 mai 2022, Nicolas reçoit un appel du directeur des services vétérinaires. Il nous indique que l’abattage de nos volailles est programmé le 4 mai 2022 à 9 h 30. Le 4 mai, les services vétérinaires arrivent l’après-midi, suivis des gendarmes venus sur les ordres de la préfète, puis des ramasseurs et de l’équarrisseur.
L’euthanasie de nos volailles saines commence. C’est avec le cœur lourd que nous assistons à ce désastre. Les services vétérinaires nous abattent 485 volailles saines. Nous ne faisons pas ce métier pour en arriver là. Nous avons été mis à terre pour protéger l’industrialisation. Le dossier d’indemnisation est rempli, mais nous ne savons pas quand ni combien nous serons indemnisés. Pour nous, l’avenir est incertain vu les nouvelles normes qu’ils veulent mettre en place. »
Laure : « Je commence à me demander si faire de la volaille plein-air a du sens »
« Je me suis installée en rejoignant mon mari en 2007. Cela fait 15 ans que j’élève des volailles en bio sur trois cabanes mobiles de 30 m2, en vente directe. Mon mari s’occupe de deux bâtiments de volailles en filière bio depuis 2002 et nous avons aussi un cheptel de brebis. Nous avons monté un magasin de producteurs et étions très fiers de vendre nos volailles et agneaux en direct.
Déjà l’année dernière, on nous a demandé de confiner nos volailles. Au début, je ne l’ai pas fait. Puis, par peur des voisins, des amendes, j’ai cédé à la pression et je les ai enfermées. On prend son mal en patience. Et en automne 2021, on recommence. Là, je commence à me demander si faire de la volaille plein-air a du sens. Je commence à alerter mes consommateurs sur l’absurdité pour moi de les renfermer. Ils sont comme moi, indignés.
Début mars, il y a eu de nombreux cas en Vendée. On prend alors pleinement conscience de la machine à nous compresser qui se met en route : visite sanitaire, écouvillons et abattage de tout un lot d’un coup. On se sent tout petit. Branle-bas de combat pour tout vendre. Heureusement, les consommateurs sont consomm’acteurs et une grande solidarité se met en place. Cela fait chaud au cœur. »
Yoann : « Pour la première fois, notre élevage est totalement vide »
« Nous élevons des volailles depuis trois générations et pour la première fois, notre élevage est totalement vide. Plus un piaillement de poulet, plus une criaillerie de pintade, plus un cancanement de canard. Pas un mouvement. Plus de bruit.
À l’heure où les consommateurs sont plus sensibles à la consommation de produits de qualité, nos fermes produisant des produits de qualité et qui sont en réflexion permanente pour plus de résilience font l’objet de décrets incohérents. Que doit-on faire ? Élever toutes les volailles confinées dans des bâtiments aseptisés ? Détruire encore plus la biodiversité, en exterminant tous les volatiles sauvages ?
Les services vétérinaires misent tout sur l’hyper hygiénisation avec pour objectif le risque zéro. Mais au final, même des couvoirs protégés par toutes ses mesures de biosécurité et de désinfection avec douche à l’entrée du bâtiment et tenue spécifique ont attrapé la grippe aviaire. »
Photo de une : Poussins d’un élevage plein air/©Sophie Chapelle