Située à 700 mètres d’altitude, la commune de La Bâtie-Montsaléon est caractéristique du département majoritairement montagnard des Hautes-Alpes. « Ce n’est ni la Provence, ni la Savoie, mais un territoire unique au niveau des conditions climatiques », loue Samuel Genas.
L’homme de 39 ans est l’un des trois associé
es de la ferme Sarriette et Roquette, installée dans le village de 250 habitant es. L’exploitation est gérée collectivement avec deux autres associées, Anne Aït-Touati et Maïa Gordon, et mise sur une variété de cultures maraîchères biologiques, mais aussi sur la vente de plants, d’œufs, d’épices, d’aromatiques et de semences « paysannes ».
Les semences paysannes sont directement sélectionnées et reproduites librement par les agriculteur
ices dans leurs propres champs. Elles ne sont pas préalablement issues de semences certifiées achetées à un semencier. Parfois, on parle aussi de « variétés anciennes ». Mais Samuel Genas rejette ce terme. « Aujourd’hui, c’est un terme accaparé par l’industrie agroalimentaire et utilisé comme argument marketing », explique-t-il.Mainmise de l’industrie semencière
Dans le territoire de La Bâtie-Montsaléon, avoir recours à des semences paysannes n’a rien d’un discours publicitaire. C’est une exigence du lieu. « Aucune variété industrielle de semence n’est développée pour être adaptée à notre climat, précise l’agriculteur. Les semences industrielles ne sont pas adaptées à tous les contextes. Et pour exprimer tout leur potentiel, il leur faut nécessairement des béquilles chimiques comme les pesticides », ajoute Samuel Genas.
Ces semences promues par l’agro-industrie sont appelées « variétés hybrides F1 » et sont majoritairement développées par six multinationales : Bayer, Corteva Agriscience, ChemChina/Syngenta, BASF, Limagrain/Vilmorin et KWS. Des multinationales des semences qui sont également pour plusieurs d’entre elles des mastodontes des pesticides.

En 2018, Syngenta, Bayer, Corteva et BASF contrôlaient à elles seules 70 % de la production mondiale de semences. Ces semences industrielles peuvent sembler attractives sur le papier : elles conjuguent des caractéristiques issues du croisement de deux variétés. Mais la réalité est moins rose.
Exclusion du catalogue officiel
Les plantes issues de ces semences présentent bien les caractéristiques promises la première année, mais ce ne sera plus le cas les années suivantes. Les agriculteur
ices se retrouvent alors contraint es de racheter cette même variété chaque année pour conserver ces caractéristiques. La situation est profitable pour les multinationales semencières, moins pour les paysan nes.La puissance de l’industrie semencière est favorisée par la réglementation actuelle qui prévoit un ensemble strict de trois critères pour la sélection des semences commercialisables. Le « DHS », pour « distinction » par rapport aux variétés existantes, « homogénéité » des plantes produites, et « stabilité » pour dire que ces semences n’évoluent pas selon l’environnement.
Les semences qui répondent à ces trois critères peuvent intégrer une des listes du « catalogue officiel » des variétés. Celui-ci exclut les semences paysannes, qui sont hétérogènes et évoluent pour s’adapter à leur environnement.
Un programme régional
« Actuellement, l’adaptation au changement climatique est un des arguments avancés pour rendre acceptables les nouveaux OGM. Mais face au caractère imprévisible du changement climatique, ce sont plutôt les semences paysannes qui sont les plus indiquées pour cela », défend Samuel Genas.
La ferme de Samuel, Anne et Maïa a rejoint depuis peu le programme régional DiversiGo, qui vise à développer des semences paysannes pour s’adapter au changement climatique, en lien notamment avec l’Institut national de la recherche agronomique et l’Institut pour la recherche et le développement.

La tomate est une des cultures maraîchères choisies pour ce programme. Samuel Genas est plutôt fier de la serre de sa ferme qui en accueille différentes variétés, comme la « cornue des Andes », la « cœur-de-bœuf » ou la « kaki coing ». « Certaines variétés étiquetées comme telles en supermarché n’en sont que de pâles copies », accuse le maraîcher.
La sélection des variétés de tomates se fait selon les souhaits des maraîchères et maraîchers prenant part au programme. « Les variétés populations que nous avons choisies de cultiver pour leur goût, leur rendement et leur calibre arrivent à maturité un peu tard pour la saison touristique, explique Samuel Genas. L’idée du programme de sélection est de progressivement gagner en précocité tout en gardant les autres propriétés qui nous plaisent. » D’autres critères seront établis par la suite, au fil de l’expérimentation et des besoins.
Une dimension collective
Les semences paysannes ne reposent pas seulement sur des initiatives individuelles isolées. « Pour que les semences paysannes se développent, il faut qu’elles s’échangent, circulent et soient cultivées dans différents milieux », souligne Marie Mokrani, animatrice au sein du Réseau Semences Paysannes. La dimension collective est intrinsèque au travail de sélection.

La concrétisation de cette démarche s’est traduite en 2017 par la création d’une Maison des semences paysannes des Hautes-Alpes, nommée Graine des montagnes. « Les maisons de semences paysannes s’inspirent des banques de semences communautaires d’Amérique du Sud et se développent continuellement depuis les années 2000, détaille Marie Mokrani. Elles permettent de créer un cadre collectif pour l’échange de semences. Les modèles sont divers. Certaines n’accueillent que les paysans, d’autres que les jardiniers. Certaines se spécialisent en semences potagères ou seulement en céréales. »
À Graine des montagnes, les semences sont potagères puisque quatre fermes maraîchères, dont Sarriette et Roquette, sont à l’origine du projet. Ces mêmes fermes fournissent une partie de leur production de semences à l’association.
L’esprit est au collectif : les adhérent
es de Graine des montagnes ont par exemple autoconstruit une colonne « densimétrique ». Cet équipement permet de séparer les résidus des semences elles-mêmes. La machine est mise à disposition des adhérent es et peut donc passer de ferme en ferme ou centraliser le tri de semences, selon les besoins.L’initiative peine toutefois à fédérer plus largement, déplore Samuel Genas. « On essaye de convaincre les maraîchers de la région d’abandonner leurs variétés hybrides pour des variétés populations, décrit-il. Mais ce n’est pas facile, car certains maraîchers restent méfiants, peut-être parce qu’ils ont peur de sortir de quelque chose qu’ils connaissent et qui marche pour eux. »
Nils Hollenstein
Lire les trois volets de notre enquête sur les nouveaux OGM, face auxquels les semences paysannes sont une alternative :
– Comment l’industrie agroalimentaire tente de nous servir de nouveaux OGM
– Brevets sur le vivant : ces six multinationales qui contrôlent l’accès à l’alimentation
– Derrière les promesses des multinationales semencières : 99 % des OGM sont des plantes pesticides
Photo de une : Samuel Genas dans la serre qui héberge les différentes variétés de tomates/©Nils Hollenstein