Photo : Une bénévole s’apprête à donner un cours de français dans le camp de Tioxide, à Calais, aujourd’hui démantelé / © Géraldine Aresteanu
À la suite des deux naufrages d’avril 2015, qui ont fait en tout 1 200 morts, la presse et l’opinion publique ont manifesté à l’égard des migrants un intérêt inédit, qui n’a depuis cessé de croître. La photographie du petit Aylan, retrouvé mort sur une plage turque, le destin des 71 personnes retrouvées étouffées dans un camion en Autriche ont été largement relayés. Les récentes annonces du gouvernement allemand ont montré à ceux qui en doutaient encore qu’une large mobilisation était possible. S’agit-il d’un simple emballement médiatique ou d’un véritable changement de paradigme ? En attendant de connaître la réponse, et pour celles et ceux pour qui s’indigner sur les réseaux sociaux ne suffit pas, il n’est pas vain de s’attarder sur les nombreux exemples de solidarités concrètes, qu’elles soient collectives, dans le cadre d’une association, ou individuelles.
Des livres et des films pour comprendre et mieux agir
Il n’est pas nécessaire d’être un professionnel diplômé pour s’investir dans une cause, mais se documenter et écouter celles et ceux qui ont une longue expertise n’est jamais inutile. Bien des dossiers médiatisés aujourd’hui ont une longue histoire.
Sur Calais, par exemple, on pourra lire les deux livres de Marion Osmont et Haydée Sabéran, parus en 2012, et suivre l’actualité sur le blog Passeurs d’hospitalités de Philippe Wannesson.
Concernant la situation en Syrie ou en Irak, et, de manière générale, au Proche et au Moyen-Orient, d’où viennent une bonne part des réfugiés, le site Orient XXI apporte parmi d’autres des analyses fouillées et accessibles.
Sur l’Érythrée, le livre de Léonard Vincent, lui aussi de 2012, demeure la meilleure entrée pour comprendre le totalitarisme à l’œuvre dans ce petit pays de la Corne de l’Afrique, et les raisons qui poussent des individus au départ.
Photo du film Mediterranea.
Nombre de documentaires et de fictions sont sortis cette année, à la télévision ou en salles, qui donnent la parole aux intéressés. Sur les horreurs rencontrées par les Érythréens au cours de leur périple, on peut voir par exemple La torture au bout du fil et Voyage en Barbarie, tous deux de 2014.
Sur les migrants d’Afrique de l’Ouest et sur la question des disparus, le documentaire de Lætitia Turat et d’Hélène Crouzillat, Les Messagers, fruit de quatre années de travail, est en tout point remarquable. Début septembre, le film d’un jeune réalisateur italien, inspiré de faits réels, est sorti dans 29 salles en France – signe que le sujet touche un public plus large. Il s’intitule Mediterranea et relate une partie du voyage et les désillusions d’un migrant burkinabé, de la Libye à l’Italie du Sud.
Pour « répondre aux préjugés sur les migrations », l’association Ritimo a publié un « guide de survie » qui démonte dix préjugés – sur les aides sociales, l’intégration, l’insécurité ou encore « l’invasion » – qui reviennent en boucle, du café du commerce aux plateaux télés, en passant par les réseaux sociaux.
Partager ces informations, susciter l’intérêt et la curiosité autour de vous sur ces questions, est essentiel si l’on veut que ce sujet continue de bénéficier d’une information fiable et accessible, et que l’opinion publique se montre davantage favorable à l’accueil des migrants et des réfugiés. Malgré la large couverture médiatique, les mobilisations – comme la manifestation qui a eu lieu le 19 septembre, à Calais, avec environ 3 000 personnes – sont la plupart du temps trop peu suivies, hors des cercles militants, pour peser réellement sur les politiques publiques.
Les grandes associations d’entraide
La question des migrants et des réfugiés mobilise depuis longtemps plusieurs acteurs importants du monde associatif. La Cimade, née en septembre 1939, est d’origine protestante. Largement laïcisée, depuis, elle est financée en très grande partie par le ministère des Affaires sociales. Elle a été pendant longtemps la seule association habilitée dans les centres de rétention administrative et conserve une expertise particulièrement précieuse sur ce point. Enfin, elle publie un magazine,Causes communes, qui est une excellente source d’information sur la question migratoire. Le Secours catholique, créé en 1946, dispose depuis 1989 d’une structure dédiée aux réfugiés, le Cèdre. Il est très présent à Calais. Là aussi, il n’est nul besoin d’être croyant pour apporter son soutien.
La Fasti est une fédération de quelque soixante associations qui s’adressent à tous les immigrés. Issue de la gauche chrétienne et du PSU, elle assume aujourd’hui une position altermondialiste, anticapitaliste et féministe. Elle est en particulier très active auprès des déboutés du droit d’asile. France terre d’asile, fondée en 1971, est une association laïque, majoritairement financée par le ministère de l’Intérieur. Elle travaille auprès des réfugiés adultes – notamment au travers des centres d’accueil des demandeurs d’asile – mais aussi des mineurs isolés étrangers, réfugiés ou non. Le GAS (Groupe accueil et solidarité), né en 1979, est lui aussi dédié aux demandeurs d’asile et aux réfugiés politiques. Très ancré à gauche, le Gisti est né dans le contexte de la contestation du début des années 70. Il est spécialisé dans le combat juridique.
D’autres grandes associations ont localement des actions importantes concernant les migrants : la Croix-Rouge – gestionnaire du camp de Sangatte de 1999 à 2002 –, Emmaüs ou Médecins du monde. Ces derniers sont très présents à Calais. La Ligue des droits de l’homme, Amnesty International, le MRAP, le Syndicat des avocats de France – la liste n’est pas exhaustive – sont enfin très impliqués sur ces questions.
Où que vous habitiez en France, vous trouverez une antenne d’une ou de plusieurs de ces associations, ou encore une association locale adhérente à la Fasti.
Toutes ont besoin de bénévoles et de soutien matériel.
Réseaux et structures spécialisés
Nombre d’associations spécialisées ou ouvertes sur ces questions se sont fédérées dans le réseau Migreurop, dont la force est d’avoir su créer des liens avec d’autres structures européennes et africaines. Ce réseau est particulièrement adressé à ceux qui, pour des raisons diverses, cherchent à se documenter de manière précise et actualisée sur les questions migratoires.
Domdom et Nana, devant leur voiture qui contient le matériel permettant aux migrants de Calais de recharger les portables et d’avoir un accès WIFI, quelques heures par jour / © Géraldine Aresteanu
Les Amoureux au ban public est un mouvement luttant pour les droits des couples mixtes. Le Réseau éducation sans frontières (RESF) est un collectif qui œuvre à la fois pour le droit des étrangers et le droit de l’enfant. Il prend la défense des familles ayant des enfants scolarisés en France. Très récemment, il s’est aussi montré très actif sur la question des mineurs isolés étrangers. Concernant ces derniers, il existe une association spécialisée, l’ADMIE, qui assure l’accompagnement des mineurs dans leurs démarches juridiques et administratives. Les bénévoles y sont toujours les bienvenus, qu’ils aient ou non une formation juridique. On trouvera enfin sur le portail InfoMIE de nombreuses informations sur la situation des mineurs isolés étrangers.
Les actions locales de solidarité
Elles sont moins visibles, peu ou pas médiatisées. Pourtant, leur démarche est essentielle, et elles offrent souvent aux bénévoles la possibilité d’une action concrète dans un environnement plus simple à appréhender. Les petites associations existent sur tout le territoire, souvent à l’initiative de travailleurs sociaux qui entendent palier les carences de l’aide publique, de simples citoyens ou des intéressés eux-mêmes réunis en collectifs de sans-papiers.
Magali Nowacki est coordinatrice de la mission adoption au conseil général de l’Aisne. En 2014, elle a créé l’association La Boussole, qui apporte son soutien, entre autres choses, à une dizaine de mineurs isolés hébergés dans un hôtel de la petite ville de Chauny. Les cinq membres ont beaucoup à faire : organiser de temps en temps une journée de visite avec des jeunes pour lesquels aucun séjour n’est prévu par le conseil départemental, assurer leur soutien scolaire, veiller chaque jour aux problèmes de chacun quand l’éducateur ne les visite collectivement qu’une fois toutes les trois semaines, organiser hors période scolaire des cours de français avec l’antenne locale du Secours catholique, etc. Ce ne sont que quelques exemples.
À Saint-Étienne, le père Riffard a fondé l’association Anticyclone. Il accueille les migrants dans son église à Montreynaud, ce qui lui a valu des poursuites de la municipalité pour non-respect des conditions de sécurité, et le soutien d’une large partie de la population locale, présente à ses procès.
À Paris, la sœur Marie-Jo perpétue la tradition d’accueil de l’église Saint-Bernard, entre la Goutte d’Or et la Chapelle. Chaque hiver, elle gère l’accueil d’une dizaine de demandeurs d’asile et effectue de nombreuses maraudes toute l’année.
On notera que ce sont souvent les villes, les quartiers et les départements les plus pauvres qui se montrent les plus accueillants et doivent donc faire face aux plus gros besoins. Les associations qui s’y créent font souvent des miracles avec de faibles moyens.
Agir par soi-même, c’est possible
En dehors de toutes ces structures, il est bien sûr possible d’agir par soi-même en fonction des besoins et de ses compétences. Entre 2008 et 2009, Laura Genz a dessiné le quotidien du Collectif des sans-papiers de Paris, puis a réalisé des cartes postales qui ont permis de collecter l’équivalent de 33 tonnes de riz. Elle a repris la même activité avec le Comité des migrants de la Chapelle en lutte, mobilisé depuis juin 2015 auprès des migrants récemment arrivés à Paris.
Au printemps 2015, à Paris, Tatiana et Stéphanie ont mis en place un projet de cours de français pour les migrants rassemblés sous le pont de la Chapelle. Malgré le démantèlement du camp, elles poursuivent leur projet et ne manquent jamais d’élèves.
Une jeune femme est venue de Belgique avec des vêtements et des toiles de tente pour les réfugiés afghans. Depuis plusieurs semaines, elle passe tout son temps libre avec eux / © Géraldine Aresteanu
À Calais, l’entraide est malheureusement bien moins médiatisée que l’agitation du groupuscule antimigrants. Rappelons pourtant que quelque 200 volontaires viennent prêter main-forte pour les tournées de douches organisées par le camion du Secours catholique.
En une après-midi de février, sur le camp de Tioxide, aujourd’hui démantelé, nous avions rencontré avec la photographe Géraldine Aresteanu, toutes sortes de bénévoles. Dominique et Nadine – « Domdom et Nana » –, lui, ingénieur en retraite, elle, artiste-peintre, faisaient une tournée quotidienne dans les jungles avec deux générateurs pour recharger les portables et un routeur pour un accès de quelques heures au wifi.
Une jeune diplômée belge, en attendant de prendre un poste au Brésil, était venue apporter des vêtements aux réfugiés afghans, dormait sous la tente avec eux depuis quelques jours, faisait le taxi pour qui devait se rendre dans le centre. Une jeune professeure de français, mère de deux enfants en bas âge, venait donner des cours une fois par semaine, le samedi matin. Leur histoire, au fond, était très semblable. Les uns et les autres étaient venus un jour pour voir ce qui se passait sur le camp, parfois après de longues années passées dans la même ville sans jamais s’y arrêter. Depuis, ils n’ont pas cessé d’y revenir.
Accueillir à domicile : Comme à la maison et Welcome en France
Depuis la suppression du « délit de solidarité » en janvier 2013, lequel pénalisait « l’aide au séjour irrégulier », rien n’interdit d’héberger une personne sans-papiers du moment qu’elle ne fait pas l’objet d’une procédure d’expulsion. Certains dispositifs proposent un encadrement pour un accueil de courte durée. C’est le cas de Welcome en France du Service jésuite des réfugiés. D’autres proposent un hébergement à durée variable, comme le nouveau projet « Comme à la maison », lancé par la communauté Singa. Souvent, l’accueil se fait aussi de manière informelle au gré des liens qui se sont créés.
Le secteur associatif reste cependant divisé sur ces nouvelles démarches. Pierre Henry, directeur général de France terre d’asile, a fait part de ses réticences le 17 septembre, sur France inter : « C’est un engagement républicain de la France d’accueillir les personnes qui sont persécutées. C’est sur la solidarité, c’est-à-dire sur l’impôt, que cela s’organise. On ne peut pas laisser l’accueil à la charité. La solidarité, ce n’est pas la même chose. »
Il reste que l’accueil par des personnes privées – ou des associations non mandatées par l’État ou les pouvoirs publics – est apparu après la multiplication des camps de fortune, non seulement à Calais, mais aussi à Paris, Conflans, Dieppe, Bordeaux, Caen, Dunkerque... Par ailleurs, si une part non négligeable de migrants ne relèvent pas du droit d’asile, 70 % des demandes effectuées sont rejetées, contre un peu plus de 50 % en Allemagne et un peu moins de 20 % en Suède. Ces refus administratifs concernent aussi des personnes provenant de pays considérés comme peu sûrs et donc difficilement expulsables.
Le statut de réfugié, surtout s’il est obtenu après un recours auprès de la Cour nationale du droit d’asile, ne signifie nullement qu’une personne se retrouvera du jour au lendemain dans une situation matérielle stable. Dans un tel contexte, si la solidarité des individus peut avoir comme effet pervers d’encourager les pouvoirs publics à se désengager davantage, on devrait surtout s’indigner d’avoir vu perdurer, pendant près de un an – dans l’indifférence de tous et malgré les dénonciations répétées de quelques associations, comme France terre d’asile, justement – l’installation d’un amas de tentes, sans toilettes ni point d’eau, en plein cœur de Paris, sous le pont du métro la Chapelle. Si accueillir chez soi n’est pas la meilleure solution, ne pas réagir renvoie in fine solidarité et charité dos à dos, nous laissant à notre honte.
Olivier Favier