C’est un projet qui avait tout pour plaire. Une usine de traitement des déchets ajoutant au recyclage l’autosuffisance énergétique. Mais à l’usine Ametyst, construite à Montpellier par Vinci et gérée via une délégation de service publique par l’entreprise Suez, l’idée d’une industrie des déchets vertueuse n’a pas résisté à l’épreuve du réel. Depuis son ouverture en 2008, le projet oscille entre fiasco financier, défauts de fonctionnement et nuisance pour les riverains.
« La filière économique du compost, c’est du vent ! Ametyst est une entreprise de démolition écologique », dénonce François Vasquez, président de l’association de riverains de la zone d’activité Garosud, installée au sud de Montpellier. Sur le papier, le principe de l’usine est ambitieux : transformer les ordures ménagères résiduelles, les déchets qui restent après les collectes sélectives, en ressource énergétique, grâce à la méthanisation. Les ordures ménagères sont transformées en biogaz, capté afin de produire ensuite de l’électricité et de la chaleur. En fin de chaîne, les ordures qui demeurent finissent en compost pour l’agriculture. Voilà pour la théorie. Dans la pratique, les usines fonctionnant sur ce procédé qui a émergé il y a une vingtaine d’années en France n’ont pas fait illusion bien longtemps.
Autrefois promu et subventionné par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), le procédé sur lequel se basent ces usines, le « tri mécano-biologique » a finalement disparu des lignes budgétaires après la loi de transition énergétique de 2015. Aujourd’hui, les projets de ce type sont presque systématiquement attaqués au tribunal administratif par des riverains ou des associations écologistes comme à Romainville en 2015. À Angers, c’est l’agglomération qui a décidé de fermer l’usine de traitement des déchets quatre ans seulement après sa mise en service.
Plus de nuisances que de résultats
L’usine Suez de Montpellier aussi est loin des ambitions affichées au lancement. Un simple chiffre suffit pour comprendre ce fiasco : seuls 10 % des déchets qui entrent dans les tuyaux sont valorisés par l’usine Ametyst. C’est encore pire concernant la production de compost : 9000 tonnes selon le rapport d’activité pour l’année 2016, très loin de l’objectif de 33 000 tonnes affiché dans le cahier des charges. Ametyst s’en sort mieux concernant la production d’électricité, mais une partie est absorbée en interne, pour faire tourner l’usine.
Depuis sa mise en service, il y a dix ans, le site a en outre connu divers incidents, dont un incendie, le 13 septembre 2010, qui a fortement réduit l’activité pendant 18 mois. De nombreuses nuisances ont aussi été constatées pour les riverains : odeurs pestilentielles, invasion d’insectes volants et rampants, sans compter le bruit causé par les turbines. L’usine a été construite dans une zone d’activité concertée (Zac), Garosud, à proximité immédiate de nombreuses habitations.
La résidence « Le clos la Massane » se trouve à quelques dizaines de mètres. Elle en est séparée par un simple talus. « Les premières années, c’était une horreur, on ne pouvait pas manger à l’extérieur », rapporte Pascal Martin. Ce patron d’une entreprise de gestion de patrimoine de 53 ans habite l’une de ces maisons depuis plus de vingt ans, héritée de son arrière grand-père. Ce dernier possédait lui-même des vignes à l’endroit où se trouve aujourd’hui la Zac. Des commerces sont également touchés : un restaurant a notamment dû fermer ses portes à cause de la recrudescence des mouches, fatales au commerce. La métropole avait pourtant certifié que l’usine ne produirait aucune nuisance, justifiant le choix d’un site en pleine ville.
Conditions de travail « déplorables »
Du côté du personnel d’Ametyst, un rapport de l’inspection du travail cité par la Cour des comptes en 2017 fait état de conditions de travail « déplorables » [1]. En cause, des « émanations nocives d’ammoniac dépassant les valeurs limites réglementaires et l’exposition des salariés à des dangers mettant en cause leur santé et leur sécurité », souligne la Cour. Des failles dans la sécurité de certains bâtiments ont provoqué plusieurs incidents, notamment la chute d’un ouvrier dans une cuve d’acide.
Dans ce même rapport, la Cour des comptes alerte sur le « dérapage financier » que représente l’usine. Au lancement du projet, en 2003, elle devait coûter 57 millions d’euros. « Puis les réserves émises lors de la réception de l’ouvrage, ainsi que les difficultés de fonctionnement résultant de son défaut de conception, ont nécessité d’importants travaux supplémentaires », écrit la Cour. Au final, Ametyst a coûté 90 millions d’euros, financés par la collectivité. Même ainsi, l’usine ne parvient toujours pas à remplir ses objectifs. « Du fait des limites de la capacité de l’outil livré par le constructeur, la métropole a tenté de compenser les préjudices d’exploitation allégués par son délégataire par le biais d’avenants : pas moins de dix avenants au contrat initial ont été conclus entre juillet 2008 et juin 2013 », ajoutent les magistrats de la Cour des comptes. Or, ces avenants ont pesé sur le bilan financier de l’exécution du contrat de délégation de service public. En clair, la collectivité a payé Suez deux fois plus cher que prévu, parce que l’usine avait été mal conçue.
« Il n’y a pas d’autre solution que le tri sélectif »
Pour Raymond Gimlio, ancien ingénieur en biologie et président de l’Observatoire indépendant des déchets et de l’environnement de la métropole de Montpellier, les conclusions de la Cour des comptes « valident ce que nous dénonçons depuis dix ans : cette usine a été mal conçue. Une usine de méthanisation peut bien marcher à condition que la métropole gère bien le tri des déchets. » Un constat partagé par Jean-Louis Roumégas, député Europe écologie-Les Verts jusqu’en 2017, qui avait pourtant initialement soutenu le projet. « Notre ambition était de monter une filière complète des déchets avec du tri en amont, pour une valorisation qui ne mélange pas les matières », dit-il. Cet ancien président de l’agglomération, entre 2001 et 2008, regrette que ses vœux n’aient pas été suivis d’effets, la métropole n’ayant selon lui pas suffisamment investi pour mettre en place une filière de tri complète. « Il n’y a pas d’autre solution que le tri sélectif. Avec le traitement mécano-biologique des déchets, on déresponsabilise les citoyens. C’est un mauvais choix qui ne permettra pas d’aller vers l’excellence », ajoute l’écologiste.
« Si vous ne triez pas vos déchets, vos biodéchets vont se mélanger à vos déchets résiduels qui incluent des substances médicamenteuses, des produits toxiques détenus dans les détergents, critique encore le riverain François Vasquez. Tout cela va bien gentiment macérer dans la poubelle grise, parce que maintenant les collectes ne se font qu’une fois par semaine. Une fois arrivé à Ametyst, ce joyeux mélange déjà corrompu va encore macérer pendant trois jours dans un hall de maturation avant d’être trié. Le compost qui en sort n’est pas un produit, ça ne peut pas être vendable. » Selon la direction de l’usine, ce compost normé à travers des critères agronomiques et sanitaires est pourtant écoulé auprès de vignerons de la région qui se déclarent satisfaits. La direction d’Ametyst refuse néanmoins de communiquer la liste des bénéficiaires et n’était pas en mesure de répondre à nos questions. Elle continue cependant de vanter les performances de la méthode « avant-gardiste » de l’usine, présentée comme un « centre d’excellence technique ».
La collecte sélective serait-elle la solution pour que ce type d’usine de transformation des déchets fonctionne réellement ? Un audit de l’Ademe sur plusieurs sites indiquait en 2013 que le compost produit à partir de biodéchets est de meilleure qualité par rapport au traitement bio-mécanique [2]. Mais à quel coût ? À Paris, la collecte de déchets triés représente moins de sept kilos par habitant et par an, alors que le poids total de déchets par habitant est d’environ 50 kilos. Pour Jean-Louis Roumégas, une meilleure gestion des déchets passe donc forcément par une reprise en main de la collectivité, qui dans ce domaine, a tendance à « se débarrasser du problème en déléguant aux industriels ». Or, selon l’élu vert, « on ne peut pas faire confiance totalement à l’industrie dans un partenariat public-privé. Ce n’est pas la solution. Il faut que la métropole garde le contrôle. »
Mehdi Boudarene
Photo : CC Ludovic Péron