Résistance

A Notre-dame-des-Landes, les opposants à l’aéroport plus déterminés que jamais

Résistance

par Nolwenn Weiler

La mobilisation reste très forte à Notre-Dame-des-Landes, après une fin de semaine marquée par des affrontements violents, qui ont fait une centaine de blessés. Des manifestations de soutien ont eu lieu dans toute la France. En réponse à la tardive proposition de dialogue du Premier ministre, les opposants exigent le retrait immédiat des forces de l’ordre qui sillonnent le bocage et bloquent les routes depuis quatre jours. Reportage dans la « zone à défendre ».

Retour au calme, ce dimanche, dans la châtaigneraie, au cœur de la « zone à défendre » (ZAD) de Notre-dame-des-Landes. Perché en haut d’un arbre, un zadiste fait le guet. Là où de violents heurts ont eu lieu les jours précédents, une grande table a été dressée. La vie collective, intense et foisonnante, a repris ses droits. Une équipe prépare à manger, d’autres s’occupent de la vaisselle. Le tout bercé par des bruits de pelles, de tronçonneuses, de haches et de scies. Les chemins, impraticables suite au passage des forces de l’ordre et des engins de chantier, sont recouverts de branches et de feuillages.

Dans la clairière, un drapeau signale l’infirmerie. A l’intérieur : un grand matelas. Et sur les étagères en bois récupéré, des petites boites signalant « contusions », « bleus », « compresses », « sérum physiologique ». Simon [1], étudiant infirmier à Rennes, essaie d’y mettre de l’ordre. « On est arrivé vendredi soir, à travers bois. Il faisait nuit, ça commençait à gazer. D’ailleurs, à l’intérieur de l’infirmerie, ça pique encore les yeux quand on bouge des trucs. Pas sûr que l’on puisse réutiliser le matelas. »

Flashball et grenades de dispersion

Réparties dans le bocage, les infirmeries tenues par les occupants ont vu passer une centaine de blessés entre vendredi et dimanche. Les plus sérieusement touchés ont été envoyés à La Vache rit, un hangar prêté par un agriculteur devenu haut lieu de la résistance, et transformé à la hâte en mini-hôpital de campagne. Un médecin bénévole y coordonne les opérations. Les grenades de dispersion lancées par les forces de l’ordre aux pieds des manifestants « laissent des fragments dans la peau et font des blessures ouvertes », explique-t-il.

De nombreuses personnes ont été touchées aux jambes. Une personne évacuée vers l’hôpital samedi en a reçu au bas ventre. « On est un sacré paquet à en avoir pris, témoigne une jeune fille qui passe régulièrement sur la ZAD le week-end. Cela laisse de belles marques. On se retrouve face à des armes de guerres alors que nous sommes « en civil », avec des pantalons très fins, des bottes en caoutchouc ou des chaussures de marche. En face, les CRS sont en tenue combat, coqués de partout. On n’est pas vraiment à égalité. » Un jeune à la lèvre tuméfiée et barrée de quelques points de sutures explique qu’il a reçu un tir de flashball. « Ils visent la tête. C’est très clair. Certains copains ont même vu leurs casques anti-lacrymos voler. »

Tentative de dialogue ?

Après le passage d’un blessé devant les caméras des journalistes – pour convaincre certains incrédules – l’équipe médicale de La Vache rit ajoute que les évacuations vers l’hôpital de Nantes ont parfois été retardées par des forces de l’ordre un peu trop zélées. Ce qui n’a pas empêché Manuel Valls de féliciter ses hommes pour leur travail. Droit dans ses bottes, le ministre de l’Intérieur considère l’opposition au projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes comme un « kyste ».

Samedi, le Premier ministre Jean-marc Ayrault a annoncé l’ouverture de négociations. Un « dialogue » qui, pour les opposants, doit être conditionné au retrait total des forces de l’ordre. D’autant que quelques heures après le communiqué du Premier ministre, ils subissaient une nouvelle offensive sur le terrain. « On ne peut pas parler d’apaisement s’il continue à y avoir une présence militaire massive », a précisé Françoise Verchère, co-présidente du collectif d’élu(e)s doutant de la pertinence de l’aéroport (CeDpa) et membre du Parti de gauche. Manuel Valls a réaffirmé que les opposants ne peuvent pas poser de « conditions » au dialogue.

Mobilisations dans toute la France

Saluée par l’État-major d’Europe Ecologie-Les Verts, cette commission du dialogue – dont on ignore pour le moment la composition – suscite la méfiance de nombreux opposants, qui y voient une nouvelle tentative de division du mouvement. Tout comme l’annonce par les ministres de l’Agriculture, de l’Écologie et des Transports d’un « renforcement des procédures en faveur de l’environnement ». Le respect de ces procédures devrait retarder le défrichement de la zone, qui aurait dû débuter en janvier. « Nous sommes trop habitués aux coups fourrés », glisse un militant. Ces annonces n’ont en rien entamé la mobilisation.

Des dizaines de manifestations ont eu lieu dans les grandes villes françaises durant le week-end, dont Paris, Lille ou Lyon. Des permanences du PS ont été occupées ou murées en Poitou-Charente ou dans le Jura. Et les comités de soutiens se sont multipliés un peu partout. A Nantes, des milliers de manifestants ont convergé samedi vers la préfecture. Le 25 novembre, des élus s’y sont enchaînés. Ils ont finalement été reçus par le préfet, qui leur a demandé d’intercéder auprès des occupants pour que cessent les barricades et autres blocages des routes. « Nous avons répondu que ce n’était pas à nous de régler les problèmes créés par l’opération César, lancée le 16 octobre dernier dans le bocage », tranche Françoise Verchère.

Le changement, c’est pour après-demain ?

Dans la ZAD, les occupants tiennent bon. Ils ont été soutenus tout le week-end par des centaines de personnes, qui ont rallié le site à pied et à vélo pour contourner les barrages des forces de l’ordre autour du site de la châtaigneraie. Des citoyens de tous âges, chargés de vivres, de pelles et de morceaux de bois. Beaucoup sont en colère. « Nous sommes opposés à la construction d’un nouvel aéroport alors que s’ouvrent à Doha les négociations sur le changement climatique. Nous sommes choqués par la répression menée ici contre des jeunes qui ne demandent rien d’autre que de pouvoir vivre autrement, explique Christian, la cinquantaine. On a voté Hollande, on s’attendait à quelque chose d’un peu différent. Mais on comprend que le changement, c’est remis à demain ou à après-demain... »

« Toutes les tares de la société actuelle se concentrent sur cet aéroport : gaspillage des terres, mépris de l’écologie, mépris des hommes qui vivent sur un territoire, refus de voir qu’il faut changer de modèle ». Autant d’éléments qui expliquent la force de la mobilisation, selon Françoise Verchère.
« Ici l’intelligence collective fonctionne à 200% », admire un manifestant. « Pourquoi le gouvernement reste-il aveugle ? Où est passée la reconnaissance du mouvement populaire associatif que l’on est en droit d’attendre d’un ministre de gauche ? » s’interroge-t-il.

Tenir face à la violence de l’État

De nombreuses personnes qui ont découvert le site lors de la grande manifestation de samedi 17 novembre ont tenu à revenir. « Je suis là pour soutenir ces jeunes, témoigne Liliane. Nous allons les aider dans leurs travaux. Je veux qu’ils sachent qu’ils ne sont pas seuls. »

« De nouvelles personnes arrivent, sans cesse », décrit une jeune présente pour le week-end. « C’est important pour tenir face à toute cette brutalité. En plus des violences physiques, il y a la violence psychologique. Ils sont venus samedi après 23h, juste pour nous empêcher de dormir. Mais on s’est organisé. On a fait des quarts, installé un grand feu. On était au chaud et au sec, mieux qu’eux en face, qui étaient en train de se geler. » « Ils l’ont, le Larzac ! », lâche Françoise Verchère. « Et c’est eux qui s’embourbent, c’est eux qui sont dans la violence. Le rapport de force est en train de se construire de notre côté. »

Nolwenn Weiler

Photo de une : Laurent Guizard / Basta!

Photos : ZAD

Notes

[1Les prénoms ont été modifiés