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Non content de devenir un pourvoyeur d’investissements publics au profit des grandes entreprises privées, la nouvelle oligarchie élyséenne offre aux dirigeants et gros actionnaires d’impressionnantes ristournes fiscales. La fiscalité n’est jamais neutre. Souvent décrite comme résultant de choix techniques, elle est en réalité adossée à des choix politiques qui définissent la redistribution des richesses au sein d’une société. Aux Etats-Unis, chaque dispositif de réduction d’impôts « prévoyait de petites sommes pour les catégories les plus basses, ce qui permettait à ses auteurs d’affirmer sans mensonge que la plupart des contribuables verraient leur prélèvement fiscal diminuer. Mais les réductions les plus importantes étaient toujours pour les plus gros. La répartition des revenus étant ce qu’elle est, les bénéficiaires des grosses réductions ont toujours été beaucoup moins nombreux que ceux des miettes offertes à la population », explique l’économiste James Kenneth Galbraith, dans son livre L’État prédateur (Seuil).
Cette remarque s’applique à merveille au bouclier fiscal mis en place par Dominique de Villepin en 2006 puis renforcé par Nicolas Sarkozy en 2007. Il pose comme principe qu’un contribuable ne peut payer en impôt direct plus de 60 % de ses revenus, sous Dominique de Villepin. Le taux est passé à 50 % (en incluant la CSG et la CRDS) en août 2007 grâce à Nicolas Sarkozy. Pour justifier cette mesure, les médias ont réalisé de nombreux reportages sur l’infortuné retraité, possesseur d’un champ de pomme de terre sur l’île de Ré, contraint de payer l’impôt sur la fortune. Un rapport parlementaire publié en juillet 2009 remet les pendules à l’heure. Le député UMP Gilles Carrez indique que les cent foyers ayant reçu le plus d’argent de la part du fisc en 2008 ont capté plus du tiers des remboursements avec un chèque de 1,15 million d’euros en moyenne. Les 1.000 bénéficiaires les plus importants ont reçu à eux seuls 337,2 millions d’euros. Soit 337.200 euros de cadeaux fiscaux par famille et par an !
Mieux que l’euromillion, le bouclier fiscal : 14.000 joueurs, 14.000 gagnants
5 % de l’ensemble des foyers fiscaux qui font jouer le bouclier reçoivent à eux seuls les trois quarts des sommes reversées par le Trésor public. En 2008, le bouclier fiscal a permis à 14.000 familles de soustraire de l’impôt 458 millions d’euros. 14.000 joueurs, 14.000 gagnants ! Le hasard des loteries, c’est bon pour les ouvriers, les chômeurs et les familles monoparentales banlieusardes. « La moyenne de remboursement croît au fur et à mesure que la valeur du patrimoine augmente, ce qui montre le lien structurel existant entre le bouclier et l’impôt sur la fortune », remarque-t-on au Syndicat national unifié des impôts (Snui/Sud-Trésor). Depuis 2009, les contribuables peuvent déduire directement de leurs impôts les sommes dépassant la barre des 50 % sans attendre le remboursement de l’administration.
Si le gouvernement reste droit dans ses bottes, en ces temps de crise, de plus en plus de députés UMP ne sont plus aussi convaincus de la « justesse » du dispositif. Pour preuve les séances houleuses de l’Assemblée nationale qui examine depuis le 20 octobre le projet de budget 2010. La commission des Finances de l’Assemblée a rejeté un amendement UMP proposant de retirer la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) du calcul du bouclier fiscal. Le maintien de ce dispositif, considéré par Xavier Bertrand, secrétaire général de l’UMP, comme « marqueur idéologique », fait de plus en plus grincer des dents. Si des hausses d’impôts devaient avoir lieu, les contribuables les plus aisés ne seraient pas touchés. C’est dans ce contexte que Didier Migaud, président socialiste de la commission des Finances, a proposé un amendement qui augmenterait de 10 % l’Impôt sur les sociétés (IS) payé par les banques en 2010. Christine Lagarde, ministre de l’Economie, n’en veut pas. La Belgique a pourtant adopté une mesure similaire. Les Anglais s’apprêteraient à le faire.
Sauver les banques, même si elles réalisent de confortables bénéfices…
Lorsqu’on examine l’action de Nicolas Sarkozy pour sauver les banques de la tourmente financière, l’expression spoils system (partage du butin) utilisée par James Kenneth Galbraith prend tout son sens. Objectif officiel du gouvernement : sauver les économies des Français et aider les entreprises, notamment les PME, à passer ce mauvais moment. 320 milliards d’euros ont été budgétés pour garantir les emprunts des banques et 40 milliards d’euros ont été réunis pour les injecter, si besoin, dans leur capital. Le plan français se différencie de ceux de ses voisins européens - et du plan de Barack Obama aux Etats-Unis - qui n’ont pas hésité à nationaliser un certain nombre d’établissements au bord de la faillite. En France, on est davantage « civilisé » : l’État peut devenir actionnaire des banques mais seulement à la demande de celles-ci.
Une exception culturelle qui en a choqué plus d’un, y compris les gardiens de l’orthodoxie libérale de la Commission européenne. Celle-ci n’a pas digéré que le gouvernement n’ait pas exigé plus de pouvoir dans les établissements aidés. L’Etat n’est pas entré dans les conseils d’administration (hormis chez Dexia), et n’a pas suspendu le versement des dividendes aux actionnaires. Concurrence déloyale, juge Bruxelles, considérant que ces aides permettent aux banquiers français de pratiquer des taux d’intérêts plus intéressants.
Au total, 3 milliards d’euros ont été injectés dans les fonds propres du Crédit Agricole ; 5,1 milliards pour BNP-Paribas (qui a pu ainsi mettre la main sur les activités du leader belge et luxembourgeois Fortis) ; 3,4 milliards pour la Société Générale ; 1,2 milliards pour le Crédit mutuel et 7 milliards pour les Caisses d’Épargne et Banques populaires. En dehors des Caisses d’Épargne (2 milliards de pertes) et des Banques Populaires (468 millions de pertes), en 2008, chaque établissement affiche un bénéfice en baisse, mais le secteur demeure encore très rentable. BNP-Paribas gagne 3 milliards, la Société Générale 2 milliards et le Crédit Agricole 1 milliard.
La perplexité nous gagne. Le sauvetage des banques par les fonds publics se justifiait-il vraiment ? Ce plan était soumis à conditions : que les banques augmentent de 3 à 4 % le volume de leurs prêts afin de soutenir la relance. Il semble que les établissements financiers aient empoché les aides sans tenir leurs engagements. Malgré sept convocations des grands banquiers à l’Élysée, sous les caméras de télévision, le gouvernement n’a jamais eu l’intention de les contraindre à honorer leurs engagements. Ce cadeau est loin d’être le seul, ni le plus luxueux.
…Et leurs fortunés actionnaires, même s’ils sont déjà méga riches
Pour relancer la machine à prêts entre banques et la circulation de l’argent, l’Etat a créé à l’automne 2008 la Société de financement de l’économie française (SFEF). Celle-ci gère les 320 milliards d’emprunt que le gouvernement s’est engagé à garantir au secteur financier, jusqu’au 7 octobre 2009. Ces mêmes sept grandes banques françaises, à qui l’on assure l’emprunt, se sont vues octroyer 66% du capital de la SFEF. En clair : l’Etat, donc les contribuables, garantit vos prêts, en assume les risques et vous permet d’en empocher les bénéfices sans crainte de perdre de l’argent. La SFEF a rapporté 1,2 milliard d’euros à l’Etat qui possède 34% du capital de la SFEF. Cela induit que les banques (66% du capital) se seraient donc partagées 2,4 milliards d’euros.
Encore mieux : en contrepartie des 19,8 milliards injectés dans les banques, l’Etat recevra 713 millions d’euros d’intérêts. Or, les titres achetés, sans droit de vote dans les conseil d’administration, seront remboursés au prix d’émission : au prix affiché en Bourse au moment où leur cours était au plus bas. L’Etat va ainsi revendre à BNP-Paribas des titres acquis le 31 mars 2009 à 27,24 € alors qu’ils sont cotés aujourd’hui à 58,20 €. Un cadeau de 5,8 milliards d’euros. La Société Générale, elle, économise 6 milliards d’euros. L’addition augmentera lorsque le Crédit Agricole et les Banques Populaires - Caisses d’Epargne passeront au guichet. Cet argent aurait pu servir à combler au moins de moitié le déficit de la Sécurité sociale. La santé de tous ou les gigantesques intérêts financiers de quelques-uns ? L’oligarchie a ses priorités : les banques, leurs actionnaires et leurs gros clients via les fonds d’investissements spéculatifs, où l’on retrouve forcément les fortunes placées par les 14.000 familles.
Autre question : comment les banques arrivent-elles à faire des bénéfices aussi importants alors que l’ensemble de l’économie est en récession ? « Selon certains signes, des éléments du secteur financier ont repris des pratiques de prises de risque qui rappellent celles ayant mené à la crise », s’inquiète Christian Noyer, gouverneur de la banque de France. Une crise financière latente ? Pas grave, les contribuables seront là pour prêter de l’argent aux banquiers. Mais certainement pas au taux du crédit revolving. Cela aussi, comme les jeux de hasard, c’est réservé au bas peuple.
Nadia Djabali
A suivre : Episode 3. Ces « oligarques » aux commandes des grandes entreprises privées, des entreprises et organismes publics. Quand la loi profite aux amis du chef de l’Etat.