Photo : Alain Elorza
Cet article a été initialement publié dans l’hebdomadaire Témoignage Chrétien
Sa timidité n’est qu’apparente. Et la discrète tonalité de sa voix laisse vite place à une élocution déterminée. Car il faut bien plus qu’un brin d’opiniâtreté pour accepter de co-présider un mouvement comme Attac. Surtout au sortir de la grave crise interne qui a secoué jusqu’aux fondations de l’association phare de l’altermondialisme. Attac, c’est plus de 20 000 adhérents répartis dans des dizaines de comités locaux. C’est une multitude d’instances - Conseil d’administration, Collège des fondateurs, Conseil scientifique, Conférence nationale des comités locaux - où siègent des vieux routiers du syndicalisme, des personnalités emblématiques du mouvement alter, des universitaires sûrs de leurs savoirs. Une « richesse » pour Aurélie, comme pour nombre d’adhérents. Mais une diversité complexe à gérer quand éclatent des affrontements politiques, voire politiciens, où ego et susceptibilités personnelles sont parfois à fleur de peau. Ces ingrédients ont coûté cher à l’association, victime pour une majorité de ses fondateurs d’une dérive autoritaire de la direction sortante, suivie d’une fraude électorale en juin dernier, qui s’est conclue par l’éviction du président Jacques Nikonoff à l’occasion d’un nouveau scrutin interne en décembre. C’est dans ce difficile contexte qu’Aurélie Trouvé, une des mieux élues des adhérents candidats au conseil d’administration, et militante depuis six ans, en est devenue à 27 ans la co-présidente, aux côtés de l’économiste bordelais Jean-Marie Harribey. Une co-présidence qui traduit une collégialité retrouvée.
Ingénieur en agronomie, elle a le « profil idéal » au regard de la composition sociologique de l’association - issue de la classe moyenne et très diplômée. Son expertise sur les questions agricoles est reconnue. Mais elle est jeune et femme, dans un milieu peuplé d’hommes d’âge mûr rompus aux joutes oratoires. « Cela a été un choix délibéré, tout en connaissant les difficultés que j’allais rencontrer. Les jeunes femmes peuvent être confrontées à certains blocages, voire certaines réflexions. Pour être sincère, dans le monde militant, je vis un sexisme que j’ai rarement vécu ailleurs ». Combien de fois lui a-t-on sous-entendu qu’elle se servait de son statut de jeune femme pour monter dans l’appareil. L’autre monde possible a encore des progrès à faire... Point de grands discours féministes cependant, chez Aurélie. Plutôt une mise en pratique de principes où l’éthique est aussi importante, voire plus, que la posture idéologique. C’est la mobilisation contre le G8 d’Evian en 2003, alors qu’elle commençait à militer à Attac, qui l’a amené à découvrir l’altermondialisme. « Les conférences bien sûr mais aussi les camps alternatifs et leur vie en communauté où l’on essaie de mettre en oeuvre de nouvelles pratiques, où l’on s’ouvre à l’international ».
Course contre la montre néo-libérale
Sa prise de conscience a été progressive et d’abord familiale. Sa mère enseigne le français dans un lycée de Nîmes. Son père, psychologue de formation, enchaîne les boulots d’intérim, n’ayant pas retrouvé de travail stable après le déménagement de la famille de la Picardie vers le Languedoc. L’association de réinsertion de délinquants, dont s’occupaient ses parents dans la Zup de Saint-Quentin (Aisne), lui permet d’acquérir « une certaine sensibilité aux questions sociales ». Sa carrière sportive lui offre également l’occasion de fréquenter d’autres cercles que ceux de son école d’ingénieur, où déjà elle préside l’association des élèves. « J’ai été sportive de haut niveau en course à pied demi-fond. Cela me procurait un peu d’argent de poche. J’ai arrêté à 22 ans en partie parce que j’étais écœurée par le système de professionnalisation. Mais je me suis régalée car c’est un sport qui permet de côtoyer d’autres classes sociales ». Pendant dix ans, elle participe aux championnats de France. « J’ai à chaque fois raté mes qualifications au championnat d’Europe », sourit-elle. Aurélie a choisi une nouvelle forme de marathon, où réunions, forums et conférences font figure d’épreuves plus ou moins faciles, et où l’on court contre la montre néo-libérale.
« Attac est la première association où je me suis engagée en tant que militante ». Peut-être aussi une manière de se poser après avoir sillonné la France pour suivre ses études. Car l’étudiante Trouvé est l’idéal de la mobilité et de la flexibilité géographiques. Née en 1979 à Saint-Quentin, Aurélie grandit à Nîmes, avant d’étudier à Montpellier, d’intégrer une école d’ingénieur à Toulouse puis de suivre un DEA à Dijon. Elle a tout récemment soutenu sa thèse sur « le rôle des régions européennes dans la redéfinition des politiques agricoles » pour laquelle elle a obtenu les félicitations du jury. Elle se prépare à enseigner à Grenoble tout en effectuant des allers-retours à Paris pour participer aux nombreuses réunions au siège d’Attac à Montreuil. Gare à l’hyperactivité ! La thésarde rend grâce à certains de ses professeurs qui lui ont permis d’approfondir sa prise de conscience politique. « En agronomie, nous abordons la question des OGM, nous nous intéressons à la souveraineté alimentaire et au problème de la politique agricole commune », explique-t-elle. « Aujourd’hui, j’essaie de relier mon travail à ce que je fais au sein d’Attac ».
Une façon de faire différente
Pourquoi a-t-elle préféré Attac campus, la branche étudiante de l’association, plutôt qu’un engagement humanitaire, très prisé dans les grandes écoles ? « Je me suis rendue compte que les dégâts sociaux et environnementaux sont la conséquence d’un système économique précis. Je cherchais une association qui puisse relier l’ensemble de ces questions autour d’une réflexion sur ce système socio-économique. A mon sens, Attac est le seul lieu de contre-pouvoir où il existe un dialogue permanent entre adhérents et organisations à connotation anti-libérale. Il peut donc y avoir débat, construction d’un rapport de force et articulation de propositions face au néo-libéralisme ». Une approche des problèmes qui ne se veut pas sectorielle, mais transversale. « Quelques coups médiatiques, comme ce qu’ont fait les enfants de Don Quichotte, portent leur fruit. Ils ont ramené sur la scène des questions sociales. C’est très important. Mais en même temps, nous voyons comment ce type de revendications est transformé et dénaturé pour pouvoir entrer dans le cadre d’orientations néo-libérales. Il faut donc les porter de manière globale », observe-t-elle.
Aux côtés de la jeune femme, ils sont une poignée de militants d’Attac campus à avoir intégré la direction. « Nous avons une façon de faire qui est différente, des modes d’expression moins formels. Nous essayons d’innover sur plusieurs choses, notamment sur les moyens de communication et la manière de vulgariser les idées. » Reconquérir une jeunesse, trop souvent qualifiée de « dépolitisée » par leurs aînés, est l’une de leurs priorités. « J’ai toujours ressenti cette idée surplombante : de toute façon, les jeunes s’en foutent. Donc on ne s’occupe pas de les politiser. À Attac, de gros efforts ont été nécessaires pour que cette question soit réellement prise en compte », confie-t-elle. « Je crois que chez les jeunes, il y a un vrai sentiment de révolte et une prise de conscience qui commence à se faire. Deux évènements, avec leur expression propre, le confirment : la crise des banlieues puis la révolte anti-CPE. C’est, selon moi, la même souffrance vis-à-vis de la précarité que les jeunes prennent de plein fouet. Avec des classes plus populaires et plus en difficultés en banlieue, qui n’ont pas les mêmes moyens pour s’exprimer que ceux qui réussissent à accéder à l’université ». Une délégation d’Attac a récemment rencontré l’association AC le feu, créée après les émeutes de 2005. Une nouveauté. Mais il reste encore beaucoup à faire pour que les idées altermondialistes soient entendues et portées dans les quartiers populaires, même si des initiatives y émergent, comme celles d’une autre jeune femme, la rappeuse Keny Arkana. Car les analyses produites par le Conseil scientifique, aussi pertinentes soient-elles, ou le dernier pavé publié par Attac, un manifeste pour scier les sept piliers du néo-libéralisme, sont difficilement accessibles pour qui n’a pas suivi d’études supérieures. La co-présidente en a conscience. « Nous parlons beaucoup d’éducation populaire, mais nous avons un énorme travail à accomplir sur nos supports de communication, mais aussi sur nos liens avec les associations implantées dans les banlieues ».
Des banlieues à l’Europe
Aurélie se définit comme athée, ce qui n’empêche pas une certaine curiosité vis-à-vis du fait religieux. La vision sectaire de la laïcité développée par certains l’agace. La nouvelle génération de militants est également plus sensible à la question environnementale. À la différence de ses aînés, souvent issus de la gauche marxiste, pour qui l’écologie passe au second plan. « Comment articuler l’écologie et le social sans les opposer ? Certains ont des propositions qui vont très loin sur le plan environnemental mais qui ne considèrent absolument pas les impacts sociaux que cela peut avoir ». Son attachement à l’espace européen tranche aussi avec la tentation de repli souverainiste perceptible chez certains militants. L’Europe oui, mais pas n’importe laquelle. « L’autre Europe que nous souhaitons est basée sur les droits fondamentaux : droit à la santé, à la culture, à l’éducation, aux services publics, à un environnement saint. Ce n’est pas une Europe basée sur la logique de profit économique ». Aurélie a d’ailleurs passé de longues heures en téléconférence - en anglais - pour finaliser la déclaration des Attac d’Europe, présentée le 24 mars.
Car après plusieurs mois d’atonie, l’association prépare son retour dans le débat public à un moment où la gauche en général est en grande détresse. « Nous avons un rôle à jouer pour interpeller les candidats et stimuler les débats citoyens. Le débat présidentiel porte peu sur les enjeux essentiels. Pas besoin d’être à Attac pour s’en rendre compte ! En particulier sur la question européenne et internationale ». Pas question pour la jeune co-présidente et la nouvelle direction qui l’entoure de rester dans ce « moment d’essoufflement » que connaît le mouvement altermondialiste. « Nous sommes passés d’une période de contestation à une période où les mobilisations doivent s’articuler avec des propositions alternatives. Le mouvement doit maintenant trouver un second souffle », assure-t-elle. Et Attac, encore convalescente, d’être à nouveau capable de sprinter dans cette interminable course vers un monde meilleur.
Ivan du Roy