« Asphyxie mécanique consécutive à une compression thoracique et à une clef de bras pratiquées par les policiers avec trop de force et durant trop longtemps. » Telles sont, selon les expertises réalisées au cours de l’enquête, les causes de la mort de Hakim Ajimi. Violemment interpellé le 9 mai 2008 à Grasse (Alpes-Maritimes) par deux policiers de la Brigade anticriminalité (BAC), le jeune homme de 22 ans est décédé peu après. Plusieurs témoins de la scène ont rapporté que les fonctionnaires, dont le procès se déroule actuellement à Grasse, ont continué à faire pression sur le dos et la nuque du jeune homme alors que, menotté à terre, il s’asphyxiait.
Cette technique d’interpellation, extrêmement violente, est interdite dans divers pays, notamment en Suisse et en Belgique. Selon Amnesty International, certains États américains l’auraient aussi proscrite. Pas la France. En 2010, la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) précisait les précautions à prendre quand les policiers envisagent d’en faire usage : « Lorsque l’immobilisation de la personne est nécessaire, la compression – tout particulièrement lorsqu’elle s’exerce sur le thorax ou l’abdomen – doit être la plus momentanée possible et relâchée dès que la personne est entravée par les moyens réglementaires et adaptés. Ainsi, comme le soulignent régulièrement les services médicaux, l’immobilisation en position ventrale doit être la plus limitée possible, surtout si elle est accompagnée du menottage dans le dos de la personne allongée. Il en est de même, a fortiori, pendant le transport des personnes interpellées. »
Au moins cinq morts par « asphyxie posturale »
Ces « gestes techniques professionnels en intervention » (GTPI), selon le jargon policier, servent aussi pour les reconduites à la frontière de personnes en situation irrégulière. C’est d’ailleurs dans un manuel d’instruction pour la Police aux frontières, relatif à l’éloignement par voie aérienne des étrangers en situation irrégulière, que l’on trouve des précisions : « L’escorteur exerce une traction sur le vêtement en lui imprimant un mouvement de rotation autour du cou. Il maintient cette pression entre trois et cinq secondes pour assurer la contrainte de régulation phonique et la relâche tout en gardant les points de contrôle. Le contrôle et le dialogue avec le reconduit sont maintenus en permanence. Le temps de pression et de relâchement ne doivent pas dépasser trois à cinq secondes. » Ces techniques déstabilisent l’individu physiquement, puisque le contrôle de la tête modifie les repères sensoriels. Elles diminuent sa résistance et l’empêchent de crier. Le manuel liste ensuite les atteintes traumatiques possibles selon la fréquence, la puissance et la force utilisées : « détresse ventilatoire et/ou circulatoire, défaillance de l’organisme, risque vital ».
Mohamed Ali Saoud, le 20 novembre 1998 à Toulon. Karim Aouad, le 20 février 2004 à Marignane. Hakim Ajimi, le 9 mai 2008 à Grasse. Lamine Dieng, le 17 juin 2007, dans le XXe arrondissement de Paris. Ali Ziri, le 20 juillet 2009, à Argenteuil... Au moins cinq personnes sont décédées des suites de ces immobilisations, d’après plusieurs associations de défense des droits de l’homme. En 2007, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour « violation du droit à la vie ».
Le 1er janvier 2012, Wissam El-Yamni, 30 ans, a aussi perdu la vie à Clermont-Ferrand peu après son interpellation jugée extrêmement brutale par des témoins. Encore une « asphyxie posturale » qui aurait dégénéré ? Plutôt que d’esquisser une once de remise en cause de ces techniques d’interpellation, le syndicat d’officiers et de commandants de police Synergie-officiers (second syndicat d’officiers, proche de l’UMP) préfère rappeler que « ce délinquant était très alcoolisé, sous l’emprise du cannabis et d’une forte dose de cocaïne lors de son arrestation, alors qu’il était dans un état d’excitation extrême et s’en était pris aux policiers en leur lançant des projectiles ». Malgré sa mort, les policiers clermontois auraient « fait de leur mieux pour maîtriser un individu déchaîné par la prise de ces substances ». Pas de condoléances à la famille et aux amis de la victime [1].
Totale impunité
Jusqu’à présent, aucun policier n’a été condamné. Les fonctionnaires mis en cause dans la mort de Hakim Ajimi, en 2008, sont actuellement jugés au tribunal correctionnel de Grasse. Alors que les crimes relèvent de la Cour d’assises. Et le procureur n’a requis que des peines avec sursis. Dans un rapport, publié en 2011, consacré aux familles des personnes mortes lors de leur interpellation, Amnesty International rappelle que « dans les affaires où des responsables de l’application des lois sont mis en cause, l’enquête – lorsque enquête il y a – n’est pas conforme aux critères de rapidité, d’indépendance, d’impartialité et d’efficacité établis par les normes internationales relatives aux droits humains ».
L’organisation internationale suggère aussi l’utilisation de méthodes de contrainte « pleinement conformes aux normes internationales relatives aux droits humains, notamment la Convention européenne des droits de l’homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Convention des Nations unies contre la torture, le Code de conduite pour les responsables de l’application des lois (...) ». « Ne serait-il pas opportun que la France décide d’interdire le recours à des techniques d’immobilisation aussi risquées ? », interroge de son côté la Ligue des droits de l’homme. Rappelant qu’en France la peine de mort a été abolie il y a trente ans... Vraiment ?
Nolwenn Weiler
Photo : DR