Rentrée scolaire

« C’est pour cacher la misère » : plutôt que l’abaya, des profs mobilisés dénoncent le manque de moyens

Rentrée scolaire

par Adèle Cailleteau

Postes supprimés, classes surchargées… Avec des professeurs manquants dans près d’un établissement sur deux du secondaire, les enseignants sont mobilisés pour pouvoir accueillir dignement les élèves plutôt que de les exclure.

Cela fait seulement quelques jours que l’école a repris. Et déjà, de la Seine-Saint-Denis aux Ardennes, nombre de collèges et lycées sont touchés par des mobilisations d’enseignants face à la pénurie aggravée de moyens et d’effectifs. Munis de casseroles et de cuillères en bois, une vingtaine d’enseignants du collège Henri-Barbusse de Saint-Denis (93) manifestent devant la direction départementale de l’Éducation nationale à Bobigny. Leur revendication principale : que le seuil de 24 élèves maximum par classe ne soit pas dépassé dans leur établissement classé en réseau d’éducation prioritaire (Rep).

« Déjà l’année dernière, on avait eu des problèmes de tables et chaises manquantes dans les salles de classe », indique une professeure qui souhaite rester anonyme. Une autre, qui enseigne à des élèves allophones – qui sont arrivés en France récemment et ne maîtrisent pas encore bien la langue française –, s’indigne des conséquences de classes à 25 pour les enfants qu’elle accompagne.

« Comme les classes sont surchargées, les élèves qui auraient le niveau pour aller dans des classes classiques restent bloqués dans le dispositif des allophones, ou sont envoyés dans des niveaux inadéquats. Ces élèves sont utilisés comme des variables d’ajustement ! », dénonce l’enseignante.

Après 40 minutes de casserolade, une partie de la délégation du collège Henri-Barbusse traverse un bout du département pour aller apporter son soutien aux enseignants du lycée Maurice-Utrillo de Stains, également en grève. Devant l’établissement, les journalistes se bousculent. Le rectorat de l’académie a même délégué son service de communication sur place.

Heures d’enseignement supprimées

Et pour cause : les grévistes se sont emparés de la polémique de la rentrée autour de l’abaya, cette robe longue désignée fin août par le ministère de l’Éducation nationale comme un symbole religieux musulman. Le vêtement est interdit depuis cette rentrée dans les établissements scolaires au nom de la laïcité. « Abaya 60 heures de cours en moins par semaine ! », « Abaya toujours pas d’infirmière ! », « Abaya plus que trois postes de CPE [conseiller principal d’éducation] au lieu de quatre ! » lit-on sur les pancartes tenues devant leur visage par les enseignantes et enseignants en grève.

Des enseignants manifestent devant un lycée
Devant le lycée Maurice-Utrillo de Stains (Seine-Saint-Denis).
©Adèle Cailleteau

Les personnels mobilisés du lycée dénoncent la polémique lancée par le gouvernement – qu’ils qualifient d’islamophobe – mais aussi leurs conditions de travail et d’enseignement. Des heures de cours supprimées, une vie scolaire amputée d’un demi-poste de conseiller principal d’éducation (CPE) avant la mobilisation – le rectorat est depuis revenu dessus, dans le cadre des ajustements de rentrée –, trois postes vacants en filière générale et trois autres en professionnelle…

L’année dernière, une classe de seconde professionnelle n’a eu aucun cours de français ni d’anglais pendant toute l’année, selon deux professeurs. « Allez rattraper ça, après ! » défie une enseignante. Les profs de la filière professionnelle protestent aussi contre le gonflement de leurs classes de secondes, qui passent de 24 à 30 élèves.

Et l’abaya, dans tout ça ? « Pff, c’est pour cacher la misère », souffle un prof du lycée pro. Pour les enseignants interrogés, cette polémique autour de l’abaya est « un écran de fumée », « du vent », « un moyen pour détourner l’attention ». Ils et elles ne croient pas plus à la tenue unique « jean, t-shirt, veste », évoquée par le président Macron dans son interview accordé à la chaîne YouTube Hugo Décrypte.

« Je veux accueillir tous les élèves. Mon but, c’est que les élèves viennent en cours, pas de leur mettre des stops à l’entrée », peste un membre de la vie scolaire du lycée Utrillo. Il rappelle aussi que les CPE sont déjà trop peu nombreux pour accompagner dans de bonnes conditions les nombreux élèves absentéistes. Comme la plupart des personnels interrogés, il souhaite rester anonyme, évoquant les mutations forcées subies par des enseignants ouvertement militants ces dernières années. « Surtout qu’il y a un buzz autour de notre action, parce qu’on est les premiers à lier la casse du service public aux agressions islamophobes », continue-t-il.

Jusqu’à 37 élèves par classe !

Les mobilisations d’autres établissements n’ont que peu, voire pas du tout été relayées dans les médias. Pourtant, les personnels du collège Travail-Langevin de Bagnolet ont également protesté, pour obtenir un pôle médico-social complet. En cette rentrée, leurs postes d’infirmière et d’assistante sociale sont vacants. Idem au collège Gustave-Courbet de Pierrefitte, dont une partie du personnel a fait grève la semaine dernière.

Ils pointent la suppression partielle du poste d’assistant d’éducation, le poste vacant en dispositif d’inclusion scolaire (les classes Ulis, qui permettent à des élèves en situation de handicap d’être scolarisés), l’état de délabrement de la salle de plonge de la cantine, l’absence de secrétaire d’intendance et, là encore, celle d’un assistant social, d’après le communiqué diffusé le 6 septembre.

« Comme d’autres académies, on a une vraie difficulté à recruter infirmiers et assistants sociaux », confirme le rectorat de l’académie de Créteil, sans vouloir pour l’instant indiquer le nombre d’établissements de l’académie qui n’ont pas de pôles médico-sociaux au complet. Il n’y a pas qu’en Seine-Saint-Denis, le département le plus jeune de France, sur le plan de la population, et l’un des plus peuplés, où le dénuement scolaire ne cesse de s’aggraver.

Des affches de revendications sur un panneau : "classes surchargées", "vie scolaire en PLS"
Au lycée Maryse-Condé de Sarcelles.
©DR

Même scénario à Sarcelles (Val-d’Oise), où la quarantaine de personnels réunis en assemblée générale en début septembre a décidé à l’unanimité de ne pas accueillir les élèves pour leur rentrée au lycée Maryse-Condé. Une délégation s’est rendue devant la direction départementale de l’Éducation nationale du Val-d’Oise. Ils dénoncent les classes surchargées – jusqu’à 37 élèves ! –, les quatre profs et quatre agents techniques manquants, mais aussi les emplois du temps établis en dépit du bon sens.

« Des profs et des élèves n’ont pas de pause déjeuner, on a un prof qui enchaîne neuf heures de suite », explique Hassen Ben Lahoual, professeur de lettres-histoire en filière professionnelle. « Des élèves ont aussi des trous énormes dans leur emploi du temps, ce qui favorise le décrochage scolaire. Alors que nos résultats au bac, c’est une catastrophe. On est 22 points en dessous de la moyenne nationale cette année », insiste l’enseignant. Ce n’est qu’après le rendez-vous à la direction départementale de l’Éducation nationale que la direction de l’établissement a accepté de revoir les emplois du temps.

« Un management désastreux et malfaisant »

Cette pénurie ne frappe pas seulement les académies en périphérie de Paris. « Au 8 septembre, il manquait au moins un professeur dans 48 % des collèges et lycées généraux et technologiques », déplore le principal syndicat enseignant Snes-FSU, s’appuyant sur les remontées de 508 établissements (sur 10 600 collèges et lycées au total). Si l’académie de Créteil est la plus touchée, « on comptait aussi 57 % des collèges et lycées de l’académie d’Orléans-Tours où il manquait au moins un professeur », selon le syndicat.

Au lycée Touchard-Washington du Mans (Sarthe), les enseignants étaient en grève le jour de la rentrée pour dénoncer « un management désastreux et malfaisant ». Dans les Ardennes, un collectif inter-établissements réunit sept collèges frappés par les suppressions de postes.« L’ancien recteur de l’académie de Reims avait pour mission de supprimer 56 postes d’après la loi de finances. Il en a supprimé 74 avec une grande saignée au niveau des Ardennes, puisque 41 postes ont sauté dans le département », dénonce Sylvain Garon, professeur de sciences de la vie et de la terre au collège Jeanne-Mélin à Carignan, et membre du collectif. Le recteur « cost killer », Olivier Brandouy, a rejoint le cabinet du nouveau ministre de l’Éducation nationale, Gabriel Attal.]

Son collègue de mathématiques renchérit : « Il y aurait une baisse démographique et par conséquent des suppressions de postes. Mais dans ce cas, pourquoi avons-nous plus d’élèves par classes, jusqu’à 32 dans certains collèges ? On entend toujours les mêmes arguments, mais ça ne tient pas. »

En lieu et place de réponses au manque d’effectif chronique, les profs s’entendent dire qu’il faut répartir les moyens équitablement entre établissements, dans les Ardennes comme en Île-de-France. « C’est méprisant cette attitude », s’agace Sylvain Garon. Les profs sont aussi unanimes à dénoncer la stérilité de la polémique autour de l’abaya qu’ils le sont à se sentir mépriser par l’institution.

Adèle Cailleteau

Photo de une : Mobilisation au lycée Maurice-Utrillo de Satins (Seine-Saint-Denis). ©Adèle Cailletau