Alors que les négociations internationales sur le climat ont débuté à Lima au Pérou depuis le 1er décembre, les pressions menées par les grands pollueurs industriels s’intensifient en coulisse. Ce lobbying fait l’objet de deux nouveaux rapports sur l’influence des multinationales et des corporate conquistadors de la part d’organisations non gouvernementales [1]. Leur constat est sans appel : « Jusqu’à présent, l’incidence des grandes entreprises sur la prise de décisions a toujours réussi à empêcher que l’on s’attaque aux causes profondes du changement climatique ».
Lobbying agressif, pressions pour faire supprimer les réglementations contraignantes, financement direct de partis politiques, chassés croisés de personnel entre administration publique et secteur privé, forte présence dans les négociations... Quatre multinationales européennes opérant en Amérique du Sud sont visées : le groupe minier britannique Anglo-American, le pétrolier espagnol Repsol, le négociant anglo-suisse de matières premières Glencore Xstrata et l’énergéticien italo-espagnol Enel Endesa. Selon les auteurs des rapports, « les pourparlers sur le climat, de Lima à Paris, risquent d’échouer une fois de plus, parce que la Convention cadre des Nations-Unies sur le changement climatique et les gouvernements sont les esclaves des sociétés transnationales ».
Des pratiques désastreuses au service d’un modèle polluant
Les ONG dénoncent les agissements d’Anglo American qui « continue d’étendre son modèle économique polluant et nuisible au climat, tout en utilisant les fonds verts, les mécanismes de compensation et des solutions technologiques discutables pour s’offrir une image "verte" ». Anglo American possède notamment un tiers des parts d’El Cerrejón, une des mines de charbon à ciel ouvert les plus grandes du monde, située à La Guajira, en Colombie. « Les activités minières à El Cerrejón ont entraîné l’accaparement de terres, la dépossession et une pénurie de l’eau à la Guajira en Colombie », accuse Lyda Forero du Transnational Institute.
Suivant le même modèle, la société pétrolière espagnole Repsol poursuit l’extraction des réserves de pétrolières et de gazières au Pérou. L’entreprise n’hésite pas à forer dans les endroits les plus vulnérables de la planète tels que la forêt amazonienne. Il n’est donc pas surprenant que le pétrolier espagnol fasse partie des 90 entreprises les plus émettrices de gaz à effet de serre au monde. En dépit d’une forte opposition, Repsol a importé massivement en juin dernier des sables bitumineux en provenance du Canada dans l’une de ses raffineries à Bilbao [2].
La multinationale suisse Glencore Xstrata, sur laquelle Basta! a déjà enquêté, est également épinglée par les ONG. Bien que cette multinationale soit accusée de priver les populations péruviennes de moyens de subsistance et de persécution des opposants (voir cet article), le gouvernement continue de lui accorder allègrement des concessions minières sur lesquelles vivent des communautés.
Entre lobbying intensif et greenwashing
« Anglo American a mené un lobbying agressif contre les subventions pour les énergies renouvelables car l’entreprise favorise l’utilisation des énergies polluantes telles que le charbon et le gaz de schiste », observe Pascoe Sabido du Corporate Europe Observatory (CEO). Le rapport illustre également les moyens déployés par les multinationales pour influencer les décisions, en rappelant que Repsol a déboursé en 2013, près d’un demi-million d’euros en lobbying direct à Bruxelles et Washington (Lire aussi : Les milliardaires qui spéculent sur l’avenir de la planète).
Et ce n’est pas tout. Les organisations dénoncent aussi les tentatives de greenwashing qui entourent la construction de méga-barrages. A l’instar du consortium italien Enel-Endesa qui construit un barrage hydroélectrique de 151 mètres de haut dans le département de Huila au sud de la Colombie. Ce barrage entrainera la submersion de 9000 hectares, soit l’équivalent de la ville de Paris sous les eaux. Plus de 2000 personnes sont affectées par ce projet. Le consortium présente pourtant ce barrage comme un « projet d’énergie propre » et « neutre en carbone » (lire le dossier de l’Observatoire des multinationales : à qui profitent les grands barrages ?).
Libérer l’Onu de l’emprise des multinationales
« Anglo American et ses groupes de pression bénéficient d’un accès privilégié aux décideurs, il n’est donc pas étonnant que l’Onu soit à des années-lumière d’un traité juste et ambitieux sur le climat », souligne Pascoe Sabido du CEO. En 2013, la société civile a décidé de quitter la conférence climat des Nations Unies, afin de dénoncer ces collusions (lire cette tribune). Et cela pourrait se reproduire à Lima cette semaine. « Dénoncer les connexions entre les multinationales et les politiques, et délégitimer le fait qu’elles siègent à la table des négociations est crucial si nous voulons tracer une voie différente », précisent les ONG.
Elles appellent l’Onu à réexaminer les processus de décisions afin de limiter l’influence des industries, à dissoudre les groupes d’industriels ayant un « statut privilégié » au sein des négociations officielles, et à adopter un code de conduite pour ses fonctionnaires. « Au lieu d’écouter les pollueurs industriels, les décideurs devraient plutôt prêter une oreille attentive aux peuples », résume Lucia Ortiz, des Amis de la Terre International.
Sophie Chapelle
@Sophie_Chapelle sur twitter
Photo CC : Agustín Ruiz