Quelques mois après la Coupe du monde de football en Russie, les regards se tournent à nouveau vers le Qatar. Le petit émirat s’est vu octroyer, dans des conditions contestées, l’organisation de l’édition 2022 de l’événement sportif le plus suivi au monde. Très rapidement, les dirigeants qataris ont lancé la construction de stades flambant neufs et d’autres infrastructures. Un marché mirifique sur lequel se sont rués les grands groupes mondiaux de construction, dont les français Bouygues et Vinci. Ce dernier était d’autant mieux placé que la famille royale qatarie est l’un de ses principaux actionnaires.
Très rapidement aussi, journalistes, syndicats et associations de défense des droits humains ont tiré la sonnette d’alarme sur les conséquences dramatiques de cette frénésie de chantiers. Des ouvriers migrants en provenance d’Asie ont été appelés par milliers pour travailler dans des conditions caniculaires. Ils ont été parqués dans des dortoirs spartiates, sans droits et sans liberté de mouvement puisque leurs passeports étaient confisqués par les employeurs. Conséquence : des dizaines de décès liés à la chaleur et à l’absence des conditions minimales de sûreté (lire notre enquête : Coupe du monde : Bouygues et Vinci s’installent au Qatar, un pays qui recourt massivement au travail forcé).
Des semaines de 66 à 70 heures pour un salaire misérable
En 2015, après avoir mené l’enquête au Qatar, l’association Sherpa avait déposé une première plainte pour travail forcé contre Vinci et sa filiale locale, Qatari Diar Vinci Construction (QDVC). Le groupe de BTP a d’abord choisi la manière forte en répliquant par une série de contre-plaintes ciblant l’association, ses dirigeants et ses salariés à titre individuel (lire notre article). Constatant l’échec de cette stratégie d’intimidation, Vinci a opté pour une démarche plus éprouvée de « responsabilité sociale », multipliant les engagements publics, les signatures d’accords avec les syndicats et les initiatives conjointes avec d’autres multinationales du BTP pour promouvoir de « bonnes pratiques ». Sous pression de l’opinion internationale, le Qatar a réformé les dispositions les plus controversées de son code du travail. Dans le même temps, la justice française laissait la plainte languir, par manque de moyens et de volonté. Le parquet de Nanterre a fini par la classer sans suite en janvier dernier.
L’affaire allait-elle en rester là ? Sherpa a choisi d’aller mener une nouvelle enquête, en Inde cette fois, auprès d’anciens ouvriers de Vinci. Les témoignages récoltés confirment les passeports confisqués et les conditions terribles qui ont longtemps régné sur les chantiers qataris, avec des semaines de 66 à 70 heures pour un salaire misérable. Vinci a depuis apporté certaines améliorations sociales, mais elles ne concernent souvent que les employés directs, et non les sous-traitants [1].
Munie de ces nouveaux éléments, Sherpa vient de déposer une nouvelle plainte contre le groupe de BTP, aux côtés cette fois du Comité contre l’esclavage moderne et de six anciens travailleurs indiens et népalais, pour « travail forcé », « réduction en servitude », « traite des êtres humains », « travail incompatible avec la dignité humaine », « mise en danger délibérée », « blessures involontaires » et « recel ». La balle est dans le camp de la justice française.
Photo : jbdodane CC via flickr