« Je condamne les violences d’où qu’elles viennent, et je serai intraitable si elles concernent les forces de l’ordre. Chaque signalement, chaque plainte fait systématiquement l’objet d’une enquête », a assuré le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, au cours du débat nocturne sur la loi anti-casseurs, qui restreint la liberté de manifester, ce 30 janvier. Au moins, le ministre n’est plus dans la dénégation totale des violences policières : « Je n’ai jamais vu un policier ou un gendarme attaquer un manifestant ou attaquer un journaliste », déclarait-il deux semaines plus tôt, en visite à Carcassonne, alors que les signalements de blessures graves, de mains arrachées et de manifestants éborgnés s’accumulaient.
Quarante-trois de ces blessés et mutilés, ainsi que leurs avocats et des collectifs de soutien, se rappellent au bon souvenir du ministre de l’Intérieur. Dans un manifeste publié ce 31 janvier par le Collectif « Désarmons-les ! », ils dénoncent « la violence extrême exercée par les forces de l’ordre à notre encontre et à l’encontre de l’ensemble des manifestant-es au cours des mois de novembre et décembre 2018, ainsi que lors de mouvements sociaux antérieurs et dans nombre d’opérations policières au quotidien, et particulièrement dans les quartiers populaires ».
Les demandes d’interdiction des « armes intermédiaires » se multiplient
Les signataires demandent notamment « l’interdiction immédiate et définitive » des armes dites à létalité réduite, ces armes « intermédiaires », dont certaines sont cependant classées comme armes de guerre, et « qui mutilent dans les quartiers populaires et les manifestations » : les grenades à effet de souffle GLI F4, les grenades de désencerclement DMP, les pistolets Flash-balls et fusils Lanceurs de balles de défense (LBD 40). Le 23 janvier, la Ligue des droits de l’Homme (LDH) et la CGT avaient saisi en urgence le tribunal administratif pour faire interdire les tirs de lanceurs de balles de défense lors des manifestations à venir. En vain : leur requête a été rejetée. Les deux organisations, avec le Syndicat de la magistrature et le Syndicat des avocats de France ont également saisi le Conseil d’État sur le sujet. Leur demande a été rejetée le 1er février. Le 17 janvier, c’était le Défenseur des droits, Jacques Toubon, qui demandait la suspension de l’utilisation de ces armes, espérant que « le gouvernement prendra des dispositions ». En vain également.
LBD 40 en position de tir et utilisation d’une grenade, Paris, Bastille, le 26 janvier 2019 / © Serge d’Ignazio
Pourtant le bilan du « maintien de l’ordre » est lourd. Richie, 34 ans, a été le premier éborgné du mouvement, le 19 novembre à Saint-Paul de La Réunion, lors de l’« Acte I ». Il a perdu son œil gauche après avoir été touché par un projectile. Deux mois plus tard, c’est Jérome Rodrigues, l’une des figures des gilets jaunes, qui est atteint à l’oeil par l’éclat d’une grenade de désencerclement ou par un tir de LBD, à Paris lors de l’acte XI, le 26 janvier. Entre ces deux dates, 266 manifestants, 40 journalistes, 35 mineurs et lycéens, 10 passants et 7 « street medics » – des soigneurs bénévoles – ont été blessés ou intimidés par les forces de l’ordre, selon le recensement réalisé par le journaliste indépendant David Dufresne, dont les données ont été publiées par Mediapart.
LBD 40 : équivalent à un parpaing de 20 kg lâché sur un visage
Une personne est également décédée : Zineb Redouane, une femme de 80 ans, morte le 30 novembre à Marseille après que des grenades lacrymogène aient été tirées vers sa fenêtre alors qu’elle fermait ses volets. Parmi les plus de 300 personnes blessées, 160 l’ont été à la tête, 17 ont été éborgnées et quatre ont eu une main arrachée. Les LBD sont responsables de 45 % de ces blessures graves, suivis par les grenades de désencerclement (8 %) et les GLI F4.
Si ces armes ne tuent qu’exceptionnellement – à notre connaissance, flashballs et grenades ont tué quatre personnes en 10 ans (voir ici) [1] – leurs effets marquent cependant à vie celles et ceux qui en sont victimes : « Énucléation, amputation d’extrémité de membre, fracas maxillo-facial et dentaire, traumatisme cranio-cérébral engageant le pronostic vital… Tant de vies ont été ainsi sacrifiées », déplore le neurochirurgien Laurent Thines, chef de service au CHRU de Besançon. Le médecin vient de lancer une pétition pour demander qu’un moratoire soit appliqué. Il y illustre les dégâts causés par un tir de LBD 40 : recevoir en pleine tête une balle en plastique dur dont la vitesse est de 90m par seconde (324 km/h) correspond, selon le neurochirurgien, à se prendre sur le visage un parpaing de 20 kg lâché à un mètre de hauteur. « Je crois qu’il est de notre devoir, en tant que soignants d’alerter sur la dangerosité extrême de ces armes », écrit-il. La pétition a recueilli plus de 70 000 signatures.
Marche blanche à Paris ce 2 février
Les blessés et mutilés signataires du manifeste – ils et elles sont mécaniciens, ouvrier du BTP, conducteur de tram, assistante maternelle, charpentier, infirmière, étudiant ou sans emploi... – demandent également « la garantie d’une impartialité totale de la part des agents de l’IGPN lorsqu’il s’agit d’enquêter sur les conditions des blessures » et « la compensation automatique par l’État à hauteur de 100 % des frais médicaux engagés par les blessés jusqu’à la stabilisation du préjudice ». Seront-ils davantage entendus que le défenseur des droits, des organisations syndicales et de défense des droits humains ?
Ce 2 février, pour l’Acte XII des gilets jaunes, une marche blanche pour les blessés victimes des forces de l’ordre se déroulera à Paris et partira à 12 h de Daumesnil, dans le 12e arrondissement. Des lanceurs de balles de défense et des grenades GLI F4 pourront cependant être, de nouveau, utilisés par les forces de l’ordre.
Rachel Knaebel et Ivan du Roy
Photo : reportage réalisé le 15 décembre 2018 à Toulouse/ ©Tien Tran
– La page Allô place Beauvau, c’est pour un bilan (provisoire)
– La page du Manifeste contre les armes de la police.
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