« Alors que le gouvernement tente de cristalliser l’attention du public et des
agriculteurs sur le prix du lait aux mille litres, des manœuvres plus
sournoises se cachent derrière la crise laitière, nuisant en toute impunité
aux agriculteurs et aux consommateurs.
Aujourd’hui le prix du lait payé au producteur dépend en partie
de sa qualité. Le lait est constitué de matières grasses (MG)
et de matières protéiques (MP). Il doit correspondre à certains
critères bactériologiques et sanitaires (nombre de germes…). Le prix du lait moyen est établi sur la base du « lait standard 38 MG/32MP » [1]. Le prix perçu peut donc être majoré de quelques euros par tonne, par gramme de MG ou MP supplémentaire. Plus un lait est destiné à des fabrications à forte valeur ajoutée, plus il est payé cher. En théorie.
Le rapport entre producteurs et acheteurs est disproportionné. Il peut aller jusqu’à un acheteur pour 10 000 producteurs. Ce déséquilibre ne s’arrête pas là, et ne suffit pas à expliquer le système de soumission imposé aux producteurs.
« La facture est rédigée par l’industriel. En d’autres termes, le vendeur reçoit une facture établie par l’acheteur ! »
La collecte a lieu une fois tous les deux jours. L’industriel vient « relever » les « tanks » réfrigérés qu’il met à la disposition de l’éleveur. Il est seul responsable du contrôle de la sonde qui sert à mesurer la quantité de lait, via l’unique société qui a cet agrément en France. Cela fait déjà beaucoup de responsabilités dans peu de « mains », avec peu, voire aucune, transparence.
Encore une particularité de la filière : les coopératives de collecte, qui
appartiennent quasiment toutes aux industriels, effectuent un échantillonnage du lait - qui va servir au paiement des producteurs - « à l’aveugle ». Le producteur n’est pas averti du jour ou le prélèvement est effectué par le chauffeur. Ce protocole de prélèvement a été décidé par une commission « scientifique et technique » composée de douze membres, dont les industriels, les coopératives de collectes, l’INRA et l’Etat. Sur douze sièges, un seul est attribué aux producteurs, via la FNSEA, ce syndicat proche du gouvernement.
En France, ces mêmes coopératives ont leur propre laboratoire « agréé » et donc effectuent aussi les analyses, qui vont servir au paiement du lait ! Mieux : la facture est rédigée par l’industriel. En d’autres termes, le vendeur reçoit une facture établie par l’acheteur !
Fraude sur la qualité du lait
Les éleveurs doivent vendre leur lait, qui ne se conserve pas. Et dans les
faits, tous les acheteurs de lait se connaissent. S’ils sont concurrents, ils
sont aussi soudés par une solidarité de métier. L’hypothèse peut être
émise de « listes noires » contre des producteurs jugés indélicats. Certains producteurs voient du jour au lendemain leurs analyses laitières
changer et leur taux de germes exploser, ce qui permet au bout de trois analyses à la coopérative de ne plus collecter !
La DGCCRF (Direction générale de la consommation et de la répression des fraudes) a alerté à de nombreuses reprises sur la qualité des laits de
consommation. En 2007, plusieurs échantillons se sont révélés non conformes ou "à suivre". Les analyses ont mis "principalement" en évidence des taux de matière grasse insuffisants. Mais des ajouts d’eau ont aussi été repérés.
Cette pratique de "mouillage" dans la fabrication du lait est admise par la charte de l’Institut professionnel du lait de consommation (industriels). Mais cette charte n’a pas reçu l’aval de l’administration, souligne la DGCCRF, qui estime que ces adjonctions "doivent être considérées comme illicites".
La puissance des industriels
Directrice d’une exploitation laitière pour le ministère de l’Agriculture,
j’ai remarqué des « anomalies » dans les factures sur les taux de matières
grasses et protéiques. Après avoir fait différents tests et échantillonnages
avec d’autres laboratoires, il s’est avéré que des manipulations des
résultats d’analyses servant au paiement des producteurs avaient lieu dans
les laboratoires d’analyses inter-régionaux.
Sommée par le ministère de ne pas me mêler de cette affaire et d’arrêter
là mes investigations, j’ai eu la surprise de recevoir dans mon bureau des
fonctionnaires des renseignements généraux. Refusant, à la demande de certains agriculteurs, de laisser tomber cette affaire, j’ai eu la surprise de constater un matin que la serrure de mon bureau était changée et qu’un nouveau directeur était en place ! Après des menaces (d’envoyés de la coopérative appartenant à l’entreprise Sodiaal) et des coups de téléphone de supérieurs, je commençais alors à subir les foudres de l’administration, qui m’a licenciée sans bruit.
Après un an de pressions, pendant lequel on m’a coupé les « vivres » et empêché d’effectuer toute reconversion professionnelle, je peux dire que la lutte n’est pas vaine parce qu’ils ont fait de moi une révoltée. J’espère que ce témoignage servira à tous les fonctionnaires qui ont connaissance de malversations et qui ont peur de les dénoncer. Des réseaux de soutien existent. Je pense que depuis plusieurs mois les désobeissants commencent à avoir de l’expérience. Il ne faut pas baisser les bras.
J’invite tous les consommateurs à boycotter les grandes surfaces et à
acheter en direct au producteur ou via les AMAP (Association pour le maintien de l’agriculture paysanne) et autres circuits courts. Le pouvoir et la résistance commencent par là. »
Michèle Muret