« Nous étions exploitants agricoles depuis 53 ans et il a fallu qu’on parte pour cette histoire de golf... Je ne suis pas retourné dans notre ferme depuis, tant c’est douloureux », se souvient avec émotion Louis. L’ancien éleveur de vaches laitières et sa famille ont été les premiers à être expulsés en 2018 pour laisser la place au projet du « Golf de la Montagne Noire », dans l’Aude.
Une autre ferme a aussi été achetée et constitue la pierre angulaire d’un projet démesuré qui doublerait quasiment la population de ce village d’environ 500 habitants. Nul doute que la commune de Fontiers-Cabardès serait bouleversée si ce projet aboutit, tant les ambitions des propriétaires du futur complexe sont grandes. Champs agricoles, chemins publics et anciennes fermes devraient laisser place à un complexe golfique de haut standing, d’un budget total de 170 millions d’euros sur plus de 140 hectares.
La liste des équipements donne le tournis, car en plus d’un parcours 18 trous et son club-house, sont prévus : un hôtel-restaurant 4 étoiles (80 chambres et 170 couverts), 68 villas, 52 maisons, 165 appartements et un héliport... Un projet qui interroge alors que les restrictions d’eau à cause de la sécheresse intense ont été mises en œuvre, en particulier dans l’Aude. D’un côté la société Telcapi, gérée par Catherine Lacoste, ex-championne de golf et une des héritières de René Lacoste (fondateur de la marque éponyme), de l’autre l’association Montagne Noire Avenir, constituée d’une majorité d’habitants de la commune, aux profils très variés, et opposée au projet. Au milieu, beaucoup de villageois ne souhaitant pas s’exprimer dans un contexte pesant et clivant.
Une étrange convention signée par l’ancien maire
Le département de l’Aude, qui compte déjà trois golfs, a précédemment vécu un projet similaire, ajourné, qui s’était terminé dramatiquement, avec notamment le suicide d’un maire de la commune voisine de Villardonnel en 2018 et des condamnations pour prise illégale d’intérêt et de complicité pour une partie de l’équipe municipale… À Fontiers-Cabardès, c’est l’ancien maire Yves Bonnafous qui a permis, il y a plus de dix ans, aux promoteurs du projet de se lancer. Des habitants ont alors créé un collectif pour s’y opposer : Les Crocos du Cabardès.
Lettres à la population, manifestations, pétitions ou encore panneaux d’affichage ont fleuri dans le village. Ces actions ont entraîné des représailles : pneus crevés, barrières arrachées chez les agriculteurs avec fuite d’animaux, casse devant leur maison… Plusieurs plaintes ont été déposées. À l’époque, le collectif avait su mobiliser largement et tout particulièrement le monde agricole, rassemblant même les frères ennemis de la Confédération paysanne et de la FDSEA sous leur bannière !
Après de multiples rebondissements, des réunions publiques parfois houleuses, des allers-retours administratifs, dont un avis défavorable de l’administration en 2011 devant le « manque de garanties sur l’équilibre économique du projet et l’impact sur la nature sommairement établi », le golf et ses infrastructures immobilières sont revus à la baisse, mais une épine dans le pied des opposants demeure. Le maire de l’époque a en effet signé une étrange convention d’une durée de 30 ans, sans en informer ses administrés, entre le porteur du projet, la société Telcapi, et la commune de Fontiers-Cabardès.
Le texte indique que la commune doit faciliter, chaque fois que nécessaire, les démarches de l’opérateur… soit l’obtention des autorisations subséquentes d’aménager ou de construire. En cas de non-respect d’une des clauses de la convention par la commune, les indemnités sont fixées à 300 euros par jour civil, soit 109 500 euros par an. Et si la commune s’oppose finalement au projet pendant cette période de 30 ans, elle devra payer aux promoteurs plus de 3,2 millions d’euros – un budget énorme pour une commune de 447 âmes. Une véritable épée de Damoclès donc.
En 2014, l’actuel maire de la commune, Gilbert Plagnes, est élu en se positionnant contre le golf, faisant même du scrutin un « référendum vis-à-vis du golf ». Rassurés, les villageois baissent la garde, l’affaire connaissant divers épisodes jusqu’au 1er février de l’année dernière où ils découvrent en Une de La Dépêche du Midi que leur maire annonce… la relance du projet !
La crainte d’inondations en cas de bétonisation
Remontés contre ce revirement surprise, les habitants ont donc créé une association – Montagne Noire Avenir – qui leur permet de se constituer partie civile pour se laisser la possibilité de lutter sur le terrain judiciaire contre la reprise du projet. « Les enjeux de cette lutte dépassent largement notre village », explique Justine, éleveuse de chèvre et cosecrétaire de l’association. « Cela touche des sujets essentiels comme la gestion de l’eau, l’accaparement des terres agricoles et même la démocratie locale ». Un avis que partage aussi l’autre cosecrétaire de Montagne Noire Avenir et gérante d’un cabinet d’architecture, Anne. « Ce projet va à l’encontre de notre qualité de vie », ajoute-t-elle. « Les touristes qui viennent dans notre village sont là pour l’accès à la nature, c’est une activité importante. Ce tourisme ici est plutôt vertueux, en croissance et bien dans l’époque, contrairement à ce projet golfique ».
L’Aude a été, comme le reste de la France, fortement impacté par le dérèglement climatique et cela n’a fait que renforcer la détermination des opposants. Toutefois, selon les membres de l’association, c’est encore un autre point qui inquiète les villageois : la bétonisation des sols. « Il y a un traumatisme important ici : le 15 octobre 2018, à la suite d’un orage, des coulées de boue ont dévalé abondamment dans la Montagne Noire, avec des dégâts importants et une quinzaine de morts », se rappelle Justine, qui est aussi l’une des porte-parole de la Confédération paysanne locale.
« Artificialiser les sols augmente nos chances de revivre une telle catastrophe. » En effet, ce sont environ 170 hectares de terres agricoles qui disparaîtraient. « Évidemment ce serait mieux que ces terres restent agricoles », confie un paysan, qui veut rester anonyme. Déjà inquiets du retour du loup dans la commune, les éleveurs concernés n’imaginent pas éloigner leurs bêtes davantage.
Le golf, un sport climato-compatible ?
Au fil des températures caniculaires et des restrictions d’eau, le golf a subi la vindicte populaire cet été. Suite aux déclarations – incendiaires - de certains élus de la Nupes au sujet des dérogations obtenues par les golfs pour continuer d’arroser leur green malgré la sécheresse, quelques terrains ont été depuis sabotés par des militants écologistes. « Certains chiffres annoncés par les médias, comme 5000 mètres cubes par jour, étaient délirants », nous fait savoir un greenkeeper de l’ouest de la France travaillant pour la Fédération française de golf .
« En réalité on a arrosé 2 % des parcours. Certains golfs de l’ouest par exemple consomment environ 160 mètres cubes d’eau non potable par jour. Il y a évidemment des abus, mais c’est comme si je vous disais que tous les restaurants sont vertueux... » Malgré les efforts affichés, l’activité reste gourmande en ressource, d’autant que le département indique sur son site qu’ « il y a un déficit chronique en eau dans l’Aude » et que le plan stratégique Aude 2030 prévoit « la réduction des consommations et la préservation des ressources » [1].
L’autre point qui participe au déficit d’image du sport est sans nul doute son côté élitiste. En 2019, l’Insee dressait comme profil type du golfeur un homme de 48 ans appartenant à une catégorie socioprofessionnelle supérieure (21 % des golfeurs gagnent plus de 60 000 euros par an) avec 600 euros investis par an en matériel. Côté tarifs, une licence de golf coûte en France une cinquantaine d’euros. C’est ensuite le droit d’accès aux différents parcours qui peuvent faire monter (grandement) l’addition.
Au golf de Carcassonne, à une trentaine de kilomètres de Fontiers-Cabardès, le coût d’un forfait pour un mois peut s’élever à 550 euros. « Dans leurs discours, les promoteurs répètent que les habitants pourront venir et jouer et que l’école du village y aura accès, sourit le fermier voisin. À mon avis, ce sera un milieu fermé et nous n’aurons pas de contact avec la clientèle ».
Difficile d’imaginer en effet les usagers de l’héliport se mêler aux villageois... Une idée que conteste le patron du seul restaurant du village : « Je suis favorable à la construction du golf, qui m’amènera forcément de la clientèle supplémentaire et améliorera les télécommunications. » L’argument d’un possible développement économique de la commune fait forcément mouche chez certains.
Une gêne politique palpable
De l’absence du sujet durant la dernière campagne municipale au manque de réunion publique depuis, c’est peu dire que depuis l’été caniculaire la classe politique locale semble embarrassée par le sujet. Contacté d’abord par téléphone puis directement à l’accueil de la mairie, le maire Gilbert Plagnes a refusé de répondre à nos questions. L’un de ses adjoints explique sèchement à basta! « qu’à la mairie, nous ne sommes ni pour ni contre le golf ». Devant la taille du projet, difficile à croire en cette neutralité affichée.
De son côté, le service communication de la région Occitanie dit avoir découvert le projet par téléphone. Pascal Poitevin, directeur de la communication du conseil départemental de l’Aude, nous a fait savoir que « les élus du département n’avaient pas encore arrêté leur position ». Politiquement, personne ne semble assumer officiellement le projet... qui pour l’instant se poursuit.
« Que c’est triste de voir ses propres élus refuser le dialogue », regrette Justine, l’éleveuse de chèvres. « Nous sommes tout de même ravis que la chambre d’agriculture se soit enfin positionnée contre ce projet, notamment du point de vue de l’eau ». Si politiquement il est dur d’obtenir un avis, il en est de même avec le promoteur, Néocités, la société toulousaine mandatée par Catherine Lacoste, qui n’a pas donné suite à nos appels.
Quid des engagements pris par la municipalité avec la société Telcapi, qui semble contraindre la municipalité à tenir ses « engagements » ? « Il y a cette convention qui a été signée qui fait que la commune pendant 30 ans verse tous les jours 300 euros », rappelle Louis, le fermier expulsé en 2018. « Moi et ma famille nous nous sommes battus pour rester sur nos terres. Tout le monde aurait fait pareil à notre place. » La brutale manifestation cet été des effets concrets du dérèglement climatique va-t-elle changer la donne ?
Guy Pichard (texte et photos)