« Cher Obama, nous allons utiliser l’opportunité offerte par la présidence italienne de l’Union européenne à partir de juillet 2014, pour accélérer les libéralisations et privatisations proposées dans le cadre du TTIP (Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement, aussi appelé Tafta, ndlr), miraculeux remèdes pour se relever de notre crise profonde ». Point. Signature de haut rang sur Twitter : Le formidable Premier ministre italien Matteo Renzi. Voilà le message sans ambiguïté envoyé par le gouvernement italien aux classes dirigeantes américaines à l’occasion du récent séjour d’Obama en Europe.
Une manière de faire que notre pays connait bien : arguer du besoin d’une « thérapie de choc » économique pour favoriser les intérêts des entreprises privées, pourtant l’un des facteurs principaux de la crise sociale, environnementale, économique mais également institutionnelle, qui affecte l’Europe – et notre pays plus particulièrement – depuis des années. C’est une stratégie de communication perverse mais efficace que « le Premier ministre le plus adepte des réseaux sociaux en Europe » souhaite exporter vers le reste du continent. Et c’est la même politique que ses prédécesseurs, de Berlusconi à Monti, sans aucune distinction, avaient eux aussi imposée. Sans tenir compte des impacts sociaux et environnementaux qu’elle pouvait avoir sur le pays.
Le paradigme italien
Aux yeux du reste du monde, l’Italie se targue de sa « marque de fabrique » nationale depuis son entrée dans l’ère industrielle. Le « Made in Italy » dénote pour l’imagination collective, une attention particulière portée aux matériaux et aux processus de production, à la beauté, et à la durabilité sous tous ses aspects. À une échelle économique plus large, les promoteurs du « Made in Italy » présentent leur organisation industrielle en pôles regroupés de production comme un modèle unique, qui contribue fortement et positivement à la qualité finale des produits et des services fournis. D’autant plus que ces derniers sont très profondément ancrés dans les territoires où ils sont produits et s’identifient à leurs styles de vie, particulièrement dans le cas de l’alimentation, du vin, de la mode, des meubles, mais aussi des services publics et culturels.
Mais ces slogans du « Small is beautiful », de la production basée sur la diversité
territoriale et culturelle sont également brandis par de (très) grands spéculateurs nationaux, qui s’abritent derrière cette identité collective pour poursuivre leurs propres pratiques et intérêts insoutenables. Une partie des entreprises les plus célèbres du « Made in Italy », mettent en place des infrastructures et des chaînes d’approvisionnement injustifiables en Italie et au niveau international. Elles produisent, importent et distribuent des énergies sales. Elles ne recyclent pas suffisamment et produisent énormément de déchets par rapport aux normes européennes. Sans la fermeture de nombreuses usines et la diminution de notre niveau général de consommation, nos émissions de gaz à effet de serre seraient largement plus élevées que les objectifs dont s’est dotée l’Union européenne.
Tels sont les avantages comparatifs qui ont permis aux dix premiers exportateurs italiens de s’accaparer plus des deux tiers des exportations nationales totales. Ce sont les seuls acteurs, aux côtés des actionnaires analysant et représentant leurs intérêts, qui ont quelque chose à gagner d’un accord tel que le TTIP. Le TTIP n’est pas seulement une question de commerce ; ils s’agit de la manière dont ces entreprises entendent commercialiser notre avenir et nos vies.
Lever le voile sur le TTIP
Les mouvements sociaux en Italie sont fluides mais très divers et résilients : apparus au moment du Sommet de Seattle, et malgré une dure répression au moment du G8 de Genève en 2001, nous nous sommes battus et nous sommes parvenus à créer des réseaux, des connexions, à mener des campagnes et des actions massives débouchant sur des résultats concrets : mobilisations pour la paix, le premier Forum social européen dans le cadre du Forum social mondial [à Florence en 2002, Ndlr], campagnes pour le développement de l’économie solidaire en lien avec des organisations de consommateurs critiques, campagne contre l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les Accords de partenariats économiques, les OGM, le changement climatique, la privatisation des services publics, et – dernier point, mais non des moindres – le succès du référendum d’initiative citoyenne affirmant le droit à l’eau pour tous en tant que bien public.
Aujourd’hui, environ 70 associations, groupes communautaires, ONG, syndicats, organisations environnementales, de commerce équitable et de consommateurs, avec l’aide de certains partis, luttent ensemble pour lever le voile sur le TTIP auprès de l’opinion publique italienne et obtenir son abandon, dans la solidarité et aux côtés d’autres organisations et mouvements européens et américains.
L’Europe dont nous rêvons
Une économie de petite échelle, fragile mais résistante, ancrée dans le social et respectueuse de l’environnement, est une réalité en Italie. Elle constitue la seule source de travail et de nourriture pour les personnes exclues ou précarisées, mais aussi pour une partie des classes moyennes qui subsistent encore dans le pays, malgré les efforts de nos élites ces dernières années pour les sacrifier aux intérêts privés. Usines récupérées par leurs ouvriers et transformées en entreprises sociales durables ; projets des réseaux paysans et marchés ruraux et urbains assurant des débouchés à des milliers de petits producteurs ; une agriculture biologique qui conquiert tous les ans de plus en plus de surfaces et de parts de marché malgré la crise ; occupation et redéveloppement de parcelles de terrains et d’espaces abandonnés et dégradés dans les villes, qui deviennent des lieux de production de biens, mais aussi de savoirs, de culture, de services pour une nouvelle économie sociale communautaire.
C’est aussi cela l’Italie et l’Europe dont nous rêvons, et pour lesquelles nous luttons au quotidien. Une société où les individus, l’environnement et les droits sont au cœur de valeurs partagées. Où l’économie est un outil et non une fin en soi. C’est cette Italie que le TTIP menace d’enterrer sous une avalanche de produits bon marché mais de piètre qualité, accompagnée d’une réduction massive des droits sociaux, environnementaux et du travail, pourtant déjà fortement impactés par les politiques d’austérité et de réduction des dépenses publiques promues depuis une vingtaine d’années.
Dire non au TTIP représente pour nous une manière de dire oui à ces communautés solidaires, résistantes, radicales et féroces, à ces hommes et à ces femmes qui luttent « lentius, profundius, suavius », selon les mots d’Alexander Langer, l’un d’entre nous, dans l’un de nos langages les plus anciens et les plus universels : « plus lentement, plus profondément, plus doucement ».
Monica Di Sisto et Alberto Zoratti, Fairwatch/STOP TTIP campaign - Italie
Traduction : Katia Bruneau, traductrice bénévole pour Ritimo
Le texte original en anglais est à retrouver ici.
Pour en savoir plus sur la coalition italienne contre le TTIP : stop-ttip-italia.net
Analyses et rapports de Fairwatch sur le commerce : tradegameblog.com
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