Face aux attaques sur l’énergie solaire, des centrales villageoises résistent

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Des milliers d’habitants alliés aux collectivités et à des entreprises locales développent en France des coopératives pour produire de l’électricité photovoltaïque. Une commune de 700 habitants a fait essaimer le concept de centrale villageoise.

par Sophie Chapelle

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C’est une des premières initiatives françaises qui permet la reprise en main des choix énergétiques à l’échelle locale et de manière coopérative. Sur la commune des Haies, dans le Rhône, la première centrale photovoltaïque villageoise a été mise en production en 2014. Dans ce village de 740 habitantes, huit bâtiments publics et privés, dont l’école, la mairie et la salle polyvalente, ont été équipés de toitures solaires.

Grâce à l’épargne citoyenne, ces 523 mètres carrés de panneaux produisent à l’année 85 mégawattheure (Mwh), soit la consommation en électricité d’une trentaine de foyers. Chacune des huit installations est raccordée au réseau public de distribution d’électricité et y injecte sa production électrique.

Des personnes en gilo fluorescents avec des vélos devant des bâtiments dont les toitures sont équipées de panneaux photovoltaïques.
Le 14 juin 2025, 25 personnes se sont retrouvées sur la commune des Haies pour une randonnée à vélo visant à découvrir les 13 installations solaires des Centrales villageoises de la région de Condrieu.
©CVRC

« Tout était à inventer », se souvient Vincent Bracco, un des membres fondateurs de la centrale villageoise. Dans les années 2010, « les parcs naturels étaient démarchés pour de gros projets photovoltaïques au sol qui supposaient de raser les forêts. On était motivés pour développer les renouvelables mais on avait conscience que si on laissait faire, ce serait n’importe quoi ! » L’idée grandit de produire de l’énergie renouvelable, en commençant par le solaire, avec la participation des citoyennes et le soutien des collectivités.

graphique sur le coût de l'opération de la cnetrale villageoise des Haies
Les huit installations photovoltaïques ont été financées à hauteur de 47 500 euros par des actionnaires locaux, majoritairement citoyens.
©CRVC

« Les parcs naturels régionaux du Pilat et du Vercors avaient la volonté de travailler sur le projet, ainsi que la communauté de communes, indique Vincent Bracco. Sur les Haies, des élus dont le maire ainsi que des habitants étaient motivés pour constituer un premier noyau. » Les toitures de ce village connaissent une belle exposition au soleil, nichées près des vignobles des Coteaux de Condrieu. Mais il y a aussi, et surtout, une équipe d’une dizaine de bénévoles, habitants ou élus de la Région de Condrieu, motivés et pleins d’énergie.

Face à la complexité de produire soi-même son électricité, ce petit groupe, accompagné par le Parc du Pilat et Rhône-Alpes Énergie-Environnement, crée la SAS CVRC, pour Centrales villageoises de la région de Condrieu, en 2014. Dans leur modèle de fonctionnement, chaque personne dispose d’une voix lors des prises de décisions. Les huit installations photovoltaïques sont alors financées à 33 % par des actionnaires locaux, majoritairement citoyens. Le choix d’implantation des panneaux est débattu collectivement. Pour ce projet, les panneaux solaires choisis sont de fabrication européenne et des entreprises locales réalisent l’installation.

77 centrales villageoises en métropole

Parti d’une commune rurale, ce projet fait éclore le modèle des centrales villageoises. Pas de grand groupe pour produire : juste des habitantes qui choisissent de participer activement à une production d’énergie verte, locale et collective. Le réseau comptabilise aujourd’hui 77 centrales dans dix régions avec 8000 citoyennes actionnaires.

la carte des centrales villageoises en métropole
Depuis 2018, les centrales solaires villageoises se sont dotées d’une association mère pour chapeauter un réseau en expansion. Elles partagent de nombreux outils : site internet, formation juridique, police d’assurance...
© Centrales villageoises

L’ensemble de ces centrales villageoises sont des sociétés locales à gouvernance citoyenne – sous forme de société par actions simplifiée (SAS) ou de société coopérative d’intérêt collectif (Scic) – qui associent citoyennes, collectivités et entreprises locales. Les habitantes peuvent participer de plusieurs manières. Il est possible de prendre des parts dans la société – sachant que le nombre d’actions par actionnaire est limité -, de mettre son toit à disposition si on est propriétaire, ou bien encore de proposer bénévolement ses compétences.

Lors de l’installation, la société devient propriétaire des panneaux en toiture : elle les exploite et vend l’électricité produite sur le réseau. Les installations sont toutes d’une taille inférieure à 100 kilowatt-crête (kWc) chacune, ce qui leur permet de bénéficier d’un tarif d’achat fixé par le gouvernement. Les recettes issus de la vente d’électricité permettent à la société de payer des charges (maintenance, assurances, loyers, etc.) et alimentent les bénéfices.

Ceux-ci peuvent permettre de lancer d’autres projets d’installation d’énergie renouvelable, ou être distribués sous forme de dividendes aux actionnaires, selon le vote en assemblée générale. « Ce n’est pas la bourse », prévient, en souriant, Odile Delorme, une des membres fondatrices, qui préside actuellement la SAS CVRC. Les actionnaires ont ainsi décidé de ne pas se verser de dividendes depuis la création, mais plutôt d’investir dans de nouveaux projets et de valoriser l’action de 30 % en dix ans (le montant d’une action est aujourd’hui de 65 euros, contre 50 euros au départ).

Se développer dans un contexte mouvant

Autour du village des Haies, les centrales villageoises ont essaimé. La SAS CVRC, tiers investisseur, a équipé de nouveaux bâtiments privés (entreprises) et publics dans d’autres communes à proximité (Condrieu, Chuyer, Ampuis, Saint-Michel-sur-Rhône), afin de revendre de l’électricité renouvelable. Depuis dix ans, 200 actionnaires ont rejoint l’aventure, essentiellement des citoyennes.

Des personnes en chasuble jaune sur des vélos.
Une randonnée à vélo a été organisée par Tim Bodo, le 14 juin 2025, à travers les cinq communes qui ont rejoint la SAS CVRC. L’ingénierie et le financement de la SAS CVRC ont notamment permis à la commune d’Ampuis d’équiper la toiture de son stade de rugby de 489 m2 avec des panneaux photovoltaïques. Soit 99,8 KwC.
© SAS CVRC

Au total, la SAS CVRC comptabilise 1658 mètres carré de surface photovoltaïque, ce qui permet de produire 350 Mwh/an. Historiquement, le modèle privilégié était la vente totale de l’électricité à la société EDF Obligation d’achat, une filiale d’EDF chargée d’acheter l’électricité renouvelable produite par les particuliers et les professionnels. Dans ce cas là, le propriétaire du bâtiment s’approvisionne auprès de son fournisseur d’électricité, sans lien avec la production photovoltaïque.

Plus récemment, certaines centrales villageoises mettent en place des opérations d’autoconsommation collective qui permettent aux consommateurs situés à proximité des centrales de production d’acheter de l’électricité en direct auprès du producteur. C’est le choix récemment opéré par la commune de Lucinges en Haute-Savoie, et qu’envisage aussi de déployer la SAS CVRC dans le village de Trèves, dans le Rhône.

« Le contexte est mouvant », déplore Vincent Bracco qui pointe les changements réguliers de tarification pouvant plomber des budgets. En mars dernier, le gouvernement a ainsi pris un arrêté qui a marqué un coup d’arrêt brutal aux projets photovoltaïques de moins de 500 kWc. En l’occurrence ce sont tous les projets solaires sur les moyennes toitures qui sont visés. « Les tarifs ont longtemps été plus intéressants pour les petits toits », note Tim Bodo, salarié depuis quelques mois de la SAS CVRC. Il est chargé de développer les projets collectifs ou individuels, en rive droite du Rhône. Il existe d’autres solutions maintenant pour les particuliers », ajoute l’ingénieur, comme les kits d’autoconsommation individuelle.

Le 19 juin dernier, l’Assemblée nationale a adopté un moratoire sur le photovoltaïque et l’éolien, avec les voix de la droite et du RN. Une majorité de députés a finalement rejeté en vote solennel, mardi 24 juin, l’ensemble de la proposition de loi qui comprenait cet amendement. Malgré tout, le vote précédent contre les renouvelables marque, selon l’association Centrales villageoises, « le point d’orgue d’attaques et de régressions sur les énergies renouvelables que nous observons depuis le début de l’année ». Sur Linkedin, l’association pointe « le degré de déconnexion entre l’adhésion massive de la population à cette forme d’énergie et les politiques idéologiques d’hier, poussées par une partie grandissante de la classe politique. » Selon un sondage mené par l’institut YouGov l’année dernière, huit français sur dix sont favorables au développement des énergies renouvelables sur le territoire.

Boîte noire

Mise à jour du 24 juin : Nous avons ajouté l’information sur le rejet en vote solennel de l’ensemble de la proposition de loi qui comprenait l’amendement sur le moratoire sur les énergies renouvelables

Je réside près de la commune des Haies et j’ai souscrit une action à 50 euros lors de la première assemblée générale de la SAS CVRC. Je n’ai jamais perçu de dividende sur ce projet. La manière dont ce projet pionnier d’épargne citoyenne en faveur des renouvelables a essaimé en plein milieu rural, a confirmé l’envie de le faire connaitre auprès des lectrices et lecteurs de Basta!.