C’est une des premières initiatives françaises qui permet la reprise en main des choix énergétiques à l’échelle locale et de manière coopérative. Sur la commune des Haies, dans le Rhône, la première centrale photovoltaïque villageoise a été mise en production en 2014. Dans ce village de 740 habitant
es, huit bâtiments publics et privés, dont l’école, la mairie et la salle polyvalente, ont été équipés de toitures solaires.Grâce à l’épargne citoyenne, ces 523 mètres carrés de panneaux produisent à l’année 85 mégawattheure (Mwh), soit la consommation en électricité d’une trentaine de foyers. Chacune des huit installations est raccordée au réseau public de distribution d’électricité et y injecte sa production électrique.

« Tout était à inventer », se souvient Vincent Bracco, un des membres fondateurs de la centrale villageoise. Dans les années 2010, « les parcs naturels étaient démarchés pour de gros projets photovoltaïques au sol qui supposaient de raser les forêts. On était motivés pour développer les renouvelables mais on avait conscience que si on laissait faire, ce serait n’importe quoi ! » L’idée grandit de produire de l’énergie renouvelable, en commençant par le solaire, avec la participation des citoyen
nes et le soutien des collectivités.
« Les parcs naturels régionaux du Pilat et du Vercors avaient la volonté de travailler sur le projet, ainsi que la communauté de communes, indique Vincent Bracco. Sur les Haies, des élus dont le maire ainsi que des habitants étaient motivés pour constituer un premier noyau. » Les toitures de ce village connaissent une belle exposition au soleil, nichées près des vignobles des Coteaux de Condrieu. Mais il y a aussi, et surtout, une équipe d’une dizaine de bénévoles, habitants ou élus de la Région de Condrieu, motivés et pleins d’énergie.
Face à la complexité de produire soi-même son électricité, ce petit groupe, accompagné par le Parc du Pilat et Rhône-Alpes Énergie-Environnement, crée la SAS CVRC, pour Centrales villageoises de la région de Condrieu, en 2014. Dans leur modèle de fonctionnement, chaque personne dispose d’une voix lors des prises de décisions. Les huit installations photovoltaïques sont alors financées à 33 % par des actionnaires locaux, majoritairement citoyens. Le choix d’implantation des panneaux est débattu collectivement. Pour ce projet, les panneaux solaires choisis sont de fabrication européenne et des entreprises locales réalisent l’installation.
77 centrales villageoises en métropole
Parti d’une commune rurale, ce projet fait éclore le modèle des centrales villageoises. Pas de grand groupe pour produire : juste des habitant es qui choisissent de participer activement à une production d’énergie verte, locale et collective. Le réseau comptabilise aujourd’hui 77 centrales dans dix régions avec 8000 citoyen nes actionnaires.

L’ensemble de ces centrales villageoises sont des sociétés locales à gouvernance citoyenne – sous forme de société par actions simplifiée (SAS) ou de société coopérative d’intérêt collectif (Scic) – qui associent citoyen
nes, collectivités et entreprises locales. Les habitant es peuvent participer de plusieurs manières. Il est possible de prendre des parts dans la société – sachant que le nombre d’actions par actionnaire est limité -, de mettre son toit à disposition si on est propriétaire, ou bien encore de proposer bénévolement ses compétences.Lors de l’installation, la société devient propriétaire des panneaux en toiture : elle les exploite et vend l’électricité produite sur le réseau. Les installations sont toutes d’une taille inférieure à 100 kilowatt-crête (kWc) chacune, ce qui leur permet de bénéficier d’un tarif d’achat fixé par le gouvernement. Les recettes issus de la vente d’électricité permettent à la société de payer des charges (maintenance, assurances, loyers, etc.) et alimentent les bénéfices.
Ceux-ci peuvent permettre de lancer d’autres projets d’installation d’énergie renouvelable, ou être distribués sous forme de dividendes aux actionnaires, selon le vote en assemblée générale. « Ce n’est pas la bourse », prévient, en souriant, Odile Delorme, une des membres fondatrices, qui préside actuellement la SAS CVRC. Les actionnaires ont ainsi décidé de ne pas se verser de dividendes depuis la création, mais plutôt d’investir dans de nouveaux projets et de valoriser l’action de 30 % en dix ans (le montant d’une action est aujourd’hui de 65 euros, contre 50 euros au départ).
Se développer dans un contexte mouvant
Autour du village des Haies, les centrales villageoises ont essaimé. La SAS CVRC, tiers investisseur, a équipé de nouveaux bâtiments privés (entreprises) et publics dans d’autres communes à proximité (Condrieu, Chuyer, Ampuis, Saint-Michel-sur-Rhône), afin de revendre de l’électricité renouvelable. Depuis dix ans, 200 actionnaires ont rejoint l’aventure, essentiellement des citoyen
nes.
Au total, la SAS CVRC comptabilise 1658 mètres carré de surface photovoltaïque, ce qui permet de produire 350 Mwh/an. Historiquement, le modèle privilégié était la vente totale de l’électricité à la société EDF Obligation d’achat, une filiale d’EDF chargée d’acheter l’électricité renouvelable produite par les particuliers et les professionnels. Dans ce cas là, le propriétaire du bâtiment s’approvisionne auprès de son fournisseur d’électricité, sans lien avec la production photovoltaïque.
Plus récemment, certaines centrales villageoises mettent en place des opérations d’autoconsommation collective qui permettent aux consommateurs situés à proximité des centrales de production d’acheter de l’électricité en direct auprès du producteur. C’est le choix récemment opéré par la commune de Lucinges en Haute-Savoie, et qu’envisage aussi de déployer la SAS CVRC dans le village de Trèves, dans le Rhône.
« Le contexte est mouvant », déplore Vincent Bracco qui pointe les changements réguliers de tarification pouvant plomber des budgets. En mars dernier, le gouvernement a ainsi pris un arrêté qui a marqué un coup d’arrêt brutal aux projets photovoltaïques de moins de 500 kWc. En l’occurrence ce sont tous les projets solaires sur les moyennes toitures qui sont visés. « Les tarifs ont longtemps été plus intéressants pour les petits toits », note Tim Bodo, salarié depuis quelques mois de la SAS CVRC. Il est chargé de développer les projets collectifs ou individuels, en rive droite du Rhône. Il existe d’autres solutions maintenant pour les particuliers », ajoute l’ingénieur, comme les kits d’autoconsommation individuelle.
Le 19 juin dernier, l’Assemblée nationale a adopté un moratoire sur le photovoltaïque et l’éolien, avec les voix de la droite et du RN. Une majorité de députés a finalement rejeté en vote solennel, mardi 24 juin, l’ensemble de la proposition de loi qui comprenait cet amendement. Malgré tout, le vote précédent contre les renouvelables marque, selon l’association Centrales villageoises, « le point d’orgue d’attaques et de régressions sur les énergies renouvelables que nous observons depuis le début de l’année ». Sur Linkedin, l’association pointe « le degré de déconnexion entre l’adhésion massive de la population à cette forme d’énergie et les politiques idéologiques d’hier, poussées par une partie grandissante de la classe politique. » Selon un sondage mené par l’institut YouGov l’année dernière, huit français sur dix sont favorables au développement des énergies renouvelables sur le territoire.