Est-ce parce qu’elle a porté plainte pour agression sexuelle contre un client du prestigieux hôtel parisien Park Hyatt Vendôme, que Mariama Diallo – femme de chambre – a été licenciée ? Pour l’Association européenne contre les violences faîtes aux femmes au travail (AVFT), intervenante volontaire aux côtés de la plaignante ce 13 avril devant le conseil des prud’hommes de Paris, le lien entre les deux événements ne fait aucun doute. « Mme Diallo a porté plainte en juillet 2010, et a appris courant septembre qu’elle devait changer d’hôtel, alors qu’elle avait toujours donné satisfaction au Park Hyatt, qui était son lieu de travail depuis plus de six mois, précise Marilyn Baldeck, déléguée générale de l’AVFT. Quand elle a demandé des explications à sa supérieure hiérarchique, celle-ci lui a répondu que le Park Hyatt avait demandé à ce qu’elle ne travaille plus chez eux. Sa mutation résulte donc directement de la dénonciation des violences sexuelles qu’elle a subies. »
Dans la plainte qu’elle dépose le 28 juillet 2010, la femme de chambre dit avoir été agressée la veille, dans la salle de bain de la chambre numéro 327, aux alentours de 19h. « Je me suis rendue dans la salle de bain, le client qui se trouvait dans la chambre m’a suivie et m’a enserrée avec ses bras par l’arrière. Je lui ai demandé de me lâcher et il ne m’a pas lâchée, il a mis sa main dans mon pantalon et passé celle-ci sur mes fesses. J’avais la douche dans les mains et je lui ai mouillé les pieds avec. Il est resté devant la porte de la salle de bain et a baissé son pantalon puis s’est masturbé devant moi. » L’agression aurait été interrompue par l’arrivée de la famille de l’agresseur présumé, qui aurait alors quitté la chambre. « Mme Diallo a immédiatement averti la direction de l’hôtel, qui l’a renvoyée chez elle pour qu’elle se repose, lui assurant qu’elle s’occupait de tout », souligne Marilyn Baldeck. « Elle n’a réalisé que le lendemain que la police n’avait pas été contactée. On a perdu 24h. » Entre temps, le client mis en cause – membre de la délégation du prince qatari Al-Thani – avait quitté l’hôtel, puis la France.
Trois ans pour diligenter une enquête
Qu’en pense la direction du Park Hyatt ? « Nous ne sommes pas en mesure de commenter un procès en cours », nous a-t-elle répondu. Mais elle n’a jamais remis en cause la réalité de l’agression et avait assuré, après les faits que « le management de l’hôtel » a soutenu la femme de chambre « dans la démarche qu’elle a entreprise auprès des services de police » [1]. Quant à la société française de service (SFC), sous-traitant de l’hôtel et employeur direct de la femme de chambre, elle rejette en bloc l’accusation de licenciement abusif [2]. « La plaignante oublie de mentionner que son contrat contenait une clause de mobilité, relève l’avocat de la société Jean-Philippe Feldman. Elle a en plus été mutée dans Paris, vers un autre grand hôtel. Ce n’est pas comme si on l’avait envoyée dans une lointaine banlieue ! »
Concernant l’agression dénoncée, les propos de l’avocat de l’entreprise de nettoyage restent prudents : « Je ne dis pas que les faits n’ont pas eu lieu. Mais il y a des contradictions dans les propos de la plaignante. Et le timing de toute cette histoire est bizarre. Pourquoi est-ce que cela a autant traîné ? » Licenciée en janvier 2011, Mariama Diallo a saisi les prud’hommes en juillet suivant. « La procédure prud’hommale dépend du règlement de la procédure pénale, explique Marilyn Baldeck. Nous étions en attente des conclusions de l’enquête. » Et la dite enquête a, étrangement, énormément traîné.
D’abord classée sans suite, sans que la plaignante n’en soit avertie, l’affaire est relancée en mai 2011, juste après la diffusion du témoignage de Mariama Diallo sur France 3. Nous sommes alors en pleine affaire DSK, qui fait se délier les langues de ce côté-ci de l’Atlantique. « Officiellement, une enquête est ré-ouverte, dit Marilyn Baldeck. Puis il ne se passe rien pendant près de trois ans ! Il a fallu que l’on écrive au procureur de Paris pour lui signifier notre impatience pour qu’une juge d’instruction soit enfin nommée ! »
« La juge d’instruction qui se saisit du dossier s’est étonnée que l’on ait autant traîné dans cette affaire, souligne Maude Beckers, l’avocate de Mariama Diallo. On aurait bien aimé que l’hôtel appelle immédiatement la police, sans laisser le temps à son client de faire ses valises. On n’en serait pas là aujourd’hui ! C’est d’autant plus choquant que si Mme Diallo avait été accusée de vol, on aurait appelé la police tout de suite, ça n’aurait pas fait un pli ! Même quand les femmes de chambre cassent un flacon de parfum, c’est toute une histoire. »
L’impossible identification officielle du mis en cause
« Personne ne remet en cause les dire de Mme Diallo, souligne Marilyn Baldeck. C’est tellement vrai que le 28 juillet, le secrétaire de la délégation du prince du Qatar signe conjointement avec la directrice de l’hébergement, et le directeur de la sécurité, un document à en-tête du Park Hyatt où il est écrit que le mis en cause n’est plus admis à séjourner dans aucune des propriétés de Hyatt en France. » La juge d’instruction reconnaît de son côté sans la moindre ambiguïté la réalité de l’agression subie par Mariama Diallo : « A l’issue de l’information, il apparaît que les déclarations circonstanciées et réitérées de la partie civile sont corroborées par les symptômes psychologiques constatés par l’expert ainsi que par certains des témoins entendus lesquels confirment avoir pu recueillir les doléances de l’intéressée » , peut-on lire dans l’ordonnance de non-lieu, rendue en août 2015 [3].
« Les délais qui se sont écoulés depuis l’agression sont tels que la juge d’instruction a été obligée de prononcer un non lieu, parce que l’on ne peut plus retrouver le gars ! », s’insurge Maude Beckers. Mariama Diallo l’a pourtant reconnu sur les images des caméras de surveillance de l’hôtel. Plusieurs photos de lui figure dans le dossier d’instruction. « Mais sans passeport, sans nom complet et précis, sans définition de sa fonction au sein de la délégation et sans date de naissance, l’identification formelle est impossible. L’État français ne peut pas le poursuivre. »
La direction de l’hôtel n’a pas été en mesure de donner la liste de ses clients. « Elle dit ne prendre que le nom de la personne qui réserve, poursuit Maude Beckers. Cela signifie que l’on ne connaît pas l’identité des personnes qui séjournent en France, au sein d’une délégation officielle ? Cela nous interroge. Au service Protocole du ministère des affaires étrangères, même refrain : il semble impossible de savoir qui accompagnait le prince du Qatar lors de ce voyage en juillet 2010. Et la Police aux frontières ne sait rien non plus. Le présumé coupable ayant emprunté un vol privé pour quitter le pays. » Une liberté de mouvement qui fait rêver en ces temps de menaces terroristes...
Bientôt moins de sous-traitance dans les grands hôtels ?
Outre la nullité de son licenciement, Mariama Diallo demande la condamnation solidaire du Park Hyatt et de la société française de service pour « fausse sous-traitance ». « Si on veut sous-traiter des activités, en France, il faut le faire pour des activités que l’on n’est pas capables de faire, décrit Maude Beckers. Or, l’entretien des chambres, c’est le cœur de métier des hôtels, a fortiori des hôtels de luxe et des palaces dans lesquels on attend une tenue parfaite. » Le 24 mars, le conseil des prud’hommes de Paris a prononcé une décision qui condamne le Park Hyatt Vendôme pour ce délit, dans une affaire qui l’oppose à une autre femme de chambre, elle aussi salariée d’une entreprise de sous-traitance [4]. Parmi les arguments retenus par les prud’hommes : le fait que le Park Hyatt conserve la direction de l’organisation des tâches à effectuer, notamment en ayant la main sur la définition des plannings, en fonction de l’occupation des chambres. Ou encore le fait que le Park Hyatt fournisse les tenues de travail.
« Le fait de ne pas être directement salariés de l’hôtel entraîne divers préjudices pour les personnes qui y travaillent », rappelle Maude Beckers. Elles ne bénéficient pas d’avantages tels que l’intéressement ou la participation, ou encore l’indemnité de nourriture. Plusieurs salariés sous-traitants des hôtels de luxe de Paris ont saisi les prud’hommes pour ce délit de fausse sous-traitance. « Il y a beaucoup de dossier en cours au niveau du juge départiteur, avance Jean-Philippe Feldman, avocat de la société française de service. Mais ces affaires iront jusqu’en cour de Cassation. Et je n’imagine pas que celle-ci confirme les décisions du conseil des prud’hommes. Sinon, cela interdirait de facto la sous-traitance dans le domaine du nettoyage des grands hôtels. Cela pose divers problèmes et questionne le principe constitutionnel de la liberté d’entreprendre. En fait, ce n’est plus du droit, c’est de la politique ! »
« Nous espérons bien que cela va contraindre les palaces à embaucher directement leurs femmes de chambre, selon la convention collective des hôtels et restaurants, plus favorable que celle des femmes de ménages, rétorque Maude Beckers. Pour le moment, sur la fiche de paie de Mariama Diallo et de ses collègues, c’est écrit "agent de propreté". » Mariama Diallo espère de son côté que la justice reconnaîtra que l’hôtel et la SFC ont eu tort « de la licencier comme ça. Moi, mon projet, c’était d’être gouvernante dans un grand hôtel. Quand j’ai intégré le Park Hyatt, c’était pour avoir l’expérience nécessaire pour intégrer ensuite la formation de gouvernante. J’ai été obligée d’abandonner ce projet professionnel suite à l’agression. Aujourd’hui, je suis équipière chez Mac do. »
Nolwenn Weiler
Dessins : Rodho (voir son blog)