Le 27 novembre, Édouard Philippe sort de réunions avec syndicats et représentants du patronat sur son projet de réforme des retraites. Il défend que son système serait bénéfique pour les femmes « dont les pensions sont aujourd’hui en moyenne inférieures de 40 % à celles des hommes ».
Sur ce point le Premier ministre a raison : les femmes sortent aujourd’hui de leur vie active avec des pensions retraites bien plus basses que celles des hommes. Pourtant, elles sont bien plus nombreuses que les hommes à partir plus tard, à l’âge où toute décote est annulée – 66 ans aujourd’hui, 67 ans dès 2022 : environ une femme sur cinq, contre un homme sur dix [1].
Problème : le projet de réforme ne devrait pas changer grand chose à ces inégalités. Au contraire, les femmes risquent fort d’en sortir, encore une fois, perdantes.
Une retraite calculée sur toute la carrière désavantage encore plus les femmes
Le cœur du projet du gouvernement, c’est de passer à un système de retraites à points. Chaque euro cotisé compterait comme un point pour la retraite. Aujourd’hui, le système fonctionne par annuités : ce sont les trimestres cotisés qui comptent.
Autre point central de la réforme : la prise en compte de l’ensemble de la carrière pour établir le niveau de la pension. Aujourd’hui, ce sont les 25 meilleures années – les années avec les meilleurs salaires – qui comptent dans le privé, et les six derniers mois pour la fonction publique où les salaires sont souvent plus bas et progressent faiblement. Avant la réforme Balladur de 1993, c’était sur la base des dix meilleures années que la retraite était calculée.
« Un tel régime ne peut que faire baisser le niveau pour toutes les personnes aux carrières heurtées, d’abord des femmes », alerte un groupe de femmes issues de syndicats et d’associations dans une tribune publiée dans Le Monde. « Chaque période non travaillée, à temps partiel, en congé parental, au chômage, ou mal rémunérée, fournit peu ou pas de points : autant de manque à gagner pour la pension », soulignent-elles. Rappelons-le : les temps partiels sont occupés aux trois-quarts par des femmes.
Les majorations pour les enfants : le risque que cela profite en fait aux pères
Le projet de réforme du gouvernement prévoit de mettre en place une majoration de la pension de 5 % par enfant, dès le premier enfant. Aujourd’hui, c’est 10 % à partir du troisième enfant.
Mais selon la réforme, les parents pourront choisir de majorer la pension de l’un ou l’autre des parents. Comme les hommes ont des retraites en moyenne supérieures, il sera évidemment tentant pour les finances des ménages hétérosexuels de choisir de majorer les retraites des pères. Les mères n’en profiteront pas forcément. « Que se passera-t-il pour les femmes en cas de séparation du couple ? », se demandent les autrices de la tribune ?
La nouvelle règle des 5 % équivaudrait même à « une baisse de retraite programmée pour de nombreuses femmes », conclut une étude de l’Institut de la protection sociale, un think tank proche des compagnies de retraites complémentaires [2]), publié fin novembre. Et ce « aussi bien pour les femmes seules que pour les familles nombreuses » [3]. L’institut a réalisé plusieurs simulations en fonction du nombre de trimestres cotisés et du niveau de salaires. Au mieux, certaines femmes avec deux enfants gagneront quelques dizaines d’euros par an comparé au système actuel. Mais dans la plupart des cas, elles perdront plusieurs milliers d’euros, en particulier celles qui ont trois enfants.
Simulation réalisée par l’Institut de la protection sociale. Cliquez sur le tableau pour agrandir
Simulation réalisée par l’Institut de la protection sociale. Cliquez sur le tableau pour agrandir
Un accès plus difficile aux pensions de réversion
En plus, le projet veut aussi durcir les conditions d’accès aux pensions de réversion, quand une partie de la retraite d’un cotisant décédé est reversée aux veuves ou veufs. 90 % des bénéficiaires de pensions de réversions sont des femmes [4]. Si la réforme passe, elles seront moins nombreuses à pouvoir compléter leur maigre retraite ainsi. Car selon le projet, il faudra désormais attendre 62 ans pour pouvoir toucher une pension de réversion, contre en général 55 ans aujourd’hui. Là encore, ce sont les femmes des classes populaires qui sont sanctionnées : leurs maris, souvent ouvriers, décèdent en moyenne sept ans plus tôt qu’un cadre supérieur.
Pour lutter contre les inégalités femmes-hommes à la retraite : revenir au calcul sur les 10 meilleures années
Pour plusieurs syndicats (Solidaires, CGT, FO), une réforme des retraites qui serait vraiment profitable aux femmes, et à tout le monde, consisterait déjà à revenir au calcul de la pension sur les dix meilleures années. Il faut « augmenter le minimum de pension pour une carrière complète au niveau du Smic net ; mettre fin à l’allongement continu de la durée de cotisation, de plus en plus inaccessible, particulièrement pour les femmes, et revenir à une durée réalisable », revendiquent plusieurs syndicats, collectifs féministes et associations.
Une autre proposition : lutter contre les temps partiels imposés, qui pénalisent d’abord les femmes, en faisant payer des cotisations supplémentaires par… les employeurs. Ce gouvernement sera-t-il capable d’entendre ces arguments pour les négociations en cours ?
Rachel Knaebel
En photo : Une ouvrière de la coopérative ScopTI (Bouches-du-Rhône) / © Jean de Peña
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