Photo : Manifestation contre le CPE, printemps 2006 (© Damien Fellous)
Notre beau pays compte 416.200 chômeurs de moins de 25 ans. Soit près de 80.000 de plus qu’il y a un an. Une augmentation de 23% ! La République réserve une surprise de taille à ses jeunes sans emploi : une fois leurs droits Assedic épuisés… ils ne percevront plus rien. Les jeunes de moins de 25 ans – qui étaient exclus du RMI – n’ont pas davantage droit au nouveau RSA, le « Revenu de solidarité active » de Martin Hirsch. Si on y ajoute le fait que les jeunes salariés de moins de 25 ans sont très souvent en CDD ou en CDI depuis peu, donc les premiers à être licenciés en cas de plan social, leurs droits à l’assurance-chômage vont vite fondre comme neige au soleil de printemps. Et même s’ils décrochent un petit boulot par ci ou une mission d’intérim par là, ils ne percevront pas le complément de revenus que représente le RSA pour la simple et unique raison qu’ils ont moins de 25 ans. Un demi-million de jeunes ex-salariés – soit un chômeur officiel sur cinq - vont donc se retrouver sans « minima social » dans les mois à venir, à l’exception des rares qui ont un enfant à charge. Et la crise ne fait que commencer. Au rythme actuel de progression du chômage, les jeunes de moins de 25 ans seront plus de 5.000 à pousser chaque mois les portes du Pôle emploi.
Une fragile lumière semble pourtant scintiller à l’horizon, au travers d’une faille juridique du RSA qui pourrait assimiler l’exclusion dont les moins de 25 ans font l’objet à une discrimination. Premier argument : la France est, avec le Luxembourg, le seul pays de l’Union européenne à imposer une condition d’âge pour le versement d’un revenu minimum (et en dehors de la Grèce et de la Hongrie qui n’ont pas mis en place de système général). Les jeunes Britanniques peuvent ainsi percevoir le modeste « Income Support » dès 16 ans. Nos voisins belges ou allemands à partir de 18 ans. Même la Bulgarie et la Roumanie versent une aide sociale aux plus jeunes. Le Comité européen des droits sociaux, chargé de veiller au respect de la « Charte sociale révisée » du Conseil de l’Europe (qui compte 46 Etats membres et siège à Strasbourg), avait estimé que « l’exclusion des personnes de moins de 25 ans du RMI et l’insuffisance des autres revenus d’assistance sociale prévues pour ces personnes en cas de besoin ne sont pas conformes à cette disposition (l’article 13 sur le « Droit à l’assistance sociale et médicale ») de la Charte. » C’était il y a huit ans.
Présomption de discrimination
La transformation du RMI en RSA modifie la donne. « C’est une question d’égalité : comment traiter différemment un salariée de vingt-quatre ans et un salarié de vingt-six ? », pointait, en compagnie d’autres parlementaires, Danièle Hoffman-Rispal, députée PS de Paris, pendant les débats à l’Assemblée nationale sur le projet de loi RSA, à l’automne 2008. « Je m’interroge en effet sur les risques de stigmatisation des jeunes de moins de 25 ans sur le marché du travail : ils ne bénéficieront pas du RSA, contrairement aux autres. Or, que l’on ait dépassé ou non 25 ans, on a tout autant besoin de pouvoir d’achat », renchérissait Pierre Cardo, député UMP des Yvelines. La crise sociale remet cette question au cœur de l’actualité pour un demi-million de jeunes concernés.
La Haute autorité de lutte contre les discriminations (Halde) a ouvert une brèche juridique dans sa délibération du 20 octobre 2008. Tout commence un mois plus tôt, lorsque le président du Gisti, Stéphane Maugendre, saisit la Halde sur des dispositions jugées discriminatoires par l’association de défense des travailleurs immigrés et contenues dans le projet de loi RSA, alors en discussion au Parlement. Ces discriminations concernent les étrangers, leurs conjoints et leurs enfants. L’exclusion des moins de 25 ans est également évoquée [1]. « Le collège de la Haute autorité constate l’existence d’une différence de traitement fondée sur l’âge des personnes actives, seuls les salariés de plus de 25 ans pouvant bénéficier de l’accompagnement financier prévu par le nouveau dispositif. Or, une telle différence de traitement n’est licite que si elle est justifiée de façon objective et raisonnable », répond la Halde.
Jeunes et présumés feignants
« C’est une présomption de discrimination », traduit Antoine Math, économiste, chercheur à l’Ires (Institut de recherches économiques et sociales) et membre du Gisti. « Une différence de traitement n’est pas forcément une discrimination. Un critère d’âge en l’occurrence peut répondre à des objectifs considérés comme légitimes par la rhétorique juridique. Que l’on ne puisse pas partir en retraite à l’âge de 30 ans, par exemple, n’est pas une discrimination. C’est ce que la Halde appelle un objectif légitime et raisonnable. » L’exclusion des moins de 25 ans du RMI était donc « justifiée » du point de vue juridique pour éviter que le dispositif se transforme en « trappe d’inactivité ». Aux yeux du pouvoir politique, le RMI risquait d’encourager l’oisiveté – pour ne pas dire la paresse – chez les jeunes. Au contraire, l’objectif affiché du RSA est de « faire des revenus du travail le socle des ressources des individus et le principal rempart contre la pauvreté. » L’article 1er de la loi « garantit à toute personne, qu’elle soit ou non en capacité de travailler, de disposer d’un revenu minimum et de voir ses ressources augmenter quand les revenus qu’elle tire de son travail s’accroissent ». Dans ces conditions, pourquoi un jeune travailleur de 23 ans en est exclu alors que son aîné de 26 ans y a droit ? « Le RSA n’est plus perçu comme un revenu pour paresseux mais comme un supplément de revenu pour pauvre méritant », décrypte crûment Antoine Math. « La légitimité d’exclure les plus jeunes paraît aujourd’hui plus faible. » Du point de vue juridique, la finalité du RSA « paraît sensiblement différente de celle du RMI », estime la Haute autorité de lutte contre les discriminations.
En conclusion de sa délibération (voir le document joint à télécharger), la Haute autorité demandait au Haut commissaire aux solidarités actives (Martin Hirsch) de réaliser une étude sur la situation des moins de 25 ans, étude d’ailleurs prévue par la loi. Les jeunes de moins de 25 ans ne sont pas obligés d’attendre patiemment, et sans un radis, qu’elle soit réalisée, et qu’elle débouche éventuellement sur une modification de la loi… d’ici quelques années. Des possibilités de recours existent qui, vu les textes européens et la délibération de la Halde, auraient quelque chance d’aboutir. La Charte sociale révisée, par exemple, qui critiquait déjà le RMI, « n’est pas absolument contraignante, mais n’est pas neutre. Quand nous faisons un recours en droit interne, les juges en tiennent compte », explique Antoine Math. D’autre part, la Cour européenne des droits de l’homme considère « les prestations sociales, contributives ou non » - donc le RSA - comme « des droits patrimoniaux » dont « la jouissance (…) doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation » [2].
Recours en Conseil d’Etat
Pour déposer un recours, on doit s’adresser à la Commission départementale d’aide sociale, qui siège dans chaque chef-lieu et sert de juridiction de première instance pour les prestations sociales. « Il n’y a pas besoin d’avocat. Une simple lettre suffit. Elle doit être expédiée dans les deux mois qui suivent la notification du refus du RMI/RSA, signée et datée par la personne elle-même. On peut se défendre soi-même ou être accompagné », détaille Antoine Math. La procédure peut cependant se révéler longue avant d’aboutir. Pour les cas d’étrangers discriminés, un recours doit souvent être formulé en appel à la Commission centrale d’aide sociale puis devant le Conseil d’Etat. Ce qui explique aussi pourquoi peu de réclamations sont mises en œuvre par une population peu au fait de ses droits et qui n’a pas forcément envie de risquer de se brouiller avec son Conseil général, dont dépendent plusieurs aides sociales. « Le droit administratif n’est pas fait pour les pauvres, ça se saurait », soupire Antoine Math. S’adresser à une association de chômeurs (voir « En savoir plus » ci-dessous) est vivement conseillé.
Ivan du Roy
Télécharger la délibération de la Halde :