Bien étrange rapport que celui de la FAO sur l’accaparement des terres en Afrique. Intitulé « Accaparement des terres ou opportunité de développement ? Investissements agricoles et transactions foncières internationales en Afrique », il a été réalisé par l’Institut international pour l’environnement et le développement (IIED, Londres) en collaboration avec la FAO et le Fonds international pour le développement agricole (FIDA). Cette étude s’appuie sur des recherches effectuées en Éthiopie, au Ghana, au Mali, au Kenya, à Madagascar, au Mozambique, au Soudan et en Zambie.
Lors de la présentation du document le 25 mai 2009, la FAO indiquait que « les transactions sur la terre peuvent créer des opportunités (débouchés garantis, emplois, infrastructures et hausse de productivité agricoles) mais peuvent aussi causer des dommages si les populations locales sont exclues des décisions et si leurs droits fonciers ne sont pas protégés ». Tout dépend du modèle commercial mis en place, des modalités de partage des bénéfices et de la gouvernance qui encadre le tout, affirment les chercheurs de l’IIED. On se doute que la promotion du commerce équitable ne figure pas parmi les objectifs des investisseurs (fonds spéculatifs, multinationales de l’agroalimentaire, gouvernements cherchant à assurer leurs approvisionnements) lorsqu’ils cherchent à acquérir des terres.
Investissement ou razzia ?
Le rapport confirme l’augmentation substantielle ces cinq dernières années des investissements liés à la terre. Le secteur privé y est dominant même si nombre d’entreprises sont soutenues par leurs États d’origine par le biais des fonds gouvernementaux de développement qui pourvoient des prêts ou des assurances. Dans plusieurs pays, des investisseurs étrangers entrent dans le capital des entreprises locales. Si les questions de sécurité alimentaire sont les principales raisons des gouvernements étrangers d’investir dans les terres, beaucoup d’opérations sont dirigées vers l’agriculture non alimentaire, les agrocarburants par exemple, dont ils espèrent un très haut niveau de rentabilité.
En Éthiopie, au Ghana, au Mali, à Madagascar et au Soudan, les transactions ont porté depuis 2004 sur 2,5 millions d’hectares (ha) – soit presque l’équivalent de la Belgique ! - pour un montant total de 920 millions de dollars [1]. Pour les pays hôtes, les « bénéfices » prennent principalement la forme d’une augmentation des investissements étrangers, de création d’emplois, de développement des infrastructures et de transferts de technologie et de savoir-faire. Les informations ont principalement été recueillies auprès des agences gouvernementales. Mais les chiffres cités sont probablement bien en deçà de la réalité. Le rapport souligne le manque de fiabilité des données officielles. En Éthiopie, l’information sur la taille des terres cédées ou en cours de négociation en 2008 étaient manquantes. Au Soudan, les données sont encore plus incomplètes qu’ailleurs. Des médias ont ainsi pu décrire des transactions qui ont eu lieu mais qui n’apparaissent que partiellement dans les recensements gouvernementaux. L’agence Reuters a fait état d’un investissement pour 13 000 ha de la compagnie allemande Flora EcoPower en Éthiopie alors que l’agence éthiopienne de promotion de l’investissement n’a enregistré que 3 800 ha pour cette opération. Un accord portant sur 400 000 ha au Soudan, rapporté dans les médias, est tout simplement absent des statistiques officielles disponibles.
Double langage
Le langage des organisations internationales a cette faculté de laisser perplexe plus d’un lecteur. D’un côté les commanditaires du rapport demandent que les populations locales soient consultées et que les droits des paysans soient pris en compte. Le document pointe des risques sociaux importants comme la perte de l’accès à la terre pour les paysans locaux. Mais de l’autre, les chercheurs refusent de parler d’accaparement et dénoncent « un certain nombre de préjugés erronés diffusés par les médias sur ce qu’on a appelé l’accaparement des terres. ». Invalider la thèse de l’accaparement signifie-t-il que cette razzia est en fait une « opportunité pour le développement », comme le laisse pender la deuxième partie du titre du rapport ? Il ne faut pas néglier, disent les chercheurs, ce que permettent ces accords : développement d’infrastructures et d’emplois et retour des investisseurs dans des pays qui ont été désertés par les capitaux étrangers.
Mais à qui profitent ces investissements ? Aux élites des pays « hôtes » ou aux paysans dont la terre est le seul moyen de subsistance ? Le rapport fait état « d’une perception biaisée d’une abondance de terre inutilisée en Afrique subsaharienne » et d’une pression qui s’accroît sur les terres les plus fertiles. Gouvernements locaux et investisseurs ont tendance à oublier que ces terres sont déjà occupées par des paysans. En l’absence d’une législation adéquate, les populations locales ne sont guère protégées et les contrats passés au crible sont « remarquablement courts et simples au regard des réalités économiques de la transaction. ».
Pas de panique, assurent les agences internationales de développement : elles sont là pour « catalyser des changements positifs ». Selon la FAO, ce rapport constitue une première étape d’un processus à long terme d’établissement des directives pour la bonne gouvernance foncière et des règles pour ces investissements. Processus à long terme ? Voilà qui rassurera les « accapareurs » qui pourront œuvrer encore longtemps en toute quiétude. Outre l’expropriation des paysans, se joue ici une bataille moins visible, celle de la normalisation juridique de ce néocolonialisme foncier, avec peut-être à la clé la disparition des droits coutumiers au profit d’une conception plus occidentalisée de la propriété foncière.
Nadia Djabali