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Une sortie du nucléaire mettrait « un million d’emplois en péril ». Le chiffre est lancé par Henri Proglio, PDG d’EDF, dans un entretien publié par Le Parisien le 9 novembre. Un million de salariés et leurs familles menacés ! De quoi se dire que, malgré Tchernobyl ou Fukushima, un éventuel arrêt progressif des 18 centrales nucléaires françaises coûteraient décidément très cher socialement. Mais, au fait, d’où Henri Proglio sort-il son chiffre ? Dans l’entretien, le PDG se veut légèrement moins flou : « Une telle décision (la sortie du nucléaire) menacerait 400 000 emplois directs et indirects de la filière nucléaire, 500 000 emplois dans les entreprises actuellement localisées en France et très gourmandes en énergie, comme l’aluminium, qui risquerait de partir à l’étranger. Il faut y ajouter 100 000 emplois futurs provenant du développement du nucléaire mondial à partir de la France. Au total, 1 million d’emplois seraient mis en péril, et cela coûterait entre 0,5 et 1 point de PIB. » De nouvelles régions socialement sinistrées en perspective ?
La filière nucléaire nationale emploierait directement ou indirectement 400 000 personnnes. Henri Proglio tire ce chiffre d’une étude commanditée par Areva et publiée en juin dernier. L’étude a été réalisée par l’un des plus gros cabinets mondiaux de conseil en stratégie et d’audit (du type Ernst & Young), PricewaterhouseCoopers (PwC), siégeant à Londres. PwC estime à 125 000 le nombre d’emplois directs générés par la filière nucléaire. Par de savants calculs sur les effets indirects et induits, PwC en arrive « à estimer à 410 000 le nombre d’emplois totaux dépendants de l’industrie électronucléaire en 2009 » (source Enerzine). Précisons que PwC a plusieurs fois été mis à l’index pour ne pas avoir détecté des fraudes massives (lors de la construction d’un oléoduc en Russie par exemple) ou des risques financiers conduisant à des faillites bancaires. C’est également ce cabinet qui n’a pas vu que 55 milliards d’euros trainaient dans une banque allemande (c’est PwC qui avait audité la banque allemande, Hypo Real Estate, où était « caché » ces 55 milliards). Bref, de quoi s’interroger sur sa rigueur professionnelle, d’autant que le commanditaire de l’étude est l’un des principaux acteurs de la filière nucléaire française.
Les centrales nucléaires ? 18 000 salariés
Les calculs de PwC laissent perplexe. Environ 18 000 salariés d’EDF travaillent directement dans les 18 centrales nucléaires [1]. Il faut y additionner les 20 000 sous-traitants intervenant dans la maintenance des centrales (selon EDF). Soit – comptons large – environ 40 000 personnes dont l’emploi dépend directement de l’exploitation des centrales nucléaires. Ajoutons à cela les effectifs du groupe Areva, presque dédiés en totalité à la filière nucléaire, de l’extraction d’uranium au retraitement des déchets radioactifs (47 851 « collaborateurs »), ceux du Commissariat à l’énergie atomique (16 000 ingénieurs et chercheurs), ceux de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (1 768 salariés), et, enfin, ceux de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (500 salariés). Résultat : un peu plus de 106 000 emplois directs.
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C’est, à 20 000 près, le nombre d’emplois auxquels arrive un rapport parlementaire « sur l’aval du cycle nucléaire », rédigé quinze ans plus tôt : « Au total, en prenant en compte non seulement les emplois directs liés aux activités nucléaires civiles du CEA, de Framatome (Areva, ndlr), d’EDF, de Cogema (Areva, ndlr) et de l’Andra, mais aussi les emplois indirects liés à ces organismes ou entreprises, le nombre actuel d’emplois liés à la filière nucléaire semble être d’environ 120 000. » Les députés évoquent bien des emplois « directs » mais aussi « indirects ». Henri Proglio, avec l’aide de PwC, en a dégoté 300 000 de plus, on ne sait trop comment.
Les grandes industries délocalisent déjà
Autre mystification pour arriver au choc du million de salariés menacés : le demi-million d’emplois « actuellement localisées en France » dans des entreprises « très gourmandes en énergie » qui risqueraient « de partir à l’étranger », notamment celles produisant de l’aluminium, à cause de la hausse du prix qu’engendrerait l’abandon du nucléaire. L’entreprise la plus gourmande en énergie – et qui émet le plus de CO2 – est ArcelorMittal. La multinationale emploie en France un peu moins de 30 000 ouvriers dans la sidérurgie française, et n’es pas vraiment en train d’embaucher, comme peuvent en témoigner les ouvriers lorrains de Florange. Les gros producteurs d’aluminium n’ont pas attendu les avertissements d’Henri Proglio pour délocaliser leur production.
Ainsi, le géant canadien Rio Tinto (qui a racheté Alcan, ex-Péchiney), n’emploie plus que quelques milliers de salariés, en Savoie ou à Dunkerque. 700 emplois sont d’ailleurs en passe d’être supprimés. Même en ajoutant le secteur du BTP, lui aussi gourmand en énergie, on peine très largement à arriver à 100 000, encore moins à un demi-million. Et on voit mal les PME du secteur délocaliser leur production en Roumanie ou en Chine, sous la menace d’une augmentation des tarifs de l’électricité, qui de toute façon grimperont comme ceux du pétrole et du gaz.
Les 100 000 emplois fantômes du futur
Enfin, en prévoyant « 100 000 emplois futurs provenant du développement du nucléaire mondial à partir de la France », Henri Proglio se veut bien optimiste. 435 réacteurs nucléaires étaient en fonctionnement en 2009, neuf de moins qu’en 2002 (lire à ce sujet Les Cahiers de Global Chance : « Nucléaire : le déclin de l’empire français »). Pour l’instant, Areva participe à la construction de deux réacteurs EPR, en Finlande et en Chine. À Flamanville, le chantier EPR emploie 7 000 personnes, pour un budget qui atteint désormais 6 milliards d’euros. Là encore, les « 100 000 emplois futurs » sont sortis du chapeau magique d’Henri Proglio.
Même dans le cas où le nucléaire serait progressivement abandonné, des créations d’emplois seront nécessaires pour assurer le très long démantèlement des centrales et le recyclage des déchets, ainsi que la continuité dans la sûreté des installations nucléaire. Sans oublier en contrepartie les centaines de milliers d’emplois créés – et non délocalisables – par le développement des énergies renouvelables. En dix ans, le secteur allemand des énergies renouvelables a créé 130 000 emplois dans l’éolien, la biomasse ou le solaire. Combien l’industrie nucléaire française a-t-elle créée d’emplois en dix ans ?
Ivan du Roy