2.244.963 votants : tel est le niveau de participation à la « votation citoyenne » sur La Poste, enregistré dans la soirée du 5 octobre, alors que les résultats continuent de remonter des comités locaux. Certes, ce référendum populaire auto-organisé par 30.000 militants d’une soixantaine d’organisations syndicales, associatives et politiques n’a aucune valeur juridique. Mais il illustre cependant le vaste mouvement social et d’opinion qui s’exprime en faveur du maintien de La Poste comme service public, avec toutes les missions qui en découlent : présence sur tout le territoire, péréquation tarifaire des services postaux, service bancaire accessible à chaque citoyen, priorité à la satisfaction de l’usager et non à la vente de produits commerciaux…
Les ténors de l’UMP n’ont pas tardé à monter au créneau. « C’est de la fausse démocratie, on bourre les urnes avec une information mensongère », tempête le sénateur UMP Jean-Pierre Raffarin pendant que le porte-parole du parti de Nicolas Sarkozy, Frédéric Lefebvre dénonce une « vaste manipulation ». Leur principal argument : pourquoi s’opposer à la privatisation alors que le projet de loi défendu par le ministre de l’Industrie Christian Estrosi ne la prévoirait pas. La question peut leur être retournée : pourquoi, dans ce cas, modifier le statut de La Poste, qui passerait du statut d’Etablissement public industriel à caractère commercial (EPIC) à celui de Société anonyme, si ce n’est pas pour la privatiser ? Toutes les anciennes entreprises publiques qui ont suivi ce processus, comme France Télécom, EDF ou GDF, ont été ensuite totalement ou partiellement livrées à l’implacable loi du marché.
« Nous sommes un peu déçus de ces réactions au ras des pâquerettes, ces gens sont envoyés en franc-tireur », réagit Nicolas Galepides, délégué syndical de Sud-PTT et porte-parole du comité organisateur du « référendum ». « Notre interlocuteur direct, c’est le Président de la République. Il n’y a que lui qui peut arrêter le projet de loi. » L’Elysée sera probablement aussi mis sous pression par les élus locaux UMP. Dans plusieurs départements ruraux, la participation à la « votation citoyenne » dépasse largement les capacités de mobilisation de la gauche militante.
Carte de la participation par régions, le 5 octobre au matin
En Lozère par exemple, dont le Conseil général est présidé par la majorité présidentielle et qui compte deux députés UMP, plus de 18% du corps électoral s’est rendu aux urnes improvisées. En Midi-Pyrénées, en Languedoc-Roussillon, dans le Limousin ou en Haute-Normandie, entre 7% et 10% de la population en âge de voter s’est exprimée contre le changement de statut. Avec plus de 20.000 votants dans l’Ardèche, l’Ariège, la Drôme ou l’Aveyron, et plus de 35.000 dans l’Aude ou le Tarn, nombre de notables locaux de l’UMP peuvent s’inquiéter d’un retour de bâton si la loi est votée. Etrangement, le pays des Ch’tis – Picardie et Nord-Pas-de-Calais – s’est peu mobilisé pour sauver l’agence postale et les facteurs de Bergues [1] : moins de 3% des électeurs se sont déplacés. Tout comme l’Alsace, région ancrée à droite, comme nous l’indique la carte de la participation, réalisée dans la matinée du 5 octobre. Ailleurs, le rapport entre participants et nombre d’habitants respecte grosso modo l’ordre démographique des régions, l’Île-de-France arrivant logiquement en tête avec largement plus de 300.000 participants, selon le dépouillement des résultats complémentaires.
Et maintenant ? La balle est dans le camp du gouvernement qui semble demeurer droit dans ses bottes néolibérales. Des rassemblements sont envisagés devant les permanences des députés des circonscriptions rurales de l’UMP. Le comité national contre la privatisation de La Poste est également en train de concocter son propre projet de loi pour garantir le caractère public et d’intérêt général de La Poste. Objectif : imposer l’organisation d’un référendum d’initiative populaire en recueillant la signature de 10% du corps électoral, soit 4,4 millions de personnes. « C’est complètement faisable », assure Nicolas Galepides. « Avec un budget de 5.000 euros, on a réuni 2,2 millions de personnes. C’est chaud bouillant partout ! » A suivre donc.
Ivan du Roy