Démocratie

Le RN à l’Assemblée nationale est-il un groupe politique comme les autres ?

Démocratie

par Jean-Marie Fardeau

Le RN compte 88 députées et députés à l’Assemblée nationale. Associations et syndicats doivent-ils discuter avec ces parlementaires ? Voici la réponse de Jean-Marie Fardeau, de l’association VoxPublic.

Non, le groupe Rassemblement national (RN) à l’Assemblée n’est pas un groupe politique comme les autres.

Jean-Marie Fardeau
Délégué national de VoxPublic.

Depuis leur élection en juin 2022, les députées du groupe RN sont priées par leur cheffe, Marine Le Pen, de faire bonne figure à l’Assemblée nationale pour achever la normalisation du RN et lui donner le vernis d’un « parti de gouvernement », ce qui fut autrefois un gage de respectabilité.

Lors de la session d’ouverture, José Gonzales, doyen RN de l’hémicycle, gratifiait les parlementaires de sa nostalgie du colonialisme, avant que l’éructation raciste « Qu’il(s) retourne(nt) en Afrique » lancée par le député Grégoire de Fournas à Carlos Martens Bilongo (LFI) achève de montrer que ces députés RN n’avaient en fait pas changé.

Recadrées, les députées RN ont su par la suite faire profil bas, à la surprise de beaucoup. À la faveur de cette stratégie, et avec le soutien des parlementaires de la majorité (Renaissance, Horizon, Modem) et du groupe Les Républicains, des députées RN ont eu accès à des fonctions très officielles au sein du système parlementaire : deux vice-présidences de l’Assemblée nationale, multiples présidences de groupes d’amitié (Pologne, Grèce, Danemark, Irak, Venezuela, Libye, Centrafrique, Madagascar... laissant le groupe d’amitié avec le Brésil à Nicolas Dupont-Aignan).

La normalisation recherchée par Marine Le Pen et son parti signifie-t-elle pour autant que son groupe est devenu « comme les autres » ? À cette question, quinze associations (dont Attac France, les Amis de la Terre, Fondation Copernic, Oxfam France, VoxPublic) et trois syndicats (CGT, Union syndicale Solidaires, Syndicat des avocats de France) ont répondu clairement « non » dans une tribune publiée dès le 30 septembre 2022 à la veille de la rentrée parlementaire.

Une société s’enrichit quand elle sait accueillir

Ensemble, elles ont déclaré qu’elles s’abstiendront de tout contact avec le groupe RN à l’Assemblée. Elles affirmaient ainsi que « malgré sa stratégie de "dédiabolisation" au cours des années passées, les fondamentaux du RN restent les mêmes depuis quarante ans ». Elles ne contestent pas la légitimité démocratique des membres de ce groupe, dont les députées ont toutes été élues au suffrage universel. Elles estiment néanmoins avec lucidité qu’il serait inutile et vain de chercher à convaincre et rallier des parlementaires RN à des revendications diamétralement opposées à celles du RN.

La première ligne rouge est celle de la « préférence nationale », renommée « priorité nationale » dans le programme de Marine Le Pen. La doctrine du parti reste fondée sur ce rejet de « l’étranger » et un appel à légaliser les discriminations. Un accent est tout particulièrement mis sur les personnes de religion musulmane ou originaires d’Afrique qui sont particulièrement stigmatisées dans les discours de responsables du RN.

Que peut-on négocier avec un groupe politique qui va aborder chaque politique publique – que ce soit les retraites, l’éducation, la santé, l’emploi, l’aménagement urbain ou rural pour ne citer que quelques exemples – par le prisme d’une vision identitaire de la société ?

Refuser de considérer le groupe RN comme un groupe fréquentable fait partie des actes de résistance que nous pouvons poser face à cette résistible montée de l’extrême droite. Face à la haine et au rejet de l’étranger dont on sait où ils peuvent mener une société, il faut rappeler ce que les recherches et la pratique ont démontré amplement : une société s’enrichit quand elle sait accueillir.

Le barrage républicain n’a que deux côtés

Deux autres fondamentaux du RN s’opposent aux principes d’une société inclusive, émancipatrice, respectueuse des droits et de l’environnement de chacune. Premièrement, celui qui prône un régime économique ultralibéral qui aggrave les inégalités et la pauvreté en France et en Europe, et provoque la destruction accélérée des écosystèmes et le réchauffement climatique. Le RN ne propose qu’une démarche écologique trompeuse et son programme économique promet un avenir radieux aux plus riches.

Deuxièmement, c’est la conviction profonde de l’extrême droite qu’un pays dirigé de manière autoritaire sur la base d’un fort contrôle policier serait la réponse aux errements d’une démocratie représentative qui ne parvient plus à séduire 50 % de l’électorat. La relation directe entre un.e cheffe et « son » peuple – au mépris des corps intermédiaires - serait la seule manière de conduire efficacement les affaires d’un pays. Que reste-t-il à négocier dans cela ? La liberté ?

À court terme, l’injuste réforme des retraites va donner à Marine Le Pen et à son groupe RN l’occasion de renforcer l’illusion d’un mouvement politique proche des « petits et des modestes ». Mais le débat parlementaire sur le projet de loi asile et immigration va très probablement montrer le fond de la pensée du groupe RN.

Sur ce sujet, on sait qu’une bonne partie du groupe LR et des parlementaires de la majorité adoptent – pour des raisons de tactique politicienne ou par conviction - des positions proches de la vision portée par le RN. Le « deal » avec la majorité pourrait être le suivant : les LR votent la loi de réforme des retraites, par ailleurs dans la ligne de leur programme, en échange d’avoir les mains libres pour durcir encore plus la loi asile et immigration, avec le soutien probable du RN.

La stratégie du RN est claire. Ses idées sont connues. Il n’a certainement aucune envie de discuter avec nous. Nous n’avons aucune raison de rechercher un dialogue qui ne peut mener à rien puisque nos visions du monde, de la société et même de la considération portée à chaque vie humaine, sont diamétralement opposées. Le barrage républicain n’a que deux côtés, soyons du bon.

Jean-Marie Fardeau, délégué national de VoxPublic.

Photo : CC BY-NC-ND 2.0 via flickr.