C’est une percée historique pour l’extrême droite française : 89 députés du Rassemblement national (RN) font leur entrée à l’Assemblée nationale. Ce chiffre monte à 91 députés si on inclut Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France, Essonne) et Emmanuelle Ménard (divers extrême droite), réélue dans l’Hérault. Marine Le Pen a décrit ces députés comme une « nouvelle élite politique ». Tous ne sont pas des novices, loin de là. Nombreux sont ceux, y compris parmi les plus jeunes, qui arrivent imprégnés de la longue histoire xénophobe, homophobe et réactionnaire de la formation d’extrême droite. Panorama (non exhaustif) alors que le RN vient d’obtenir deux postes de vice-présidents sur six à l’Assemblée nationale, grâce au vote des élus macronistes.
Les plus hostiles au droit à l’IVG
« Aucun mouvement politique sérieux ne remet en cause en France la loi Veil, acquis à protéger », assure le président du RN Jordan Bardella, le 25 juin. Le député européen répond alors au débat sur l’inscription dans la Constitution du droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), provoqué par la remise en cause de ce droit aux États-Unis par la Cour suprême, et l’interdiction dans la foulée du droit à l’IVG pour les femmes dans neuf États conservateurs (à ce jour). Le président du RN semble méconnaître les positions des députés de son tout nouveau groupe parlementaire. Outre sa patronne, Marine Le Pen, qui fait régulièrement référence aux « avortements de confort » auxquels elle dit vouloir mettre fin, au moins une dizaine de députés RN affichent des positions clairement hostiles à ce droit.
« Après avoir "génocidé" les enfants français à raison de 200 000 par an [1], on doit maintenant les remplacer à tour de bras par les migrants », écrit Caroline Parmentier (élue du Pas-de-Calais), en mai 2018, dans le journal d’extrême droite Présent, proche des catholiques intégristes, dont elle est une chroniqueuse régulière. Novice à l’Assemblée, Caroline Parmentier n’est pas en marge du RN : elle a été l’attachée de presse de Marine Le Pen à la présidentielle.
Elle n’est pas la seule à amalgamer le droit à l’IVG à un crime contre l’humanité. Son collègue Hervé de Lépinau (Vaucluse), estimait que l’IVG à 14 semaines est comparable « aux génocides arméniens et rwandais, à la Shoah, aux crimes de Daesh », rapporte le Journal du Dimanche. « L’IVG reste un délit (très largement dépénalisé) donc un acte intrinsèquement mauvais », expliquait-il. « L’avortement est un génocide de masse », a également osé Christophe Bentz, élu en Haute-Marne.
Plusieurs députés RN affichent, ou ont affiché, leur volonté de le remettre en cause. Laure Lavalette (Var), porte-parole de Marine Le Pen pendant la présidentielle, élue municipale de Toulon et à la région PACA, est aussi un soutien de Choisir la Vie. C’est l’une des associations à l’origine de la Marche pour la Vie, manifestation annuelle anti-choix. Laure Lavalette a signé en 2014 un texte dans lequel elle s’engageait à « abroger, à terme, la loi sur l’avortement », et a soutenu la promesse de Marion Maréchal de supprimer les subventions au Planning familial, association qui défend le droit à la contraception et à l’IVG, en cas de victoire aux régionales de l’année suivante pour « responsabiliser les femmes ». Marie-France Lorho, députée de la Ligue du Sud (Vaucluse) soutenue par le RN, avait déjà organisé à l’Assemblée, en janvier 2018, un colloque « Journée pour la vie » où intervenaient de nombreuses figures opposées au droit des femmes, de la Manif pour Tous à Riposte catholique [2]. Rappelons qu’il y a tout juste un an, les 29 députés RN au Parlement européen, dont Jordan Bardella, votaient en bloc contre une résolution promouvant l’égalité d’accès à la contraception et à l’avortement en Europe, suite à la quasi-interdiction du droit à l’IVG en Pologne.
Les ouvertement xénophobes
Le doyen de l’Assemblée nationale, José Gonzalez (76 ans, élu RN des Bouches-du-Rhône), s’est illustré ce 28 juin, lors de la séance d’ouverture de la nouvelle législature, par un discours aux relents nostalgiques de l’Algérie française. Logique : il est membre du Front national depuis 1978, quelques années après sa fondation par des militants néo-fascistes, d’anciens Waffen SS, collaborateurs de l’occupation nazie et membres de l’OAS, organisation terroriste d’extrême droite opposée à l’indépendance de l’Algérie. Il n’est d’ailleurs pas le seul héritier du FN des origines, jusqu’à sa dédiabolisation. Caroline Colombier (élue de Charente), a pris sa carte au Front national de la jeunesse (FNJ) dès sa fondation, en 1974. Elle avait alors 15 ans. Christian Girard (Alpes-de-Haute-Provence) y milite depuis quatre décennies. Il sont au moins une dizaine de députés à y militer depuis au moins 20 ans.
Ils et elles ont accompagné la longue histoire xénophobe, raciste et antisémite du FN/RN. Si les déclarations violemment racistes ou négationnistes du FN des origines ne sont – pour l’instant – plus de mise, on affiche désormais sa xénophobie en souriant. Comme Victor Catteau (élu du Nord) qui affiche « sympathiquement » le fait de « préférer les chiens aux migrants ». Il avait également diffusé sans leur consentement des images d’étudiantes voilées à la faculté de Lille. Frédéric Boccaletti, élu dans le Var, tenait une librairie à Toulon où étaient vendus des ouvrages négationnistes et antisémites. Il a été condamné en 2000 à un an de prison dont six mois ferme pour « violence en réunion avec arme ». Il avait ouvert le feu sur un groupe d’hommes en les traitant de « sales nègres ». Il était alors colleur d’affiches pour le MNR de Bruno Mégret (une scission du FN). Deux ans plus tôt, Ibrahim Ali, jeune Marseillais, était tué d’une balle dans le dos par Robert Lagier, un colleur d’affiches du FN.
Pascale Bordes (élu du Gard) a osé comparer implicitement, en citant Bertolt Brecht, la lutte contre le burkini à la lutte contre le nazisme. Julien Odoul (Yonne), cadre de longue date du RN, est connu en Bourgogne, où il est conseiller régional, pour ses fake news teintées de racisme. Son plus gros coup d’éclat raciste reste la séance du Conseil régional où il a humilié une femme portant le voile qui accompagnait une sortie scolaire. Il a aussi tenté, en 2020, de faire croire que bien plus d’argent public serait alloué aux mineurs non accompagnés qu’aux familles (françaises) en difficulté – alors que le budget dédié aux familles est en fait 14 fois plus élevé que celui pour protéger les enfants étrangers isolés. Ces mineurs étrangers isolés demeurent une obsession pour plusieurs députés RN. « Il y aurait 70 % de faux mineurs [isolés, NDLR]. C’est une filière de l’immigration », imagine Béatrice Roullaud en Seine-et-Marne. Le député de Gironde Grégoire de Fournas croit en voir partout dans la commune de Pauillac, où il habite. Il amalgame également les réfugiés aux terroristes, s’affichant avec une banderole « Clandestin aujourd’hui, terroriste demain ? ».
Les homophobes et transphobes
Comme c’est monnaie courante dans les milieux catholiques intégristes, Laure Lavalette, l’ancienne porte-parole de Marine Le Pen pendant la présidentielle, est également une fidèle soutien de la Manif pour Tous – qui s’opposait à l’extension du droit au mariage pour tous les couples et à la loi Taubira – comme Thomas Ménagé, élu du Loiret, qui en a été l’un des porte-parole. Laure Lavalette considérait en 2019 « la transidentité, fin du modèle masculin /féminin, promotion du modèle queer, gender fluide, transféminisme » comme des « théories nauséabondes », rappelle Libération. Si elle a déclaré ne plus vouloir revenir sur la loi Taubira, elle s’oppose à la PMA. Concernant l’homophobie ordinaire, on peut citer Bryan Masson, nouveau député des Alpes-Maritimes, qui s’était illustré en mars 2017 dans un documentaire diffusé par C8 où il traitait de « tapettes » ses camarades du FNJ lyonnais, alors qu’il était responsable de sa section départementale.
Les recyclés des droites extrêmes
Dans la cohorte de députés RN, tous n’y ont pas fait leur carrière entière : certains viennent de Debout la France, d’autres sont proches des Identitaires, ou du Parti chrétien-démocrate, deux ont même fondé une école d’extrême-droite. Si Nicolas Dupont-Aignan a été élu en Essonne sous l’étiquette Debout la France (DLF), plusieurs de ses anciens partisans ont rejoint le RN et ont été élus à l’Assemblée : au moins six députés RN sont issus de l’Avenir français, une formation née du départ d’une soixantaine de jeunes de DLF, comme Jean-Philippe Tanguy (élu de la Somme), et désormais candidat à la présidence de la Commission des finances de l’Assemblée, ou Alexandre Loubet (élu de Moselle), qui avait créé la première association souverainiste eurosceptique à Sciences Po Paris.
Plusieurs proches du groupe d’extrême droite les Identitaires, organisation créée par l’ex-cadre du RN Philippe Vardon (désormais soutien d’Éric Zemmour), entrent également au Palais Bourbon, comme Lionel Tivoli et Bryan Masson (élus des Alpes-Maritimes) ou Franck Allisio (Bouches-du-Rhône). La Côte d’Azur est devenue une terre d’élection pour les « anciens » de l’ultra droite.
Deux « ex » du Mouvement pour la France de Philippe de Villiers siègent également dans la nouvelle assemblée : Pierre Meurin (Gard) et Christophe Bentz (Haute-Marne). Ils sont cofondateurs de l’ISSEP, l’école lyonnaise de Marion Maréchal destinée à former les cadres de l’extrême droite. Christophe Bentz a également été délégué général du Parti chrétien-démocrate, petite formation de droite extrême et catholique intégriste, réunissant Christine Boutin et Jean-Frédéric Poisson. Pierre Meurin avait également été l’un des architectes de la pré-campagne d’Éric Zemmour en 2021.
Les démêlés judiciaires
Outre Frédéric Boccaletti, condamné pour violence avec arme en réunion, sept députés RN ont des démêlés judiciaires, avec différents degrés de gravité. Plusieurs élus sont cités dans l’affaire concernant des soupçons d’emplois fictifs d’attachés parlementaires du RN au parlement européen, comme Kevin Pfeffer (Moselle), ancien proche de Florian Philippot. Julien Odoul a été mis en examen pour recel de détournement de fonds publics en 2019. Il est également accusé d’emploi fictif par sept conseillers ou ex-conseillers régionaux de Bourgogne, comme l’a révélé Libération l’année dernière. Bruno Bilde, député réélu du Pas-de-Calais, est accusé de harcèlement sexuel par d’anciens attachés parlementaires .
Daphné Deschamps
Photo : Anne Paq