Les députés européens ont adopté le 14 avril à une très large majorité la directive sur le « secret des affaires », un texte qui risque de rendre la vie beaucoup plus difficile aux lanceurs d’alerte, salariés, journalistes et plus généralement à tous ceux qui s’efforcent d’informer de manière indépendante sur les activités des entreprises. La mobilisation de la société civile, des pétitions signées par plusieurs centaines de milliers d’Européens et le scandale des Panama Papers, survenu dix jours seulement auparavant, n’auront pas suffi à dissuader les parlementaires européens d’adopter cette directive, en séance plénière à Strasbourg.
Sous couvert de lutter contre l’espionnage industriel, elle consacre un principe très général et flou de « protection des informations relatives à la vie des entreprises contre toute forme de divulgation publique » (lire notre article). En les protégeant ainsi encore un peu plus des regards de la société. « Avec cette directive, le parlement européen a l’inconscience de créer un nouveau droit à l’opacité pour les multinationales et fragilise encore les contre-pouvoirs », s’indigne la coalition européenne d’ONG, de syndicalistes et de journalistes qui a mené la bataille contre ce projet.
Le droit à l’information devient l’exception
Pour justifier leur soutien au texte, les eurodéputés sociaux-démocrates et libéraux déclarent avoir introduit suffisamment de garanties pour les journalistes et les lanceurs d’alerte, et que le projet soumis au vote représentait le meilleur des compromis possibles. Il n’en reste pas moins que la directive consacre le principe du secret comme la règle, et le droit à l’information comme l’exception. Les décideurs européens ont refusé d’en circonscrire le champ aux pratiques anticoncurrentielles stricto sensu (l’utilisation des informations protégées à des fins économiques intéressées). Les entreprises auront donc une très grande latitude pour décider quelles informations elles souhaitent garder secrètes. Les protections introduites pour les journalistes et les lanceurs d’alerte ne sont pas automatiques et seront décidées devant les tribunaux. À une journaliste de la BBC qui lui demandait si elle pouvait lui garantir qu’elle ne serait jamais condamnée à cause de cette directive, la rapporteure française du texte, Constance Le Grip (Les Républicains), n’a eu que cette réponse : « Je ne suis pas juge. »
Les eurodéputés verts ont demandé – sans succès – que le vote d’hier au Parlement soit repoussé, afin que la directive sur le secret des affaires soit adoptée en même temps qu’un projet de directive sur la protection des lanceurs d’alerte, qu’ils doivent présenter le 4 mai prochain.
Transposition de la directive européenne en France
On se souvient que début 2015, il avait été envisagé d’introduire dans la loi Macron des dispositions sur le secret des affaires à la teneur proche de la directive européenne. La proposition a été abandonnée face à la levée de boucliers de la société civile (lire notre article). Maintenant que les inspirateurs du texte ont eu plus de succès au niveau européen, la bataille va revenir à l’échelle nationale, avec la transposition de la directive dans les législations de chaque pays. Le gouvernement français va-t-il essayer de réintroduire les sanctions pénales exorbitantes (jusqu’à 3 ans de prison et 375 000 euros d’amende) qui avaient été envisagées l’année dernière ?
La bataille se poursuivra également devant les tribunaux. Le procès du lanceur d’alerte Antoine Deltour et du journaliste français Édouard Perrin, à l’origine des « LuxLeaks » doit s’ouvrir dans quelques jours. Il y a lieu de craindre que ce ne soit pas le dernier.
Olivier Petitjean