« Four more years ! » – quatre ans de plus ! – scandait hier la foule amassée au bas de l’estrade présidentielle à Chicago, après l’entrée sur scène de Barack Obama, son épouse et ses filles. Barack Obama vient donc de décrocher un second mandat à la tête des États-Unis d’Amérique. Alors que les derniers sondages annonçaient des résultats extrêmement serrés, voire la victoire du candidat républicain, le candidat sortant a été réélu assez largement en gagnant 303 grands électeurs contre 206. Comparé à l’élection de 2008, les démocrates n’ont perdu que les Etats de l’Indiana et de l’Arizona.
Leur stratégie consistait à polariser l’opinion américaine en mettant en avant les « régressions » que proposait Mitt Romney par rapport aux « acquis » du premier mandat d’Obama, notamment la réforme du système de santé. Cette stratégie a triomphé. En considérant l’état de l’économie américaine et du reste de la planète, la réélection de Barack Obama est un exploit.
70% des hispaniques pour Obama
Quelles leçons en tirer ? Tout d’abord, que l’électorat latino ou hispanique s’est massivement mobilisé pour Obama (70% des votes). Alors qu’il représente aujourd’hui plus de 10% du corps électoral américain, il est quasi complètement dévoué au camp démocrate, excepté une frange de la communauté d’origine cubaine. La fracture avec le parti républicain est consommée. Le poids réactionnaire, voire raciste, du Tea party ainsi que les prises de position ultra-sécuritaires en matière d’immigration du Grand Old Party (nom officiel du parti républicain) ont même fini de repousser la frange socialement conservatrice – car catholique pratiquante – de la communauté latino.
Certains analystes républicains s’alarment : les latinos étant la communauté présentant la plus importante progression démographique, il se pourrait que cette fracture éloigne durablement les républicains de la Maison Blanche. Au-delà d’un hypothétique revirement de doctrine, le seul espoir pour la droite américaine de renouer avec cet électorat repose quasi exclusivement sur le fait de choisir un candidat latino pour les présidentielles à venir, comme Marco de Rubio ou George P. Bush, neveu de George W, et petit-fils de Bush senior.
Pas de fracture avec les jeunes et les Noirs
L’électorat noir que l’on craignait frustré et « fâché » avec Obama s’est tout autant mobilisé. Il a été décisif dans plusieurs swing states (états pouvant basculer vers un camp ou l’autre). Les leaders noirs, de la société civile ou du parti démocrate mettront sûrement tout en œuvre pour inciter Obama à aller plus loin en matière d’égalité, de lutte contre les discriminations et de justice sociale. Avec les jeunes – 60% ont voté pour Obama – que l’on disait également déçus par le premier mandat, les Noirs constituent à nouveau le pilier de son électorat.
Le « gender gap », la fracture entre le vote des hommes et des femmes, tant redouté par les analystes démocrates n’a pas eu lieu : Obama n’a pas perdu le vote des femmes, il a remporté 53% de leurs voix.
Créations d’emplois mais régressions écologiques
Les Etats industriels, comme l’Ohio, ainsi que les ouvriers, ont clairement choisi Obama. Faut-il y voir le résultat des différents projets initiés par Obama pour soutenir l’économie, et qui ont commencé à produire leurs effets en matière d’emplois ? Mais aussi y lire les conséquences du recul d’Obama sur des sujets environnementaux majeurs, comme celui en faveur de l’exploitation des gaz et huiles de schiste. En se fondant sur les positions prises par le candidat durant la campagne, rien n’augure d’un changement de cap écologique.
D’autres élections avaient lieu le même jour. Le renouvellement de la Chambre des représentants et du Sénat a donné lieu à un statu quo : les républicains conservent la majorité au sein de la première, les démocrates au sein de la seconde. Avec une différence notable, l’arrivée au Sénat de parlementaires classés à la gauche du parti démocrate : Elizabeth Warren, Sherrod Brown, Claire McCaskill, Tammy Baldwin. Cette dernière, élue pour le Winsconsin, est très proche des mouvements citoyens et des syndicats des employés de la fonction publique. Elle est la première sénatrice ouvertement homosexuelle des Etats-Unis.
Obama vs Wall Street ?
Enfin, de nombreux référendums locaux avaient lieu, certains avec des conséquences importantes. Le droit au mariage pour tous a été étendu dans le Maryland, les peines planchers ont été adoucies dans le Maine, les droits à l’avortement ont été confortés dans le Michigan... Mais l’étiquetage des OGM, proposé par référendum en Californie, a été refusé à une courte majorité (lire notre article).
A la veille du second mandat de Barack Obama, le pays apparaît comme profondément divisé. Qu’il s’agisse des questions économiques, sociales, environnementales et internationales, Barack Obama sera confronté à deux choix : soit défendre et renforcer les quelques « acquis » – augmenter les impôts pour les riches, étendre le régime de protection sociale... – de sa première administration, en tentant de passer en force en s’appuyant sur la population. Soit constamment rechercher la conciliation avec les républicains et les puissances économiques – patronat, Wall Street – et risquer de se retrouver à nouveau paralysé.
Eros Sana
Photo : Source Mother Jones