« Une grande cause nationale sera mise au cœur de l’action du quinquennat : l’égalité entre les femmes et les hommes », promettait le candidat Emmanuel Macron. Devenu président de la République, il vient de signer des ordonnances réformant le code du travail qui risquent de minimiser les droits, déjà très fragiles, des femmes victimes de harcèlement sexuel. Plusieurs dispositions, réparties sur diverses ordonnances, inquiètent les victimes, leurs avocates et l’Association européenne contre les violences faîtes aux femmes au travail (AVFT). « La mise à mort des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT- voir notre article ici) est un scandale. Cela porte un coup d’arrêt à la montée en puissance d’un outil dont l’on se servait de plus en plus. », commence Marilyn Baldeck, déléguée générale de l’AVFT, qui traite chaque année environ 150 dossiers de harcèlement sexuel au travail.
La menace du plafonnement des indemnités prud’homales
Citant l’exemple d’une journaliste d’un quotidien régional qui a porté plainte contre son supérieur hiérarchique pour harcèlement sexuel, la juriste explique : « Le CHSCT de l’entreprise s’est saisi de la question. Il a diligenté une enquête qui a été faîte par un cabinet extérieur. Cette enquête a apporté des éléments qui ont permis de crédibiliser les accusations de harcèlement sexuel. Les experts de ces cabinets sont indépendants et ils sont compétents. Les CHSCT garantissaient l’impartialité des enquêtes menées dans les entreprises et ils nous permettaient de travailler avec les syndicalistes ».
Autre problème : le plafonnement des indemnités prud’homales, quel que soit le préjudice subi par les salariés abusivement licenciés (Voir notre article ici). « On nous oppose que les victimes de harcèlement sexuel ne seront pas concernées parce qu’il y a une dérogation pour les licenciements les plus graves », dit Marilyn Baldeck. Le plafonnement des indemnités prud’homales n’est pas censé concerner un salarié victime d’un préjudice grave, comme un harcèlement sexuel ou moral. Mais les juges prud’homaux risquent de percevoir cette accusation de la part d’une salariée licenciée comme un moyen d’obtenir des indemnités plus importantes que ce que prévoient les plafonds et non comme un préjudice réellement subi. « Il va y avoir, à chaque fois, une suspicion d’intérêt financier qu’il va falloir contrer », craint ainsi Marilyn Baldeck.
Les ordonnances contraignent les victimes de rester avec leurs agresseurs
« On n’arrête pas d’entendre que les victimes de harcèlement sexuel ou moral ne sont pas concernées par le plafonnement des indemnités prud’homales, parce que les ruptures les plus graves ne sont pas concernées. Mais c’est faux », ajoute Maude Beckers, avocate et membre du syndicat des avocats de France (SAF). Si le salarié prend l’initiative de la rupture de son contrat de travail, même pour une bonne raison, il est concerné par le plafonnement des indemnités. Or, dans la majorité des dossiers de harcèlement sexuel, les femmes sont obligées de prendre l’initiative de la rupture et de quitter leur emploi pour ne plus être harcelées sexuellement.
« Les licenciements pour harcèlement sexuel sont très rares, décrit Maude Beckers. Ce que l’on voit le plus souvent, ce sont des prises d’acte : les femmes envoient un courrier avec accusé de réception à leur employeur dans lequel elles prennent acte de la rupture de leur contrat de travail, dans la mesure où leur employeur ne les a pas protégées du harcèlement comme il se doit normalement de le faire. Par la suite, les juges requalifient ces prises d’acte en licenciement illégal. » Au moment où elles reçoivent l’accusé de réception, elles ne mettent plus les pieds dans l’entreprise. « Ce type de rupture est un outil qui nous permet d’extraire les victimes de situations dangereuses. On s’en sert très souvent. Les ordonnances, telles qu’elles sont actuellement rédigées, nous privent de cet outil. C’est une catastrophe », s’alarme Marilyn Baldeck.
Autre possibilité de rupture à l’initiative de la salariée : la résiliation judiciaire. « Quand on saisit le conseil des prud’hommes pour demander le versement de dommages et intérêts, on demande aussi aux juges de prononcer la rupture du contrat », détaille Maude Beckers. La résiliation judiciaire n’est pas non plus concernée par la dérogation au plafonnement des indemnités. « Un dossier de harcèlement sexuel pour les femmes qui osent porter plainte et aller aux Prud’hommes, cela dure quatre à cinq ans. Il faut avoir du courage et de la patience. Si, en plus, au bout du parcours, l’employeur n’a que de très faibles condamnations, qui va porter plainte ? » , interroge l’avocate. Le harcèlement sexuel au travail concerne une femme sur cinq, selon le Défenseur des droits, soit 2,5 millions de femmes. Elles sont d’abord victimes d’un collègue (41%), de l’employeur (22%), d’un supérieur hiérarchique (18%) ou d’un client.