Transition

Une loi pour rendre l’agriculture plus écologique et sociale ? Le gouvernement s’y refuse

Transition

par Nolwenn Weiler

En décembre, les parlementaires vont plancher sur la loi d’orientation agricole. Le texte, concocté par le ministère de l’Agriculture, est censé répondre à des défis majeurs : dramatique chute du nombre d’agriculteurs et changement climatique.

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En décembre, les parlementaires vont plancher sur une future loi d’orientation agricole (LOA). Rêvons un peu et imaginons une loi à la hauteur des enjeux sociaux, économiques, climatiques et sanitaires. Elle prévoirait l’installation d’un million d’agriculteurs et agricultrices d’ici 2050. Pour cela, les instances qui décident de l’usage de ces terres – qui peut s’y installer ou reprendre une exploitation – seraient transformées et leur gestion deviendrait démocratique et transparente.

Portrait stylisé de Nolwenn Weiler
L’édito de Nolwenn Weiler
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Comment ? Ces instances seraient enfin ouvertes à la diversité syndicale, aux organisations de protection de l’environnement et aux habitants. Ces nouveaux venus auraient un vrai pouvoir de codécision. Ils ne seraient pas là seulement pour la photo, comme c’est le cas aujourd’hui.

Parmi lesdites instances, toujours entre les mains de la puissante et indéboulonnable FNSEA, il manque des structures d’accompagnement de l’agriculture paysanne telles que les centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural (Civam). Elles pourraient avoir leur mot à dire sur le devenir de l’immense surface agricole française qui couvre presque 30 millions d’hectares, soit 45 % du territoire national.

Des aides publiques inadaptées

Autres promesses utiles que pourrait annoncer une loi d’orientation agricole ambitieuse : des aides publiques accordées en fonction du nombre d’emplois créés (qu’ils soient salariés ou non), et non plus en fonction du nombre d’hectares possédés, sachant que dans les très grandes exploitations agricoles, il est très difficile, voire impossible de se passer d’engrais de synthèse et de pesticides.

On pourrait aussi imaginer des dispositifs de soutiens financiers à l’installation qui répondent aux profils réels de ceux et celles qui veulent reprendre des fermes. Aujourd’hui, les deux tiers de ces candidates n’accèdent pas aux aides publiques à l’installation, soit parce que trop âgés (il faut avoir moins de 40 ans), soit parce que les critères d’attribution ne correspondent pas à leurs projets.

Preuve que les méthodes d’accompagnement sont inadaptées : plus de la moitié de ceux et celles qui engagent des démarches pour s’installer finissent par abandonner. Les plus âgés, les plus précaires, les femmes sont ceux qui renoncent le plus. Des renoncements qui s’avèrent catastrophiques dans un contexte où la moitié des 496 000 agriculteurs et agricultrices auront l’âge de partir à la retraite d’ici 10 ans.

Une concertation en trompe-l’œil ?

Répondant à l’engagement de « coconstruction » annoncé par Emmanuel Macron en septembre 2022, nombre d’associations, organisations syndicales et collectifs ont contribué à la grande concertation lancée il y a un an par le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau, en vue de la rédaction du projet de loi.

Tous ces acteurs craignent aujourd’hui d’avoir travaillé pour rien. Ils ont en effet été superbement ignorés par le ministre lors de ses premières annonces sur le futur texte, le 9 septembre dernier. Marc Fesneau a choisi de faire ces annonces lors du rassemblement « Terre de Jim » à Cambrai, dans le Nord de la France, organisé par le syndicat des Jeunes agriculteurs (JA), proche de la FNSEA.

Le collectif Nourrir, qui regroupe 54 organisations, dont la Confédération paysanne, dit regretter « ce choix marqué », et s’interroge sur la volonté de prendre en compte la diversité des avis censée avoir guidé l’élaboration de la loi. Marc Fesneau a par ailleurs précisé qu’il souhaitait une logique « d’accompagnement » plutôt que de « normes », souvent décriées par les agriculteurs. Les propriétaires des fermes usines, où s’entassent des dizaines de milliers d’animaux, qui se battent pour assouplir les lois de protection de l’environnement seront sans doute touchés par cette attention.

Vers une financiarisation croissante de l’agriculture ?

Concernant la question – cruciale – du foncier, le ministre a évoqué un « fonds de portage » de 400 millions d’euros permettant d’acheter des terres agricoles pour le mettre à disposition d’agriculteurs. Mais il n’a pas évoqué qui gérerait ce fond, ni comment. Il n’a rien dit de précis sur le renouvellement du parcours d’accompagnement à l’installation, si ce n’est qu’une nouvelle instance va être créée : « France Service Agriculture ». Les personnes non issues du milieu agricole, souhaitant, par exemple, se reconvertir dans le maraîchage ou ouvrir un petit élevage, seront-elles mieux soutenues ? Nul ne le sait.

La question est pourtant centrale, ces personnes sont le principal vivier du renouvellement générationnel des agriculteurs : elles représentent 60 % des candidats à l’installation. Elles « cherchent à s’installer sur des fermes en polyculture-élevage et à taille humaine, l’inverse donc de l’offre actuelle », remarque l’organisation Terre de liens, qui a fait des propositions très précises pour la LOA, avec une petite dizaine d’associations et réseaux d’accompagnement des candidates à l’installation [1].

Ultra spécialisées, surdimensionnées et chères, les fermes qui sont à vendre aujourd’hui sont inaccessibles aux nouveaux agriculteurs. Résultat : les deux tiers des surfaces libérées par les départs en retraite partent à l’agrandissement. Ces trente dernières années, la taille des fermes a plus que doublé, passant de 27 hectares en 1988 à 69 ha en 2020. Les exploitations de plus de 130 ha couvrent désormais 40 % du territoire agricole métropolitain.

« Si l’on ne fait rien aujourd’hui, il sera encore plus difficile de transmettre des fermes devenues tellement grandes que seules les firmes pourront les reprendre », alerte Terre de liens, précisant que 5 millions d’hectares vont changer de mains dans les dix prochaines années. D’ores et déjà, une ferme sur dix est une société financiarisée ouverte aux investisseurs non exploitants, particuliers, groupes de l’agroalimentaire, ou fonds d’investissements. Ces sociétés exploitent 14 % de nos terres agricoles. Soit deux fois plus qu’il y a 20 ans.

Mais cette financiarisation croissante de l’agriculture ne semble pas inquiéter notre ministre. Elle annonce pourtant une course à la rentabilité à court terme, pour que les investisseurs récupèrent leur mise, avec des champs sans cesse plus grands, où l’usage d’engrais et de pesticides n’est pas prêt de s’arrêter. Espérons que nos députées y soient attentifs.

Nolwenn Weiler

Photo : © Laurent Guizard

Suivi

Mise à jour le 24 janvier 2024 : Le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau a annoncé que le projet de loi sur l’Agriculture est reporté de « quelques semaines », alors que le mouvement de contestation s’amplifie.

Notes

[1Voir ici leur document de travail.