Une nouvelle semaine de négociations vient de se terminer à Genève, dans l’enceinte des Nations unies, en vue de l’adoption d’un traité international sur les multinationales et les droits humains. C’est la cinquième depuis que l’Équateur et l’Afrique du Sud ont fait voter par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, en 2014, la création d’un groupe de travail intergouvernemental à cet effet. Mais de puissants ennemis se dressent sur son chemin : les lobbies du monde économique, les États-Unis, l’Europe qui est très réticente (lire l’enquête à ce sujet de l’Observatoire des multinationales), et désormais le Brésil de Jair Bolsonaro, qui a réclamé cette année, appuyé par la Chine et la Russie, que la société civile soit mise à l’écart des discussions.
Pourtant, contrairement à d’autres tentatives précédentes aux Nations Unies pour encadrer les activités des multinationales, les négociations avancent. Un nouveau projet de traité, certes probablement pas aussi ambitieux que le souhaiteraient les ONG mobilisées sur le sujet, sera mise sur la table en 2020.
Vers une directive européenne ?
Derrière le langage feutré de la diplomatie et du droit, l’enjeu est énorme. Jusqu’à présent, les multinationales ont toujours pu jouer des frontières et des lacunes des législations nationales pour échapper à toute forme de sanction juridique pour les violations des droits humains dont elles étaient responsables. Dow Chemical n’a jamais été jugé pour la catastrophe de Bhopal de 1984, et si les communautés équatoriennes victimes des pollutions de Chevron ont réussi à faire condamner l’entreprise à une amende de 9 milliards de dollars US par un tribunal de leur pays, ils n’ont pas encore réussi à faire appliquer la sentence. L’adoption d’un traité sur le sujet au niveau des Nations unies pourrait rebattre totalement les cartes. Et c’est bien pourquoi les lobbies des multinationales et les grands pays où elles ont leurs sièges font flèche de tout bois pour l’empêcher.
L’Europe jouera probablement un rôle crucial dans le devenir du traité. Comme les autres pays occidentaux, elle s’est opposée de fait aux propositions les plus ambitieuses. D’un autre côté, l’adoption par la France en 2017 de la loi sur le devoir de vigilance des multinationales (lire « Rétablir l’état de droit face à ces nouveaux despotes que sont les multinationales et les marchés financiers ») a immédiatement suscité l’intérêt. Du Luxembourg à la Finlande en passant par l’Allemagne, plusieurs pays envisagent aujourd’hui d’adopter des législations similaires.
A tel point que la pression monte aujourd’hui en vue de l’adoption d’une directive européenne qui mettrait tous les pays de l’Union sur un même plan. Lors des auditions des futurs commissaires européens au Parlement, plusieurs eurodéputés ont soulevé la question, et au moins une candidate commissaire, la finlandaise Jutta Urpilainen pressentie pour prendre en charge les partenariats internationaux, a affirmé son accord sur le principe. De Paris à Genève en passant par Bruxelles, l’adaptation du droit pour rendre les multinationales enfin responsables de leurs abus est à l’ordre du jour.
Olivier Petitjean
– Photo : Le site de l’ex-usine Union Carbide (Dow Chemical) à Bhopal, en Inde. CC 2.0 Jean-Pierre Dalbéra.