Certains voient dans l’origine de ce conflit le résultat de la politique occidentale du Kosovo au Caucase. Il est exact que ces dernières années, la politique des Etats-Unis a été plutôt agressive à l’égard de la Russie dans cette partie du monde. L’administration Bush considère la Géorgie comme un pion stratégique vis-à-vis du nord (Russie) mais aussi du sud (Iran-Irak). Les Américains et les Européens veulent contrôler la production du gaz et du pétrole de l’Asie centrale et de la Caspienne, et son acheminement hors du contrôle russe. Enfin, les allégations de Vladimir Poutine concernant une provocation visant « à favoriser l’un des candidats à l’élection américaine » ont peut-être un fondement.
Purification ethnique
Mais Poutine cherche surtout à exonérer la Russie de sa responsabilité, d’hier comme d’aujourd’hui. Le bourreau des Tchétchènes n’est le sauveur des petits peuples du Caucase seulement quand ça l’arrange. Inutile de s’attarder sur la pénétration tsariste dans le Caucase, qui commence en Ossétie du nord (1774), se poursuit par l’annexion de la Géorgie (1801), et se termine seulement vers 1880 en Tchétchénie, ni sur les sanglants événements qui suivent la révolution de 1917, la reconquête par Staline de la Géorgie indépendante et menchévique en 1921, avec le soutien local des Ossètes et des Abkhazes. Concentrons-nous sur l’époque contemporaine. Après l’effondrement de l’URSS, pendant la guerre civile en Géorgie, les forces armées russes soutiennent (et ont même porté à bout de bras) les séparatistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud, et contribuent à la brutale purification ethnique de l’Abkhazie : la moitié de la population est expulsée d’un territoire ou les Abkhazes proprement dit ne représentaient que 17%. Le Kremlin a ensuite toujours refusé le retour des habitants et les plans de paix internationaux, tout en profitant d’un mandat « d’interposition » militaire lui permettant peser sur l’indépendance géorgienne.
Le retrait de la menace russe est un impératif pour tout gouvernement indépendant à Tbilissi qui souhaite réintégrer à son territoire, sous une forme ou une autre, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud. Celui d’Edouard Chevardnadze n’a pas réussi à régler le problème. C’est l’une des raisons de sa chute lors de la « révolution des roses » en 2003. Le nouveau président, Mikheil Saakachvili multiplie dès 2004 les gesticulations et les provocations. A chaque tentative, la réaction russe est plus virulente, les relations russo-géorgiennes plus dégradées, le rapprochement américano-géorgien plus fort. Après plusieurs années d’escalade, Saakachvili, persuadé du soutien américain et de la passivité russe, a cru pouvoir jouer son va-tout en attaquant le soir de l’ouverture des Jeux Olympiques. Il a foncé tête baissé dans un piège.
Division européenne
Aujourd’hui, les Russes ont reconnu « l’indépendance » de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud (où tout le monde à des passeports russes) et contrôlent plusieurs points stratégiques en Géorgie. La Géorgie doit supporter un nouvel afflux de réfugiés et son économie est en ruine. Mais cette victoire russe à court terme a renforcé la méfiance des peuples voisins. L’Union Européenne est divisée, entre ceux qui ne veulent pas trop dégrader la relation avec Moscou - France, Allemagne, également la Bulgarie - et ceux qui veulent contrer l’agressivité russe grâce à l’OTAN - Pologne, Pays baltes, mais aussi le Royaume Uni (remarquons que les Britanniques ne parlent pas de sanctions contre les oligarques poutiniens qui assurent la fortune de la place financière de Londres). Cette division européenne peut satisfaire l’administration Bush, mais celle-ci a subi un camouflet en n’étant d’aucun secours pour son protégé géorgien.
La crise actuelle pouvait aisément être prévue, sinon dans ses formes et sa date exacte, du moins son caractère inéluctable. C’est une démonstration de l’inadéquation de mécanismes de résolution des conflits « gelés » qui prolifèrent dans la région et peuvent se réveiller à tout instant, en Moldavie (Transdienstrie), en Ukraine (Crimée et base navale russe de Sébastopol), entre Arménie et Azerbaïdjan (Nagorno-Karabagh), au Caucase Nord...
Si l’Union européenne n’a jamais été claire sur la nature de ses relations avec la Russie et son « voisinage » (pays de l’ex-URSS et Turquie), les mouvements sociaux européens n’ont jamais été très attentifs à ceux qui, depuis les années 90, dans les sociétés civiles de Géorgie, d’Arménie, d’Azerbaïdjan, de Russie et dans une moindre mesure dans le Nord-Caucase, se sont efforcés de défendre le respect des droits de chacun pour la paix entre tous. Leurs voix doivent être entendues. Et notamment au prochain Forum social européen de Malmö (Suède) les 17-21 septembre prochain.
Bernard Dreano - Président de l’Assemblée européenne des citoyens (Helsinki Citizens’ Assembly-France) et du Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale (Cedetim).
Une analyse plus longue et détaillée du « piège ossète » est publiée sur le site Mouvements.