Comme chaque année, l’ouverture de la chasse est synonyme de stress et de drames pour les habitants des campagnes. On sait déjà qu’il y aura des morts, des blessés, des animaux tués, des voitures traversées par des balles, des maisons aux vitres explosées, des personnes mises en danger…
L’une de nos missions en créant le collectif Un jour un chasseur, c’est de tout faire pour que les chasseurs arrêtent de tuer. La première étape, c’est de rendre visibles les violences et les abus liés à la chasse et c’est ce qu’on essaye de faire en relayant la parole des victimes sur nos réseaux sociaux.
Dans les médias, les victimes de la chasse sont souvent invisibilisées : c’est rare de lire leurs noms et de voir leurs visages. Le plus souvent figurent juste un âge et l’activité qu’elles faisaient au moment de leur mort. Pour nous, il était essentiel de montrer que derrière ces morts, il y avait des humains avec des histoires, des familles, et des amis.
Non, le nombre d’accidents ne diminue pas
Le collectif Un jour un chasseur est né d’un drame : la mort de notre ami commun, Morgan Keane, le 2 décembre 2020. Un chasseur l’a tué en le « confondant avec un sanglier ». C’était en plein confinement, et il était en train de couper du bois dans son jardin, dans le Lot. Après sa mort, autour de nous, des voix se sont élevées dans les campagnes et sur les réseaux sociaux : « Ça devait arriver », « Il fallait s’y attendre ».
On a alors décidé de collecter cette parole qui faisait état « d’accidents », de mises en danger d’autrui, de morts d’humains et d’animaux domestiques, de dégâts matériels – des tirs dans des maisons, dans des voitures en circulation –, d’une multitude de mésaventures avec des chasseurs aux quatre coins de la France. On s’est alors rendu compte que la mort de Morgan n’était pas un cas isolé : en 20 ans, plus de 430 personnes ont été tuées par des chasseurs.
Si plus de 3 000 incidents ont été recensés depuis 20 ans par l’Office français de la biodiversité (OFB), ces chiffres officiels sont bien en deçà de la réalité, car ils ne prennent en compte que les incidents qui ont fait l’objet d’une intervention de la gendarmerie. Or, à travers la masse de témoignages que nous recevons chaque jour en période de chasse, il nous est possible d’affirmer que la plupart des incidents liés à la chasse ne sont aujourd’hui pas recensés puisqu’ils ne font l’objet ni d’une plainte en gendarmerie ni d’une enquête ou pire sont classés sans suite.
Afin de montrer que les chiffres présentés par l’OFB n’ont rien d’exhaustifs, nous avons créé une carte interactive qui recense les « accidents » et les incidents de chasse ayant fait l’objet d’un article de presse lors de la saison de chasse 2022-2023. Si ces chiffres sont tout aussi incomplets que ceux avancés par l’OFB (car beaucoup d’incidents ne font pas l’objet d’un article de presse), l’objectif de cette carte est de montrer que les chiffres officiels ne sont pas fiables. Aujourd’hui, il n’existe pas de recensement systématique et scientifique des accidents de chasse qui ferait état d’une diminution du nombre d’« accidents » et d’incidents, contrairement à ce que martèlent les médias.
La manière la plus simple et la plus efficace pour que les chasseurs arrêtent de tuer serait évidemment d’interdire la chasse. Mais aujourd’hui, ce projet se heurte au lobby de la chasse, et à une multitude d’enjeux politiques, économiques, culturels et sociaux. Face à l’urgence de la situation, il est donc nécessaire d’être pragmatique. C’est pourquoi en septembre 2021, nous avons déposé une pétition sur le site du Sénat, dans laquelle nous proposons cinq mesures qui pourraient être mises en place très facilement. Nous ne les avons pas inventées : beaucoup existent déjà chez la plupart de nos voisins européens.
La première chose à faire serait d’interdire la chasse plusieurs jours par semaine, notamment le week-end où plus de 60 % des accidents ont lieu. Ensuite, il faudrait instaurer des zones de protection systématiques (au moins égales à la portée maximale des armes utilisées) autour des habitations et des routes. La formation du permis de chasser doit être plus stricte (relever l’âge minimum qui est aujourd’hui fixé à 16 ans, renforcer la difficulté des épreuves).
L’urgence d’encadrer les comportements à risque
Une autre chose serait d’interdire de chasse à vie les chasseurs qui ont commis la moindre infraction. Aujourd’hui, la plupart du temps, même lorsqu’un chasseur tue quelqu’un, la suspension de son permis n’est que temporaire. C’est inacceptable. On sait que le chasseur qui a tiré sur Morgan avait commis un certain nombre d’erreurs avant de le tuer – notamment des tirs en travers de la route. Si, dès la première infraction commise, l’arme lui avait été retirée, peut-être que Morgan serait encore vivant [1]. Enfin, il faut aussi exiger un certificat médical et psychologique annuel pour attester que chaque chasseur est en capacité physique et psychologique d’utiliser une arme à feu.
Plus généralement, il faut que les comportements à risque soient plus encadrés, car en épluchant la rubrique des faits divers, on s’est rendu compte que beaucoup de fusils de chasse étaient utilisés hors du cadre des actions de chasse dans des faits de violences conjugales, règlements de compte, suicides, féminicides, homicides volontaires… Nous avons cherché à savoir combien de ces armes de chasse avaient été obtenues légalement, via un permis de chasse. Nous avons posé la question au gouvernement, et nous restons sans réponse à ce jour. Sans visibilité là-dessus, on ne peut pas savoir s’il y a un réel suivi des comportements à risque des chasseurs.
À l’approche de l’ouverture de la chasse, nous craignons d’être, comme chaque année, submergées de témoignages difficiles. Nous craignons de voir que rien ne change. Il faut que le gouvernement prenne enfin ses responsabilités. Il est de son devoir de mettre en place des mesures fortes, rapides, et efficaces, loin des mesurettes annoncées en janvier dernier par Bérangère Couillard, l’ex-secrétaire d’État à l’Écologie, comme la création d’une application pour délimiter les zones de chasse. Cette application n’empêchera pas les balles de traverser les routes et les maisons. Cette application n’aurait pas sauvé Morgan Keane qui coupait du bois dans son jardin.
Mila Sanchez, cofondatrice du collectif Un jour un chasseur
Propos recueillis par Emma Bougerol