A l’occasion des états généraux de la biodiversité, qui se sont tenus à Tournefeuille, près de Toulouse, mi-avril, des militants anti-OGM se sont donnés rendez-vous devant un magasin Gamm Vert, dans une zone industrielle de l’agglomération, installée au milieu de champs bientôt constructibles. Cette grande surface du jardinage se présente comme le « leader de la distribution verte » dans le jardin et le végétal. Elle commercialise notamment des aliments produits à partir de graines génétiquement modifiées. Difficile pour le consommateur d’échapper à ces semences manipulées. D’autant que les alternatives au transgénique se font rares.
Véritable bien commun, les semences paysannes sont dépourvues de droit de propriété intellectuelle, contrairement aux plantes génétiquement modifiées, sur lesquelles on dépose un brevet aux Etats-Unis ou un certificat d’obtention végétale dans l’Union européenne. Egalement appelées « variétés anciennes », ces semences paysannes sont produites, sélectionnées et conservées dans les fermes. Elles sont souvent légués par les anciennes générations aux jeunes agriculteurs, qui lègueront à leur tour ces semences à leurs enfants. Elles peuvent bien sûr être croisées pour améliorer une espèce, mais leur préservation permet également d’empêcher l’uniformisation en cours des différents types de tomates, de riz ou de maïs. Ces semences paysannes devraient, en théorie, pouvoir être librement diffusées entre agriculteurs. Problème : la réglementation européenne limite de plus en plus ce droit. Les lois encadrant la propriété industrielle et intellectuelle interdisent de les échanger, de les diffuser ou de les reproduire. Devant Gamm Vert, l’une des nombreuses portes d’entrée des OGM [1], les militants violaient donc allègrement la loi en distribuant gratuitement des graines issues de ces variétés anciennes. Philippe Catinaud, membre du Réseau Semences Paysannes, revient sur l’enjeu de cette opération de sensibilisation.
Le Réseau Semences Paysannes a été créé en 2003 pour « redéployer la biodiversité dans les champs et les jardins ». Car aux verrous réglementaires s’ajoute la disparition programmée des variétés anciennes. Collectées dans les années 1970, une grande partie des semences paysannes sont actuellement enfermées dans des chambres froides, initialement gérées par le service public, une Fondation pour la recherche sur la biodiversité, qui commence à s’ouvrir aux acteurs privés. La privatisation progressive de ces banques de gènes rend aujourd’hui leur accès de plus en plus restreint pour l’agriculteur et le jardinier. Il y a donc urgence, selon Hélène Zaharia, l’animatrice du réseau, à vider les banques de graines. « C’est grâce à l’alliance avec les citoyens qu’on pourra faire bouger les choses comme on a pu le faire sur les OGM ».
L’idée des maisons de la semence est que les paysans et les jardiniers s’y regroupent pour mettre leurs semences en commun et gèrent ensemble ce patrimoine. Des territoires comme l’Aquitaine ouvrent la voie. AgroBio Périgord, une des 43 organisations membres du Réseau semences paysannes, a ainsi créé en juin 2006 une maison de la semence qui a pour objectif « d’accueillir, de sécuriser, de conserver et de multiplier via un réseau de professionnels et particuliers les semences de tout pays ». Comme l’explique Guy Kastler, délégué général du Réseau, « on ne peut pas chacun de son côté replanter chaque année 500 à 800 variétés de semences. » L’appel aux jardiniers amateurs est donc lancé mais aussi à tous les citoyens qui peuvent assurer un véritable rôle de plaidoyer auprès des élus pour la reconnaissance des droits des paysans et des jardiniers à conserver, ressemer et échanger leurs semences [2].
Sophie Chapelle
Réalisation : Elise Picon