Va t-on assister à l’interdiction prochaine des plantes médicinales dans l’Union européenne ? Aux origines de cette interrogation, une pétition lancée sur le Net par le « Collectif pour la défense de la médecine naturelle » qui dénonce l’application en France, à partir du 30 avril prochain, d’une directive européenne de 2004 qui rendrait illégale l’utilisation des plantes médicinales.
Industriels de la phytothérapie et des compléments alimentaires s’insurgent contre cette nouvelle législation européenne. La pétition, derrière laquelle on retrouve l’Alliance internationale pour la santé naturelle, un lobby anglais de défense des industriels des compléments alimentaires, a été relayée au niveau français par le collectif de défense pour la santé naturelle. Derrière ce collectif, un seul nom apparait, celui d’Augustin de Livois, consultant à FairValue Corporate and Public Affairs, un cabinet de lobbying à Bruxelles. Cette agence de conseil en communication « accompagne et conseille ses clients pour faire de l’Europe non plus un obstacle mais au contraire une chance et un levier pour leur développement ». Le recours à ce cabinet conseil pour défendre « la santé naturelle » montre une chose : la directive dérange. Mais qui exactement ?
Une directive qui dérange
La phytothérapie consiste à traiter les maladies par les plantes. Au menu : gélules, comprimés, ampoules, tisanes et autres boissons aux vertus « santé ». Ces produits, vendus en grande distribution, pharmacies ou parapharmacies, font l’objet d’enjeux industriels et commerciaux puissants. Pour les seuls compléments alimentaires, le chiffre d’affaires en France est estimé à 1,1 milliard d’euros.
La mise en œuvre de la nouvelle directive européenne pourrait faire chuter de 30% ce chiffre. Car si cette réglementation vise, en théorie, à simplifier l’enregistrement de la substance thérapeutique avant sa commercialisation, elle ne s’applique qu’aux plantes médicinales utilisées et reconnues depuis de très longues années. Et ferme donc la porte aux nouveaux produits de la phytothérapie.
Un régime « simplifié », vraiment ?
Toute commercialisation de plante médicinale suppose l’obtention d’une Autorisation de mise sur le marché (AMM) délivrée par le Comité des médicaments à base de plantes, dépendant de l’Agence européenne des médicaments. Avec cette nouvelle directive, le comité n’exigera plus de tests et d’essais cliniques sur la sécurité et l’efficacité des produits.
En revanche, le demandeur devra fournir des preuves d’une utilisation médicinale du produit – bibliographie scientifique ou rapports argumentés d’experts – pendant une période d’au moins 30 ans, dont au moins 15 ans dans l’Union européenne. Si ces éléments sur l’usage passé font apparaître l’efficacité et l’innocuité du produit, le Comité pourra conclure à un niveau satisfaisant de sécurité et l’autoriser à la commercialisation.
Les petits producteurs mis hors-circuit
Thierry Thévenin est membre du Syndicat des Simples, le nom donné aux variétés végétales ayant des vertus médicinales. Pour lui, cette procédure, même « simplifiée », reste difficile à effectuer pour les petites structures artisanales. Et beaucoup trop longue ! Près de deux ans de travail pour que soit reconnues, par exemple, les propriétés antispasmodique, expectorante ou digestive des graines de fenouil. « Des indications pourtant connues depuis des siècles dans les cultures populaires euro-méditerranéennes et chinoises », s’agace t-il. Un exemple, parmi des centaines d’autres.
Le coût de cette procédure demeure également exorbitant : « au moins 60.000 euros par produit, » estime la députée européenne, Michèle Rivasi. « À quoi rime une législation qui impose des conditions si draconiennes et inadaptées que la réalité du terrain ne puisse s’y conformer ? », interroge t-elle. « L’arsenal des normes, des experts, des homologations aboutit au verrouillage et au contrôle du secteur des plantes médicinales, des médecines complémentaires et de l’herboristerie », résume Thierry Thévenin. À partir du 30 avril, la plupart des petits acteurs de la filière risquent donc d’entrer dans l’illégalité.
Douche froide pour les compléments alimentaires
Indirectement, ce sont également les médecines naturelles et traditionnelle mineures – créole, tibétaine, nigérienne, berrichonne, cévenole, etc. - qui vont pâtir de la législation. Plus ancrées dans la tradition orale que dans la culture bibliographique, ces médecines auront beaucoup de difficultés à récolter des preuves sur l’efficacité et l’innocuité des plantes utilisées. « L’hégémonie des cultures occidentale, chinoise et indienne va se confirmer », précise l’ethnobotaniste, François Couplan.
Évincés de ce régime « simplifié », les fabricants et distributeurs des nouveaux produits de la phytothérapie crient au scandale. Il leur reste deux voies à emprunter pour enregistrer leurs compléments alimentaires. S’ils souhaitent distribuer leurs compléments comme médicaments, ils peuvent déposer un dossier scientifique sérieusement étayé – ancienneté, efficacité, innocuité – auprès de l’Agence européenne des médicaments.
Un bras de fer pour préserver l’autonomie d’une filière bio-artisanale
Autre possibilité, faire valoir une plante en tant que complément alimentaire auprès de l’EFSA, l’Autorité européenne de sécurité des aliments. Cette dernière a pour l’instant instruit 1.750 dossiers d’allégation (concernant des produits alimentaires qui contiennent vitamines, minéraux, probiotiques, omega 3, antioxydants...) sur les 4.200 retenus. Résultat : 85% de ses avis sont négatifs ! Si les industriels reprochent à l’Agence d’user d’une procédure trop rigoureuse, calquée sur celle des médicaments, l’EFSA annonce vouloir protéger les consommateurs européens contre des allégations santé non fondées, mises en avant sur de nombreux produits alimentaires. Faute de prouver scientifiquement les bénéfices avancés des compléments alimentaires – minceur, digestion, sommeil, santé osseuse, etc. –, une majorité pourrait disparaître du marché. Le bras de fer opposant l’EFSA aux fabricants de compléments alimentaires n’est pas prêt de se terminer.
Du côté de la filière bio-artisanale, on réfléchit aux alternatives à cette directive. Aujourd’hui, « un certain nombre de plantes sont en vente libre en dehors des pharmacies », rappelle l’ethnobotaniste, François Couplan. 148 plantes médicinales échappent au monopole de la vente par les pharmaciens comme la lavande, l’eucalyptus, le tilleul, la menthe ou la verveine (la liste complète est en ligne ici). Mais on reste loin du compte avec 1.500 espèces de plantes médicinales en France d’après le syndicat des Simples. Par ailleurs, seuls les pharmaciens ont le droit en France de dispenser des conseils thérapeutiques. Dès lors, cette directive européenne rappelle, selon Thierry Thévenin, la nécessité de « créer des ponts et de la solidarité entre les producteurs Simples et d’autres producteurs et herboristes du monde ». Il appelle donc à former à la préservation et à la transmission des savoirs médicinaux traditionnels, et à réhabiliter le métier d’herboriste – dont le diplôme n’existe plus depuis 1941 en France. Et de conclure : « La question des savoirs populaires, de leur diffusion, de leur transmission et de leur pratique est cruciale pour une certaine conservation de notre autonomie et de nos libertés. » Une histoire qui nous en rappelle une autre, celle du purin d’ortie, objet d’une longue bataille juridique.
Sophie Chapelle