Le porte-monnaie des Français risque de flamber cet été. À moins que le gouvernement ne gèle le tarif régulé du gaz. Le prix du gaz payé par les particuliers à GDF Suez pourrait connaître une hausse de 5 %. Celle-ci pourrait être suivie par une probable augmentation rétroactive de la facture pour prendre en compte le dernier trimestre 2011. Soit environ 39 euros en moyenne payée pour chacun des 10 millions de foyers. Pourquoi ces nouvelles hausses ? Et sont-elles vraiment justifiées ?
En septembre 2011, le gouvernement Fillon annonce un gel des tarifs du gaz. Une augmentation aurait fait désordre en cette veille de campagne présidentielle. Contestant cette décision, l’Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (Anode), qui regroupe les concurrents de GDF Suez – parmi lesquels Altergaz, Direct Energie et Poweo – saisit le juge des référés du Conseil d’État. Parallèlement, GDF Suez estime son manque à gagner à 270 millions d’euros. Deux mois plus tard, le Conseil d’État suspend la décision gouvernementale. Matignon est contraint d’annoncer une hausse des tarifs réglementés de 4,4 % au 1er janvier 2012.
60 % d’augmentation depuis la privatisation
Cette hausse ne suffit visiblement pas à GDF Suez, qui, elle aussi, saisit « les juridictions compétentes pour sauvegarder ses intérêts ». Le rapporteur public du Conseil d’État vient de rendre son avis le 20 juin : GDF Suez doit pouvoir récupérer les sommes que l’entreprise n’a pu encaisser entre octobre et décembre 2011 du fait du gel de la tarification. Soit une hausse rétroactive de 39 euros par foyer, selon les calculs de La Tribune.fr. Le lendemain de cette préconisation, le cours en bourse de l’action GDF Suez progresse de 2,4 %.
Pourtant, en termes d’augmentation, le gaz est plutôt bien loti : son prix a bondi de 72,4 % en douze ans, de janvier 2000 à janvier 2012. Coïncidence ? La principale hausse se situe après 2004, année de la privatisation de Gaz de France, fusionnée ensuite avec Suez. « Depuis l’ouverture du capital de Gaz de France, les tarifs ont augmenté de 60 % », souligne la CGT Mines énergie. Côté consommateurs, l’UFC-Que choisir observe un bond de 27 % entre avril et fin 2011.
La faute aux « coûts d’approvisionnement »
Quelles sont les causes de ces perpétuelles augmentations ? Même réglementé, le prix du gaz hors taxes est, en France, l’un des plus élevé de l’Union européenne [1] Paradoxe : il devient l’un des gaz les moins chers une fois les taxes appliquées. Celles-ci sont relativement basses, 16,2 % en moyenne, contre 26,4 % en Allemagne ou 50,4 % au Danemark. Ce n’est donc pas à cause des taxes que les prix s’élèvent.
Pour GDF Suez, le tarif réglementé est censé prendre en compte le coût – croissant selon elle – de ses approvisionnements. L’entreprise achète du gaz via différents types de contrats. Les contrats à long terme sont indexés sur les cours du pétrole. GDF Sudez les a conclus avec ses principaux fournisseurs : le Norvégien Statoil, le Hollandais GasTerra, le Russe Gazprom et l’Algérien Sonatrach. La multinationale française achète aussi du gaz sur des marchés à court terme, davantage soumis aux soubresauts des hydrocarbures, les hausses comme les baisses. Or, le gaz y coûte actuellement beaucoup moins cher. « C’est lié à la bulle du gaz de schiste, que personne n’avait vu venir », relève, pour l’UFC-Que choisir, Jacques Percebois, directeur du Centre de recherche en économie et en droit de l’énergie de l’université de Montpellier. De nouvelles techniques de forage très destructrices de l’environnement ont rendu exploitables des gisements jugés jusqu’ici peu rentables, en particulier aux États-Unis (Lire notre dossier).
Gaz de schiste : la bonne affaire
L’arrivée des gaz « non conventionnels » a fait chuter les cours du gaz naturel de 26 % depuis début 2012, et de 53 % en un an. Résultat : l’écart entre le prix du gaz sur les marchés à long terme, moins sensibles à ce contexte, et à court terme s’est creusé. En 2011, le prix du gaz sur le marché coûte 5 à 6 €/MWh de moins que celui issu des contrats de long terme. Un écart significatif pour la Commission de régulation de l’énergie (CRE). En 2010 cet écart était deux fois plus important…
GDF Suez a-t-elle pris en compte cette baisse pour calculer le coût de ses approvisionnements ? Non, selon la CRE. Dans un rapport assez sévère publié en septembre 2011 [2], la commission de régulation observe que GDF Suez a davantage « accru ses achats de gaz à court terme sur les marchés de gros [le moins cher, ndlr] et a réduit ses enlèvements de gaz issu de ses contrats de long terme ». Ces achats de gaz au prix le moins cher représenteraient au minimum 30 % des approvisionnements de GDF Suez.
Opacité du tarif réglementé
Problème : « Seuls les contrats de long terme importés en France sont retenus pour estimer les formules tarifaires en vigueur pour fixer les tarifs réglementés de vente. Il en résulte que les formules tarifaires successivement utilisées ne peuvent pas prendre en compte les gains liés à ce potentiel d’arbitrage », écrit la CRE. Traduction : GDF Suez achète davantage de gaz moins cher, mais le prix payé par le consommateur est calculé sur la base des approvisionnements de gaz qu’elle achète au prix fort. Une situation qui « ne bénéficie pas toujours au consommateur final », remarque laconiquement la CRE. On l’aura compris, le prix du gaz payé par les usagers est surévalué.
Le calcul de la formule tarifaire est suffisamment complexe pour interdire toute transparence. D’autant que GDF Suez, le gouvernement et la CRE en discutent de manière confidentielle ! Cette formule a été recalculée en janvier 2012. Elle tient désormais un peu mieux compte du prix du gaz sur les marchés de gros. Si l’ancienne formule avait cours, l’augmentation de 4,4 % de janvier 2012 aurait été plutôt de 9 % à 10 %.
Une « marge raisonnable » de 3,3 milliards d’euros
Pour la CGT Mines énergie, cela prouve « non seulement que l’évaluation des coûts est à géométrie variable selon la définition de la formule, mais aussi que les consommateurs avaient payé trop cher leur gaz ces dernières années ». L’avis du rapporteur public du Conseil d’État, qui préconise une facturation rétroactive pour les ménages, prend dans ce contexte une dimension surréaliste. Et une telle opacité sert les pourfendeurs du tarif réglementé, qui, malgré ses défauts, demeure le dernier levier politique pour réguler le marché et éviter que la facture énergétique des particuliers ou des PME n’explose.
Si les tarifs réglementés couvrent les coûts d’approvisionnement, de transport et de distribution, ils doivent également permettre « des marges raisonnables » pour l’opérateur, GDF Suez. Toute la question est de savoir ce qu’est une « marge raisonnable ». Surtout en période difficile.
Et d’autant que GDF Suez n’est pas vraiment une entreprise dans le besoin. L’énergéticien français a annoncé le 23 avril 2012 des résultats en nette progression au premier trimestre. Le chiffre d’affaires du groupe a augmenté de 10,5 %, à 28,155 milliards d’euros, comparé au premier trimestre 2011 [3], tandis que sa marge bénéficiaire s’est gonflée de 5,7 %, à 5,821 milliards. C’est mieux que ne le prévoyaient les analystes. La hausse des tarifs de 4,4 % en janvier a été suivie de records de consommation liés aux températures glaciales de l’hiver.
Actionnaires contre précaires de l’énergie
L’entreprise a versé 3,328 milliards de dividendes à ses actionnaires en 2011. En premier lieu l’État français (36 % du capital) suivi par le Groupe Bruxelles Lambert, propriété du milliardaire belge Albert Frère et du milliardaire canadien Paul Desmarais (5,2 %). La même année, côté « clients », on enregistre un accroissement de la précarité énergétique. Près de 230 000 ménages dans une situation souvent difficile ont vu leur fourniture de gaz suspendue, sur 428 000 demandes de coupure.
La proposition n° 42 du programme présidentiel de François Hollande prévoit l’adoption d’une « nouvelle tarification progressive de l’eau, de l’électricité et du gaz afin de garantir l’accès de tous à ces biens essentiels et d’inciter à une consommation responsable. Elle permettra de faire sortir de la précarité énergétique 8 millions de Français ». Un mois avant l’échéance présidentielle, l’UFC-Que choisir regrettait que le gouvernement Fillon n’ait pas lancé des assises de l’énergie pour réfléchir à la manière de garantir un accès de tous les citoyens aux différentes énergies, au juste prix, dans un contexte sûr et respectueux de l’environnement. La balle est désormais dans le camp du gouvernement de Jean-Marc Ayrault.
Nadia Djabali
Photo : Ivan du Roy/Basta!