Plus de neige

« Tout le monde sait que la fin du ski approche » : la lente reconversion des stations de montagne

Plus de neige

par Maïa Courtois, Martin Delacoux , Valentina Camu

Alors que l’équilibre de la montagne est bouleversé par le dérèglement climatique, les stations tardent à changer leur manière de faire. Quelques-unes essaient de bifurquer vers d’autres activités touristiques.

Sur le parking à flanc de montagne gisent des reliques de 40 années de ski. Des poteaux de métal, des roues, des câbles : les restes des remontées mécaniques qui ont permis d’ouvrir pendant des décennies quatre petites pistes de ski dans le hameau de Granier. « Tous les habitants de Granier sont venus apprendre à skier ici », assure André Pellicier, maire délégué de ce petit bourg de la vallée de Tarentaise, en Savoie.

Beaucoup d’habitants sont venus voir le démantèlement de ce symbole, assuré gratuitement par la grande station voisine de La Plagne. « Ça n’a pas du tout été facile à accepter pour nous », continue l’élu. Le téléski a été victime de son exposition, plein sud, un peu aussi de problèmes de sécurité et, surtout, du dérèglement climatique.. L’enneigement n’est plus suffisant pour faire fonctionner ces pistes dont le sommet est situé à 1390 mètres d’altitude. Les remontées ne tournent plus depuis 2016.

« On essaie de tenir tant qu’on peut »

Certaines petites stations jettent l’éponge, d’autres s’accrochent, tout en essayant de trouver une voie parallèle au ski. C’est le cas de Notre-Dame-du-Pré, qui a hérité du statut de plus petite station de la vallée de la Tarentaise depuis la fermeture de celle du Granier. « Enfin, si on peut appeler ça une station », sourit Joël Romanet, deuxième adjoint de la commune.

La petite station de Notre-Dame-du-Pré, dont les pistes culminent à 1500 m, s'accroche encore un peu au ski mais réfléchit à sa transition.
La petite station de Notre-Dame-du-Pré (Savoie), dont les pistes culminent à 1550 m d’altitude, s’accroche encore un peu au ski mais réfléchit à sa transition.
©Valentina Camu

La plus longue des trois pistes culmine à 1550 mètres d’altitude seulement, pour une descente longue de 835 mètres et un dénivelé de 240 mètres. À peine 3 minutes de descente pour un skieur moyen. À quelques mètres des habitations, l’édile montre deux des trois téléskis du village. « On essaie de tenir tant qu’on peut et on verra. Ça permet de faire vivre le village, ceux qui ont des logements à louer, dit-il. Le problème, c’est qu’on est dans les Alpes. Si les gens viennent ici, c’est pour skier. »

Ici, les remontées mécaniques ne sont pas rentables. Notre-Dame-du-pré maintient donc le ski, mais sans dépenser trop. Le seul canon à neige présent sur la commune lui a été donné. Il était obsolète pour la station de La Plagne. Les pistes de Notre-Dame n’ouvrent que pendant les périodes de vacances, le week-end ou à la demande des deux gîtes du village.

« On essaie de tenir tant qu'on peut et on verra. Ça permet de faire vivre le village, ceux qui ont des logements à louer », dit Joël Romanet, maire-adjoint de la commune. Les pistes de Notre-Dame n'ouvrent que pendant les vacances, le week-end ou à la demande des deux gîtes du village.
« On essaie de tenir tant qu’on peut et on verra. Ça permet de faire vivre le village, ceux qui ont des logements à louer », dit Joël Romanet, maire-adjoint de la commune. Les pistes de Notre-Dame n’ouvrent que pendant les vacances, le week-end ou à la demande des deux gîtes du village.
©Valentina Camu

Quand la neige n’est pas au rendez-vous, le village met en avant sa nature préservée pour accueillir des amateurs de raquettes, en hiver, ou de randonnées naturalistes pendant les beaux jours. Ces activités nécessitent peu ou pas de constructions, ne consomment pas d’électricité ou d’eau et sont plus respectueuses de l’environnement. Entre petite activité ski l’hiver et les autres possibilités le reste du temps, quelques établissements fonctionnent bien, comme un restaurant-épicerie, devenu le véritable centre du village, ou le gîte de vacances.

« On se voile la face »

Au sein du village, certains militent pour une approche différente. « Il ne faut pas attendre. Il faudrait rendre à la nature ce qu’on peut rendre, notamment les téléskis », lance Paul Abondance, un habitant impliqué dans la vie de la commune. Ce serait le symbole qu’une page se tourne, pour de bon. Ce souhait est paradoxal pour cet homme né à Notre-Dame-du-Pré, qui occupe sa retraite en donnant un coup de main à son frère propriétaire d’un magasin de location de ski et de vélos à Montalbert, la grande station la plus proche, à sept kilomètres.

Entre petite activité ski l'hiver et les autres possibilités le reste du temps, quelques établissements fonctionnent bien, comme la Fruiterie, le restaurant-épicerie de Notre-Dame-du-Pré, devenu le véritable centre du village.
Entre petite activité ski l’hiver et les autres possibilités le reste du temps, quelques établissements fonctionnent bien, comme la Fruiterie, le restaurant-épicerie de Notre-Dame-du-Pré, devenu le véritable centre du village.
©Valentina Camu

« Tout le monde est au courant que la fin du ski approche, mais on se voile tous plus ou moins la face, soupire Paul. Et au fond, on cherche tous la même chose : vivre ici dignement. » Dans le magasin de son frère, 35 VTT électriques accompagnent désormais les paires de skis. « Mais ce n’est pas rentable. La seule solution, c’est de les revendre au bout d’un an ou deux d’utilisation », conclut Paul. À titre de comparaison, le magasin loue environ 3000 paires de skis par semaine pendant la saison hivernale.

Notre-Dame-du-Pré n’a pas échappé à l’appétit des constructions plus ou moins bien pensées à long terme. Un grand centre de colonies de vacances y a été édifié en 1982 par la ville de Lens : c’était le moment des promesses de « classes de neige » pour les enfants des ouvriers du bassin minier, des cours le matin, du ski l’après-midi.

Ce modèle a vécu. Le centre a depuis été revendu à une association. Des promoteurs immobiliers ont également tenté de jeter leur dévolu sur le petit village. Un projet de camping de luxe avec « lodges haut de gamme » vient d’être abandonné.

Fuite en avant

Tant pis si la rentabilité n’est plus qu’à très court terme : la fuite en avant continue dans la majorité des stations des Alpes. Surplombant Notre-Dame-du-Pré, Montalbert en est un exemple. La station compte huit remontées mécaniques. Une nouvelle résidence touristique y est en chantier.

À Montalbert, la grande station la plus proche, située à sept kilomètres du village de Notre-Dame-du-Pré.
©Valentina Camu

« À Montalbert, ça n’a jamais autant construit que maintenant. Les promoteurs savent que ce sont les dix ou vingt dernières années durant lesquelles ce sera super rentable. Alors ils investissent énormément », commente Paul Abondance. « Dans vingt ans, ce sera amorti pour eux. Mais nous, qu’est-ce qu’on va devenir ? Que va-t-on faire de ces bâtiments ? »

Ce jour-là, en plein été, des télécabines « Paradiski » montent et descendent du sommet, dans un cycle ininterrompu… Elles sont vides. Quatre salariées en gardent l’accès. « Ici, ça devient de plus en plus compliqué avec la neige, confie l’une d’elles. « L’hiver dernier, s’il n’y avait pas eu les canons à neige, tout le fond de la station n’aurait pas été praticable. » À une dizaine de mètres, un toboggan gonflable rempli d’eau dévale la pente brûlée par le soleil.

Une station qui « vise l’après-ski »

À 200 kilomètres plus au nord, dans le Haut-Doubs, une station tente de s’ériger en contre-modèle : Métabief. « Succession de mauvais hivers, hausse des coûts énergétiques : on anticipe une fin du ski d’ici 2030-2040 », résume Olivier Erard, glaciologue et directeur du Syndicat mixte du Mont d’Or. En plus, renouveler les infrastructures de ski vieillissantes leur coûterait 15 millions d’euros.

« Sur vingt ans, ça ne sera pas amorti », affirme le directeur. Alors, la station a décidé de bifurquer. Développement du VTT, de la luge sur rail, des raquettes, déconstruction des multiples bâtiments du front de neige pour imaginer un seul lieu d’accueil… Deux millions d’euros ont été investis pour la maintenance des infrastructures du ski. Juste le temps de tourner la page. Doucement, mais sûrement.

À Montalbert, une station voisine un peu plus en altitude, «ça n'a jamais autant construit que maintenant», commente Paul Abondance, un habitant de Notre-Dame-du-Pré. «Les promoteurs savent que ce sont les dix ou vingt dernières années durant lesquelles ce sera super rentable. Alors ils investissent énormément.»
« À Montalbert, ça n’a jamais autant construit que maintenant », commente Paul Abondance, un habitant de Notre-Dame-du-Pré. « Les promoteurs savent que ce sont les dix ou vingt dernières années durant lesquelles ce sera super rentable. Alors ils investissent énormément. »
©Valentina Camu

« On n’impose rien. L’important, c’est que les visions changent, et que la coopération s’installe », argumente Olivier Erard. Car ces nouvelles activités de plein air peuvent accroître « des conflits d’usage déjà bien présents », avertit Lucie Brelet, doctorante en psychologie sociale et environnementale à l’université de Nîmes. En 2021, elle a travaillé avec 50 participants autour de « cartes mentales », afin d’identifier les différentes perceptions du territoire, et de venir en appui de la réflexion sur la transition touristique du Mont d’Or.

Cette recherche collaborative a dégagé une préoccupation commune. « Il y a déjà des points de départ spontanés pour des activités extérieures. Ceux-ci touchent à des zones sensibles en matière de protection de l’environnement, hors des sentiers balisés, a identifié Lucie Brelet. Avant même de développer d’autres activités outdoor, on a donc déjà ces problèmes environnementaux à résoudre ! » Autrement dit : il s’agit de ne pas remplacer une fuite en avant par une autre.

Une remontée mécanique.
Une des deux remontées mécaniques qui n’est plus en fonction à Notre-Dame-du-Pré.
©Valentina Camu
Une cabine téléphérique à Montalbert.
À Montalbert, les cabines téléphérique « Paradiski » montent et descendent du sommet en continu, même à vide.
©Valentina Camu

Transition touristique

Hors de question de diversifier l’offre à tout va, Olivier Erard préfère penser la transition touristique comme un « basculement » global. Quelles que soient les activités développées à l’échelle de la station de Métabief, « cela ne remplacera pas le ski, admet-il volontiers. Si on veut garder une économie touristique, il faut donc changer de périmètre. Faire émerger du nouveau à une échelle beaucoup plus grande. » Le Syndicat mixte du Mont d’Or accompagne donc des porteurs de projets indépendants de la neige. Par exemple : aider un loueur d’équipements sportifs à développer le VTT sur un territoire plus grand, via des contrats avec des collectivités.

Pour Lucie Brelet, l’horizon du manque de neige en 2030 a réussi à « faire bouger la station de Métabief, pour entrer dans une transition touristique. Cela implique d’autres changements chez les usagers, bien au-delà du ski. Un effet domino se met en place », assure-t-elle. Son travail de thèse sur le territoire, en lien avec les habitants, vise à ouvrir d’autres discussions. « Ça bouge sur ce territoire ? Alors, faisons bouger tout le monde, y compris sur d’autres enjeux ». En premier lieu, espère-t-elle, « l’avenir de nos forêts », fortement touchées elles aussi par le dérèglement climatique.

Martin Delacoux et Maïa Courtois

Photo de une : A Montalbert, en juillet 2023/©Valentina Camu