Poursuivre « la révolution culturelle du sarkozysme » : tel est l’objectif des deux fondateurs du mouvement « Droite forte », Guillaume Peltier et Geoffroy Didier, secrétaires nationaux de l’UMP. La motion qu’ils présentent pour le congrès de leur parti en novembre – intitulée « Droite forte – Génération Sarkozy » – serait soutenue par 42 % des sympathisants de l’UMP, selon un sondage réalisé par le site Atlantico. Elle devancerait largement celles de Jean-Pierre Raffarin et Luc Chatel (« L’humanisme social, libéral et européen ») ou de Laurent Wauquier (« Droite sociale ») [1] ! Un succès auprès des sympathisants qui doit beaucoup au nom de l’ancien président accolé au titre de la motion. Mais qui n’en demeure pas moins inquiétant pour la future orientation du principal parti conservateur.
« Le sarkozysme n’est pas pour nous une nostalgie, il est bien plus qu’un héritage. Il constitue le socle de nos valeurs pour l’avenir », clament Guillaume Peltier et Geoffroy Didier. Patriotisme, récompense du travail et du mérite, autorité républicaine, lutte contre les fraudes et l’assistanat... constituent les fondements de cette droite « décomplexée » et « conquérante » que veulent incarner ces deux trentenaires aux dents longues. La clé de la victoire ? « Gagner la bataille de la communication et de la pédagogie à droite. » À coups de slogans simplistes et de recyclage des idées de l’extrême droite.
Du FN à l’UMP en passant par le MNR, l’UDF ou le MPF...
« Une droite molle ouvrirait un boulevard au Front national », se défend Guillaume Peltier dans une interview au Figaro. Un FN qu’il connait pourtant bien, pour y avoir milité. À 20 ans, en 1996, il est membre du Front national de la jeunesse (FNJ). Deux ans plus tard, il suit Bruno Mégret dans sa scission et s’engage au MNJ, le mouvement jeune du parti mégrétiste. En 2000, il approche Charles Millon (UDF), ancien ministre de la Défense du gouvernement Juppé, élu en 1998 président de la région Rhône-Alpes grâce à une alliance avec le FN, et qui a créé son propre mouvement : la Droite libérale-chrétienne.
Après un passage à l’UDF, Guillaume Peltier croise la route de Philippe de Villiers. Il devient secrétaire général de son Mouvement pour la France (MPF) et sera son porte-parole lors de la campagne présidentielle de 2007. Celui que Guillaume Peltier considère comme « une marque nouvelle qu’il faut imposer sur le marché » attirera 2,2% des voix. À cette époque, il traite Nicolas Sarkozy d’imposteur. Avant d’intégrer quelques années plus tard la « cellule riposte » de celui-ci, sous la houlette de Brice Hortefeux. Puis de devenir porte-parole adjoint de Nicolas Sarkozy durant la campagne présidentielle de 2012.
« Continuer à briser les tabous »
Cinq partis en une décennie et une demi-douzaine de défaites électorales, dans la Marne puis à Tours... Avec Guillaume Peltier, nous sommes plus proches de la médaille de l’opportunisme que de la récompense du mérite et de la loyauté. Interviewé, il reconnaît que les idées qu’il défend « ne sont pas le fruit d’une réflexion menée par différents intellectuels mais [qu’]elles relaient précisément ce que disent les gens dans les bistrots » [2]. Marqué par les « marées humaines de drapeaux tricolores » de la campagne présidentielle, Peltier semble pour le moment prendre racine à l’UMP. Quitte à donner l’impression de mener quelques batailles de retard : sa motion cible comme priorité de « défendre Nicolas Sarkozy face aux attaques caricaturales de la gauche »...
Le spectre de son mentor plane partout. « Nous ne sommes pas des sous-marins de Sarkozy, » précise Geoffroy Didier, son colistier, qui se décrit comme « sarkozien » et non « sarkozyste »... « Nous ne sommes pas dans le culte de la personnalité mais dans la défense des valeurs. » La Droite forte a tout de même pour slogan : « Le sarkozysme pour fondation, la France pour espérance, l’Europe comme horizon et le peuple comme boussole ». La croisade de Peltier ? « Continuer à briser les tabous et les codes comme il (Nicolas Sarkozy) l’a fait » [3]. Tout un programme.
Contrôle social et stigmatisation des « assistés »
La Droite forte aspire à valoriser les « méritants » face aux « profiteurs », pour « protéger les Français honnêtes ». Les « assistés » – comprenez allocataires de prestations sociales, bénéficiaires précaires de la Sécu, salariés protégés, fonctionnaires, et bien évidemment immigrés... – sont donc la bête noire de Guillaume Peltier. La Couverture maladie universelle (CMU) ? Supprimée, « pour mieux aider ceux qui le méritent vraiment » ! L’Aide médicale d’État (AME) ? Supprimée ! Les 35 heures ? Supprimées ! Les fonctionnaires ? A réduire ! Le Code du travail ? A réformer... La Droite forte propose aussi de développer considérablement les contrôles aux arrêts-maladies, par l’instauration de « contre-visites systématiques à l’initiative des employeurs ». « Tout particulièrement dans la fonction publique », précise la motion.
« Lors de l’expérimentation de 2008, 70% des contrôles des cas de salariés en arrêt-maladie ont donné lieu à une reprise du travail ou à la suspension des indemnités journalières », prétend la Droite forte. Des chiffres loin de correspondre à la réalité. Sur les 1,5 million de contrôles d’arrêt maladie pratiqués par la Cnam (Caisse nationale de l’assurance maladie), un peu plus d’un sur dix se sont révélés « injustifié ou trop long » [4]. A renforcer également : les contrôles pour l’Allocation de parent isolé, l’aide au logement ou l’Allocation de rentrée scolaire « qui donnent lieu à de trop nombreuses fraudes ». Derrière chaque salarié et chaque citoyen se cache un fraudeur en puissance.
Pour lutter contre ces profiteurs qui accablent la patrie, Guillaume Peltier et ses amis rêvent aussi de ficher les Français, grâce à un fichier national unique des prestations sociales. Et pour optimiser le contrôle social, une carte vitale sécurisée biométrique pour tous les assurés, et une nouvelle carte d’identité – biométrique et à empreinte digitale – avec toutes les informations civiles, fiscales et sociales du citoyen, qui fasse office de carte d’identité, de sécurité sociale, carte de santé, carte d’électeur. Une façon sans doute de parachever la grande œuvre sécuritaire et paranoïaque de Claude Guéant.
Impôt minimal pour les grands groupes
Vis-à-vis des « profiteurs du haut » (sic) et des exilés fiscaux, il faut être « intraitable » assure la motion. Eux ne font que « contourner » (re-sic) la loi (à la différence du fraudeur). « Tout déserteur fiscal tenant ses comptes dans un "paradis fiscal" dans le seul but d’échapper à l’impôt français devra, s’il veut garder la nationalité française, payer la somme qu’il doit à l’administration française ». Payer la somme que l’on doit... Voilà de quoi terrifier les 544 grands donateurs de l’UMP, dont 140 résident à l’étranger, « pour l’essentiel dans des contrées où la fiscalité est plus douce qu’en France », a révélé Mediapart, le 25 septembre dernier.
Rassurons-nous, la Droite forte veut aussi sévir contre les entreprises tentées par l’optimisation fiscale, avec la création d’un « impôt minimal pour les grands groupes », qui « échappent trop souvent à l’impôt ». Les 147 grands donateurs qui « appartiennent au monde de la haute-finance », dont huit responsables de Goldman Sachs [5] en frémissent d’avance.
« Droite républicaine », marque déposée par Guillaume Peltier
Un projet qui visiblement ratisse large. Les fondateurs entendent « incarner le courant central de la droite de demain », entre Humanistes (motion de Jean-Pierre Raffarin et Luc Chatel) et Droite populaire (de Thierry Mariani). Le mouvement est soutenu par Brice Hortefeux, président de l’association Les Amis de Nicolas Sarkozy [6]. Dans le comité de parrainage de la motion Droite forte (qui compte 20 hommes et une seule femme !), figure également Édouard Courtial, directeur de la campagne de Jean-François Copé. Mais entre l’actuel dirigeant de l’UMP, et son concurrent François Fillon, les fondateurs de la Droite forte refusent pour l’instant de se positionner...
Si lors du vote des adhérents de l’UMP, le 18 novembre, la Droite forte réalise effectivement le meilleur score de l’ensemble des motions, elle devrait fortement peser au sein du Bureau politique de l’UMP. Toute motion réalisant plus de 10% des voix peut s’instituer en « mouvement », envoie des représentants au sein de l’exécutif du parti et bénéficie des subventions que perçoit l’UMP. En attendant le congrès, pour marquer son territoire, Guillaume Peltier a déposé en mai auprès de l’Inpi (Institut national de la propriété industrielle) la marque « Droite forte ». Il récidive en juillet en s’appropriant le monopole de l’expression « Droite républicaine » [7]. A ce rythme, ses adversaires n’auront plus bientôt plus aucun adjectif à apposer sur leurs affiches. Et Guillaume Peltier pourra continuer d’abreuver le parti de sa rhétorique nauséabonde, en préparant le come-back de son idole.
Agnès Rousseaux
Photo de une : CC UMP photos via flickr