Les centres d’appels en France, ce sont autant d’emplois que dans l’industrie automobile, soit environ 260.000 salariés. Depuis une dizaine d’années, les plateaux téléphoniques et leurs bureaux en « marguerite » ont poussé partout. Ils appartiennent à des sociétés spécialisées dans la « relation client » (Téléperformance, B2S…) ou sont gérés en interne par toute entreprise qui souhaite fidéliser ses clients ou en conquérir de nouveaux : banques, opérateurs de télécoms, assurances, vendeurs d’électricité ou de gaz, agences de voyages...
Les centres d’appels sont souvent considérés comme des laboratoires où sont expérimentées les techniques de management de demain, visant à obtenir des salariés une productivité et une rentabilité maximales. « L’industrie automobile a été le laboratoire de la soumission des corps. Le nouveau lieu où se forgent les techniques d’asservissement des personnes, ce sont les centres d’appels », estime l’inspecteur du travail Jacques Dechoz. « C’est là où l’on retrouve aujourd’hui la nouvelle classe ouvrière, et une proportion énorme de fils et filles d’immigrés. » Des salariés souvent jeunes, au statut plus ou moins précaire, payés au Smic ou pas loin, dans un secteur marqué par un fort turn-over.
Écoutes et surveillance des salariés, temps de pause chronométrés à la seconde, challenges infantilisants pour récompenser le meilleur vendeur, script et ton formatés à respecter, bas salaires et primes de plus en plus inatteignables, travail routinier, pratiques commerciales douteuses : les centres d’appels sont des lieux emblématiques de la pénibilité mentale qui se développe.
Pourtant, en Picardie, dans la périphérie d’Amiens, une plateforme téléphonique résiste encore et toujours à l’envahisseur. A Cappella est un centre d’appels pas comme les autres : c’est une « Scop », une société coopérative de production.
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Les bénéfices y sont équitablement partagés entre tous les salariés. Ceux-ci ont en plus la possibilité de devenir « sociétaires », c’est-à-dire propriétaires de leur entreprise. Quinze ont fait ce choix, sur une soixantaine de « télé-assistants ». Ceux-ci assurent la « relation client » pour des entreprises souvent issues de l’économie sociale : des mutuelles, le groupe Chèque Déjeuner, le Crédit Coopératif ou Le Courrier Picard. Des sociétés qui souhaitent, d’une part, promouvoir quelques valeurs sociales souvent absentes dans la myriade de plateaux téléphoniques et, d’autre part, garantir une relation de qualité avec leur clientèle. Elles veulent donc disposer de télé-opérateurs qui ne soient pas des intérimaires de passage ou des salariés fatigués au bout de quelques mois.
Mais attention, les critères de productivité et de qualité sont bien présents. Sur le plateau, un panneau affiche le nombre d’appels en attente et le pourcentage d’appels pris. Des écoutes discrètes peuvent être faites et les télé-conseillers sont régulièrement évalués à l’aune d’un baromètre qualité. Mais cela se fait dans le dialogue, avec des dispositifs de formation pour pallier à une faiblesse ou adapter la prestation à la demande du client. Des débats agitent d’ailleurs la Scop autour de l’instauration prochaine d’une prime individuelle en plus de la prime collective. Quoiqu’il en soit, les salariés semblent s’y plaire : plusieurs y travaillent depuis déjà sept ans. Lorsque le flux des appels baisse, on peut tranquillement poser son casque et feuilleter le journal, ou se rendre aux sanitaires sans se signaler auprès de son supérieur. Une liberté devenue rare.
Réalisation : Ivan du Roy et Agnès Rousseaux
Montage : Olivier Marcolin