9h30 : Pour aller en cours au deuxième étage, F. s’arrête au premier étage, fait un petit signe à chacun de ses copains déjà installés dans les autres salles de classe (qui a eu la bonne idée d’installer des vitres sur le côté des portes ?), voire ouvre la porte d’une salle d’anglais pour faire rire les élèves et embêter la prof : « Oh, ’scusez-moi, j’croyais que c’était ma classe ! » F. finit par entrer dans sa salle de cours alors que tous ou presque ont déjà sorti leur affaires. Là, il se pose doucement sur une chaise au fond, et, sans retirer son blouson, sort un semblant de cahier. Coudes sur la table, menton dans ses mains, il attend patiemment que la sonnerie retentisse, environ 50 minutes plus tard.
10h40 : À la fin de la récréation, F. a soudain très mal au ventre, se présente au bureau des surveillants, qui, habitués à ces petits maux de fin de récré, lui demandent d’arrêter son cinéma et de monter en cours. Ou l’envoient chez l’infirmière, si elle est présente dans l’établissement, et que F. insiste au-delà du raisonnable. Ainsi renvoyé avec bienveillance, mais fermeté, des uns aux autres, explicitement « recadré » sur l’obligation d’aller en cours malgré un prétendu mal de ventre, F. finit par arriver en classe après tout le monde. Là, il se pose lourdement sur une chaise au fond, et, sans retirer son blouson, sort un semblant de cahier. Coudes sur la table, menton dans ses mains, il attend patiemment que la sonnerie retentisse, environ 40 minutes plus tard.
« Ben quoi, j’étais au collège ! »
11h30 : F., un peu las d’enchaîner les heures de cours, tente de nouveau un passage au bureau des surveillants, où le conseiller principal d’éducation (CPE) le fait de nouveau reconduire en cours, malgré un problème au genou droit : « Mais M’dame, je viens de tomber dans les escaliers ! » En classe, dès son arrivée, il interrompt le professeur à de nombreuses reprises, souvent pour des motifs complètement décalés et fait rire toute la classe. Au bout de 30 minutes de patience, pour pouvoir faire cours, l’enseignant envoie F. passer le reste de l’heure en salle de permanence avec les surveillants. Là, F. retrouve d’autres élèves qui, comme lui, ne tiennent pas plus de deux heures d’affilée en classe. Selon qu’on est en début ou en fin d’année, les surveillants – n’ayant reçu aucune formation en terme de pédagogie ou d’éducation – tentent de les mettre au travail en s’asseyant à côté de chacun ou baissent les bras, plus ou moins vite.
15h : Après avoir assisté (avec son entrain habituel) à la première heure de cours de l’après-midi, F. repasse par le bureau de la « vie scolaire » à l’intercours. Là, il s’aperçoit qu’on installe, en raison de l’absence de nombreux profs, plusieurs classes dans des salles de permanence. Ni une ni deux, il se glisse discrètement dans une salle et, noyé dans la masse, réussit à passer, incognito, une heure entière avec une autre classe de troisième que la sienne, au lieu d’être en cours. Lorsque, plus tard, on lui demandera des explications sur son absence en classe, il répondra, avec aplomb et raison : « Ben quoi, j’étais au collège ! »
16h10 : À la fin de la récréation, alors qu’il a fini ses cours, F. est toujours au collège. Aujourd’hui, il n’est pas collé. Il peut donc quitter le collège sans qu’on le lui reproche. Mais il est toujours là. Dans son errance entre la « perm’ » où s’agitent les collés (beaucoup sont ses copains), et la salle d’aide aux devoirs où un surveillant et un prof font travailler quelques élèves, F. atterrit finalement au bureau des CPE. On lui propose alors d’intégrer l’aide aux devoirs jusqu’à 17 h, ce que F. accepte avec une bonne volonté évidente quoiqu’un peu incertaine. Dix minutes plus tard, F. est de retour au bureau des CPE, accompagné de l’enseignant chargé de l’aide aux devoirs : « Cet élève empêche tout le monde de travailler ! On ne peut pas le garder, c’est vraiment IMPOSSIBLE ! » Et F. d’être raccompagné. À la porte. Mis dehors.
La crainte de n’être pas « comme tout le monde »
Dans la soirée : F. rentre chez lui. Son cartable posé dans l’entrée d’un appartement HLM de banlieue. Personne n’y touche, à part peut-être le petit neveu de F., âgé de deux ans, qui, intrigué par les bandes fluorescentes sur le côté, ira parfois jusqu’à ouvrir le sac et dessiner dans le carnet de correspondance de son tonton. Le cartable repartira le lendemain, tel quel, accroché sur le dos de F. comme un fragment de son armure d’écolier décrocheur.
Les résultats scolaires de F. sont très faibles (moins de 7 de moyenne générale, avec une excellente note en Éducation physique et sportive, moins de 6 en français et moins de 4 en maths). Depuis plus de 3 ans, chaque conseil de classe constate que F. se refuse à entrer dans les apprentissages. Le redoublement n’aurait été qu’une perte de temps puisque F. ne travaille plus du tout depuis son entrée au collège.
La situation de F. est connue depuis l’école primaire, mais toutes les propositions de l’école ont été mises en échec par lui et sa famille. Derrière ces refus répétés, il y a la crainte de n’être pas « comme tout le monde » et celle de laisser l’échec apparaître aux yeux de tous. Pourtant, à la fin de son année de troisième, F. devra être affecté à un lycée (général, technologique ou professionnel). Vu ses résultats, F. se verra au mieux proposer une place dans un CAP. Pour l’instant, le travail sur l’orientation se résume donc à faire un choix entre différents CAP accessibles aux élèves très faibles (pressing, aide à la personne, comptabilité...).
Heureusement, les familles ont le droit de demander le redoublement de troisième. Aussi, s’il n’obtient pas satisfaction, F. pourra rester un an de plus au collège. Tout va bien !
Gustave Malivernes