A ce jour, 10% des femmes enceintes risquent une forme sévère de grippe H1N1, selon le Dr Odile Launay directrice du Centre d’investigation clinique de vaccinologie Cochin-Pasteur. « Mais il est vrai que très peu de tests ont été réalisés sur les femmes enceintes. Peu de données existent même sur les grippes saisonnières car ce public est très protégé et les tests difficiles à mettre en place », ajoute-t-elle. Des essais cliniques sur 101 femmes enceintes volontaires et sur 120 transplantés rénaux testent actuellement le vaccin Sanofi sans adjuvants. Les résultats ne seront délivrés que dans un an, à l’automne prochain.
Avec ou sans adjuvants ?
Telle est la première question qui se pose pour les personnes fragiles qui souhaitent se faire vacciner face à l’épidémie de grippe H1N1. Les adjuvants sont des substances, comme l’aluminium, ajoutées aux vaccins pour en améliorer l’efficacité mais aux effets secondaires encore incertains, et sources de polémique.
Le 10 novembre, l’Agence de presse médicale (APM International) annonce un cas de syndrome Guillain Barré, une maladie auto-immune pouvant provoquer une paralysie respiratoire, chez une jeune femme qui a reçu, le 20 octobre, une dose de vaccin Pandemrix, conçu par le laboratoire GlaxoSmithKline (GSK) avec de l’adjuvant à l’aluminium. Le Dr Jean-Pierre Aboulker, de l’Inserm, en charge de la méthodologie des essais vaccinaux, rassure : « Ces vaccins avec adjuvants ne présentent pas particulièrement de risques. Leurs composants existent dans de nombreux autres vaccins sur le marché, mais il est vrai que la vaccinologie compte à peine 50 ans. Le syndrome Guillain-Barré est davantage provoqué par les grippes que la vaccination. »
Le pédiatre Sylvain Salzeberg travaille en PMI (Protection maternelle infantile). Il se déclare soulagé des consignes prises pour la petite enfance : « Alors que la Cnam (Caisse nationale d’assurance maladie) invite à une vaccination pour les enfants non scolarisés fin novembre et que nous sommes réquisitionnés par le préfet et donc tenus de le faire, nous ne savions pas toujours pas mi novembre, quel type de vaccin avait été choisi. Finalement, nous utiliserons des vaccins avec squalène, ce dernier est plus fiable que celui adjuvé à l’aluminium. Le Bulletin épidémiologique des PMI, nous présente une incidence de maladies auto immunes de 0,0 71 % pour le vaccin Gsk et de 0,067 % pour Novartis (avec du squalène). Bien sûr rapporté à 10 millions de personnes ce chiffre demeure élevé. » 0,067 % de risques, cela fait quand même 6.700 personnes concernées par ce risque.
Mieux vaut, semble-t-il, des vaccins sans adjuvants. Problème : face à l’accélération de l’épidémie, l’urgence prime et impose son rythme. « Un vaccin sans adjuvant demande plus de quantité de vaccin inactivé. Avec la même dose, quatre fois moins de personnes peuvent être vaccinées. Or les quantités de production sont restreintes », explique le Dr Odile Launay. D’où les recommandations de l’OMS pour l’utilisation de vaccins avec adjuvants. « Si le pic épidémique arrive avant la livraison des vaccins sans adjuvants, nous devrons vacciner les femmes enceintes et les transplantés rénaux avec des vaccins comportant des adjuvants, sur recommandation du ministère de la Santé », prévient-elle. Une seule injection et une rapidité de production, le bénéfice paraît optimal tant pour les autorités sanitaires que les laboratoires.
Une ou deux doses ?
Outre l’absence de tests approfondis, un éléments clef fait défaut : quel est le nombre de doses nécessaires pour les vaccins sans adjuvants ? En France, les recommandations officielles sont de deux doses, mais rien n’est prouvé. « Après la première injection, nous observerons déjà la qualité de la réponse immunitaire. Une seule dose est peut-être satisfaisante, ce que recommandent d’ailleurs certains pays européens. Les femmes enceintes pourraient sur réagir à deux injections », précise le Dr Bernadette Murgue, de l’Institut de microbiologie et des maladies infectieuses (Inserm).
Pour l’ensemble de la population, les données sur les vaccins avec adjuvants demeurent limitées. Le 28 octobre, le Haut Conseil de la santé publique recommandait une seule injection : « La nécessité d’administration d’une deuxième dose de vaccin sera considérée en fonction des données complémentaires à venir concernant l’immunogénicité des vaccins, la durée de protection qu’ils confèrent ainsi que la durée de la pandémie. » L’option d’une seconde dose est envisagée hypothétiquement, « au vu des résultats complémentaires des essais cliniques en cours ». Mais le ministère de la Santé confirme le 6 novembre qu’il maintient « à ce stade un schéma vaccinal prudentiel à deux injections pour l’ensemble de la population ». En attendant que la controverse des experts sur la vaccination soit éclaircie, un avis de l’Agence Européenne des médicaments (EMEA), prévu début décembre, devrait permettre à Roselyne Bachelot de réévaluer sa position sur le nombre de doses le moment venu.
Quid des personnes à risque, en particulier atteintes du Sida ?
Les vaccins seront testés en conditions réelles. Les patients séropositifs présentant un risque ont déjà reçu un courrier daté du 6 novembre pour se faire vacciner avec des vaccins comprenant des adjuvants dans leur établissement hospitalier. Or les réponses immunitaires spécifiques des personnes à risques sont encore loin d’être parfaitement lisibles : « La réponse des anti-corps est le sommet de l’iceberg, nous cherchons d’autres marqueurs en terme de réponses immunitaires, les essais permettent d’explorer ces inconnues » précise le Dr. Jean Daniel Lelièvre, spécialiste en immunologie à l’hôpital de Créteil. Un essai sur 300 patients infectés par le VIH a démarré le 26 octobre dans des services hospitaliers afin de comparer les effets des vaccins avec et sans adjuvant. Une fois encore, les résultats n’arriveront pas avant 12 à 13 mois. Mais le laboratoire pharmaceutique GSK, qui pilote ces essais cliniques, peut se frotter les mains, il aura l’année prochaine des vaccins correctement testés..
L’immunogénicité - ce qui déclenche une réaction immunitaire, ou une allergie - des vaccins n’est donc pas connue. « Les vaccins avec adjuvants pourraient être potentiellement délétères pour les personnes infectées par le VIH », reconnaît le Dr Odile Launay. Cela signifie-t-il qu’ils pourraient être nocifs ? Pour le Dr Stéphanie Dominguez, praticienne hospitalière, spécialiste du VIH et des hépatites, « les protocoles d’essais vaccinaux ont été très rapidement mis en place. Il nous manque des informations importantes, des recherches approfondies, sur les susceptibilités génétiques, ou encore en immunologie. »
Il faudra donc attendre au moins un an, et une prochaine vague pandémique, pour disposer d’un vaccin sans adjuvants parfaitement testé. Un vaccin mixte sans adjuvant composé de la nouvelle souche H1N1 et combiné à d’anciennes souches est déjà en prévision. Les personnes fragiles ne pourront quant à elles attendre. « L’équation entre le bénéfice et le risque n’est pas la même pour les personnes fragiles. La vaccination la plus rapide, donc avec des vaccins avec adjuvants, est impérative », recommande le Dr. Jean Daniel Lelièvre. Seuls les résultats des essais cliniques donneront la mesure de la tolérance et de l’efficacité de ces vaccins avec ou sans adjuvants. Dès lors, une question se pose : est-il bon d’être dans la cohorte des populations prioritaires pour la vaccination ?
Nedjma Bouakra