C’est une victoire que les militants n’attendaient pas forcément. « Hier [le 10 février], une membre du collectif nous a envoyé une vidéo du béton qui coulait sur ce qui était sa parcelle, là où on cultivait encore il y a quelques mois. On était abattu de voir ça », raconte Camille* [1], un militant du collectif pour la préservation des jardins ouvriers d’Aubervilliers. Abattu, car la lutte pour empêcher la construction d’une piscine olympique et d’une gare de transport du Grand Paris devenait de plus en plus compliquée.
Après avoir occupé une partie des jardins des Vertus pendant quatre mois, les militants avaient été expulsés en septembre dernier et les parcelles rasées. En lieu et place se tient désormais une grande bétonnière que des activistes ont bloqué le temps d’une matinée début février. Une action parmi d’autres depuis l’expulsion de la JAD (jardins à défendre).
C’est du terrain judiciaire qu’est parvenue la bonne nouvelle. « À 18 heures, notre avocat nous a appelé pour nous dire qu’on avait gagné le recours contre le Plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi). On ne s’y attendait pas du tout », poursuit Camille. Dans une décision rendue ce jeudi soir, la cour administrative d’appel de Paris « enjoint au président de l’établissement public territorial Plaine Commune d’engager la procédure de modification du PLUi en ce qu’il classe en zone urbaine une partie de la frange ouest des jardins des Vertus […] dans un délai de quatre mois ».
Une commune en carence d’espaces verts
Pour bien comprendre ce que dit cette décision, que Basta! s’est procurée, il faut revenir sur le contexte. Le plan local d’urbanisme distingue deux types de zones. Les premières, les zones « UG », sont destinées à la piscine olympique avec son solarium, ainsi qu’à une gare de transport qui accueillera la future ligne 15 du métro. Le second, les zones « UM », doivent accueillir des immeubles, bureaux et commerces. Les deux zones empiètent sur les jardins. Or, selon les magistrats, le fait de classer ces milliers de mètres carrés de jardins comme « aménageables » avec des commerces bureaux ou infrastructures, présente « une incohérence avec le projet d’aménagement et de développement durable (PADD) ». Bref, ces parcelles n’auraient pas dû être destinées à la bétonisation. La décision sanctuarise donc les zones sur lesquelles aucun chantier n’a encore débuté [2].
Reste la question des zones« UG » sur lesquelles doivent s’ériger piscine olympique et gare. Selon la décision, les empiètements sur les jardins « ne doivent pas excéder les zones strictement nécessaires à l’implantation de la gare du Grand Paris Express et de la piscine olympique ». La décision pointe également du doigt la suppression d’un hectare d’espace vert « dans une commune de la région parmi les plus carencées en la matière » pour aménager la gare du Grand Paris Express, ce qui est également incompatible avec le schéma directeur de la région d’Île-de-France.
« Le béton coule toujours »
Cette notion de « strictement nécessaire » questionne les militants. « C’est forcément sujet à interprétation », confie Camille. « Le PLUi doit dans ce cadre être réexaminé par Plaine Commune et le public y sera associé. L’enjeu sera de statuer sur la nécessité des équipements pour éventuellement rectifier le PLUi en fonction », explique le collectif dans un communiqué. Leur avocat assure que cette décision devrait interrompre les travaux, le temps que le plan local d’urbanisme soit modifié. Une vision qui n’est pas partagée par le maire PS de Saint-Denis et président de l’intercommunalité, Mathieu Hanotin : « Il n’y a pas de conséquence immédiate sur la question des travaux, le permis de construire reste valable. Ça ne remet pas en cause le projet », a-t-il réagi auprès de nos confrères de l’AFP.
Ce 11 février, à l’aube, une poignée de militants se sont rendus sur les lieux pour notifier au chef du chantier cette décision judiciaire. Une militante a été emmenée au commissariat et placée en garde à vue pour organisation d’une manifestation non déclarée. Selon eux, les travaux n’ont pas été arrêtés : « Le béton coule toujours », assure l’un d’entre eux qui appelait à un rassemblement de soutien devant le commissariat.
La joie était cependant au rendez-vous. « C’est une victoire, une grande victoire. On pense forcément aussi aux autres luttes contre d’autres projets absurdes du même type. Cette décision est un message positif pour tous qui donne beaucoup d’espoir », souligne Camille. « Hier soir, on était tous hyper heureux de voir qu’on a gagné la procédure contre le PLUi. Après on ne s’arrête pas, tout n’est pas gagné, loin de là. Tout reste à prendre. » Comme l’écrit le collectif dans son communiqué, cette décision judiciaire pose un double enjeu : celui de la poursuite des travaux, et celui de la modification du PLUi qui doit avoir lieu à la suite d’une concertation publique. Les membres du collectif appellent donc à une mobilisation importante durant cette concertation, « pour dire que nous souhaitons sanctuariser de façon ferme et prescriptive les jardins et empêcher leur urbanisation ».
Pierre Jequier-Zalc
Photos Anne Paq