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La contre-offensive des OGM en Europe est lancée. Pas moins de 109 plantes transgéniques font l’objet d’une demande d’autorisation à l’importation auprès de la Commission européenne. Plus de la moitié de ces demandes concernent du maïs, comme le « BT11 » de Syngenta ou le « TC 1507 » de Pioneer. On trouve aussi du coton, du colza, du soja, des betteraves sucrières, des tournesols ainsi qu’une pomme de terre de BASF ou un riz, le « LL62 » de Bayer. Ces deux dernières cultures risquent d’être directement destinées à l’alimentation humaine. Autant de noms évocateurs de l’inquiétante mainmise des multinationales de biotechnologies sur l’agriculture qu’Hélène Gassie, de l’association écologiste Les amis de la terre, détaille ici :
Ces multiples demandes d’autorisation montrent que les multinationales de biotechnologies n’ont pas renoncé à s’ouvrir de force le marché européen. Plusieurs de ces demandes (les maïs OGM de Syngenta et de Pioneer) doivent être soumises au vote des ministres de l’Environnement des Etats membres le 25 juin prochain. Une majorité des deux tiers des voix est requise pour décrocher le précieux sésame, indispensable à la commercialisation d’un OGM au sein de l’Union européenne. Le rapport de force est pour l’instant favorable aux anti-OGM. La défiance des « opinions publiques » et la détermination des associations écologistes ont permis de limiter les cultures OGM à 0,2% de la surface agricole européenne.
Lobbying agressif
Du côté des Etats, l’Autriche, la Hongrie, la France, la Grèce et le Luxembourg ont décrété un moratoire suspendant la culture du seul OGM autorisé dans les champs européens, le MON 810 de la tristement célèbre firme Monsanto. Ils ont été rejoints en avril par l’Allemagne. « Si l’Allemagne commence à voter systématiquement contre les OGM, on peut espérer des issues positives », commente Hélène Gassie, des Amis de la terre. Ces six pays, avec le renfort des pays scandinaves traditionnellement hostiles aux cultures transgéniques, sont en mesure de bloquer toute nouvelle demande d’importation. Mais la pression est forte. « Au sein des instances européennes, seule l’action du commissaire à l’environnement Stavros Dimas freine l’industrie biotech. Il ne faut pas le laisser tout seul », s’inquiétait Hélène Gassie lors des états généraux de la biodiversité, organisés près de Toulouse mi-avril. Le commissaire européen grec a publiquement considéré en novembre dernier que les maïs OGM de Syngenta et de Pioneer constituaient, au vu de certaines études scientifiques, un « risque trop élevé pour l’environnement ».
Face à cette résistance, le lobbying industriel de Monsanto et consorts est qualifié de « très agressif » par les associations environnementales. Pioneer a ainsi intenté une action en justice contre la Commission européenne, au prétexte qu’elle n’étudierait pas assez vite les nouvelles demandes d’autorisation (le délai est de deux ans et demi en moyenne en Europe, de plus de trois ans en Amérique latine). Paradoxe : le maïs que souhaite commercialiser la firme japonaise est un OGM « pesticide », résistant à l’herbicide glufosinate. Celui-ci fait partie d’une liste d’une vingtaine d’herbicides qui seront progressivement supprimés du marché européen à cause de leurs graves effets toxiques. L’OGM de Pioneer n’a donc plus aucune raison d’être… Parallèlement, Monsanto ne lâche pas l’affaire. La multinationale états-unienne a renouvelé sa demande de mise en culture pour son MON 810, interdit dans six pays. L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) doit rendre son avis mi-juillet.
Les multinationales biotech veulent à tout prix déverrouiller le marché européen. Les considérables bénéfices qu’elles ont réalisés en 2008 ont aiguisé leur voracité. Monsanto a, par exemple, multiplié par deux ses profits, passant de 933 millions de dollars en 2007 à deux milliards en 2008. 40% de son chiffre d’affaires dépend de la vente de ses semences génétiquement modifiées. Les bénéfices de ses concurrents, venus du secteur de l’industrie chimique, pharmaceutique ou électronique pour investir l’agriculture, comme la multinationale Suisse Syngenta, l’Allemande BASF ou la japonaise Pioneer, suivent la même courbe, grâce à leurs nouvelles activités agroalimentaires. Mais la crise freine la progression de leurs bénéfices par action. Elles doivent donc, d’une manière ou d’une autre, produire et écouler leurs produits en Europe, un marché d’un demi milliard de personnes.
En réponse, les associations environnementales agissent sur plusieurs fronts. Une pétition européenne en ligne, « stop the crop », vise à maintenir la pression sur les Etats membres avant le vote du 25 juin. Elle est soutenue en France par une coalition d’associations de protection de l’environnement et de syndicats paysans.
Les militants anti-OGM continuent leurs actions de résistance. Si, pour l’instant, il n’y a plus de cultures commerciales d’OGM à faucher dans l’hexagone, leur attention se porte vers les importations. Venu principalement du Brésil ou des Etats-Unis, du soja et du maïs transgénique débarquent en France par les docks de Saint-Nazaire et de Sète. Ces OGM, destinés à l’alimentation animale, se retrouvent de fait dans les volailles, la viande ou les produits laitiers que nous consommons.Comment s’y opposer ? La question est complexe. Certaines associations ciblent la grande distribution pour la pousser à multiplier des filières « non OGM », un levier perçu comme essentiel pour limiter les débouchés des OGM et tarir les importations.
Vers un nouveau label « sans OGM » ?
Problème : le coût d’un produit certifié sans OGM est paradoxalement plus élevé qu’un produit OGM. Cela signifie mettre en place des filières totalement indépendantes. Dans les cas où coexistent cultures OGM et traditionnelles (ou même biologique), des « barrières polliniques » doivent séparer les champs pour éviter les contaminations. Le matériel agricole, de la moissonneuse aux silos, doit être spécifique à la filière sans OGM pour empêcher le mélange des semences. La mise en place de système de contrôle pour vérifier que les seuils de contamination ne sont pas dépassés représente encore un coût supplémentaire. Sans oublier les pertes financières liées à une contamination éventuelle et au déclassement de la récolte. Pour le soja, cela entraîne des augmentations de 6,5% et 14% du prix de la tonne produite afin de garantir un seuil de contamination d’OGM inférieur à 0,9%, comme le stipule la réglementation européenne.
Ces surcoûts se répercutent ensuite sur toute la filière. D’où l’importance d’un étiquetage « valorisant » ces produits auprès des consommateurs. Le Conseil national de la consommation vient d’ailleurs de se prononcer favorablement pour un étiquetage spécifique des viandes, oeufs et poissons, issus d’animaux nourris sans OGM. Cette question de l’étiquetage est cruciale. « Sans étiquetage, ces sociétés ne pourraient pas reporter ces coûts et abandonneraient leurs approvisionnements en maïs non GM (génétiquement modifié, ndlr). L’existence d’une demande en maïs non GM (et donc l’existence de cultures de maïs non GM) est donc conditionnée par la possibilité des éleveurs à valoriser leurs produits », pointe une étude « sur le maïs, le soja et le poulet Label Rouge » réalisée par le Centre d’étude et de recherche en gestion (Université de Pau et des Pays de l’Adour). « Les productions ayant un cahier des charges strict sur les OGM, comme le maïs bio, sont amenées à disparaître en cas de généralisation des cultures de maïs OGM ; celles qui acceptent un seuil de présence fortuite jusqu’à 0,9% pourraient survivre, mais avec de nouvelles et coûteuses contraintes », commente Greenpeace.
Une « Association pour la suppression des OGM dans l’alimentation », qui regroupe des militants des Amis de la terre, de France nature environnement (FNE) ou du Réseau semences paysannes, a récemment été créée pour mettre en œuvre un nouveau label. Son cahier des charges prévoit de garantir une présence éventuelle d’OGM inférieure à 0,5% et l’absence d’aliments issus de la mutagenèse (ceux-ci ne sont pas pris en compte par l’actuelle réglementation européenne).
OGM, suicides et pénurie alimentaire
En achetant ces produits ainsi labellisés, le consommateur participerait ainsi à « évacuer le problème des OGM », pas seulement en France ou en Europe mais aussi dans le monde. Les filières sans OGM qui tentent tant bien que mal de survivre, au Brésil ou ailleurs, trouveraient ainsi un débouché. Ce seuil de 0,5% fait débat. Pour certains, cela revient à garantir sans OGM un produit qui en réalité peut en contenir une petite dose. Pour d’autres, c’est un compromis nécessaire : « 0,5%, c’est le seuil le plus bas possible pour éviter trop de surcoût », estime le biologiste Frédéric Jacquemart, membre de FNE. Plus le seuil est bas, plus les analyses doivent être précises, et donc onéreuses.
Parallèlement à cette stratégie, d’autres privilégient les alternatives à l’agrobusiness. Des producteurs mettent en oeuvre des alternatives au soja dans l’alimentation animale.D’autres, comme le Réseau semences paysannes, développent les échanges et la préservation des semences traditionnelles pour éviter qu’elles ne succombent aux cultures de synthèse.
Ces alternatives sont complémentaires et surtout vitales. En Afrique du Sud, 90.000 ha de maïs OGM, censés, selon Monsanto, améliorer les rendements, ont été victimes d’un bug et n’ont rien produits en 2009 (les OGM, une solution pour nourrir le monde, disent-ils).
En Inde, des milliers de paysans se suicident chaque mois : 16.600 en 2007, plus de 180.000 depuis 1997 ! L’une des raisons de cette tragédie : « L’ouverture aux semences transgéniques de coton Bt provenant des États-Unis, qui s’est avérée catastrophique pour les cultivateurs indiens : augmentation des coûts de production, utilisation intensive de pesticides, obligation de racheter chaque année de nouvelles semences », écrit Valérie Fernando, du Centre pour l’éducation et la documentation de Bombay. C’est cela le monde selon Monsanto, Bayer, Syngenta, Pioneer et compagnie.
Texte : Ivan du Roy
Vidéo : Elise Picon