En France, à peine 5% de la surface agricole sont cultivés selon le cahier des charges de l’agriculture biologique, qui proscrit notamment l’usage de pesticides. L’objectif, fixé en 2009, d’atteindre 6% de surface en bio en 2012 n’a donc pas été respecté. Quant à celui de parvenir à 20% des terres agricoles en bio d’ici quatre ans, il est désormais quasi inatteignable et marquera un échec supplémentaire du gouvernement.
Cette moyenne nationale cache pourtant d’importantes disparités entre régions. Seule une « ancienne » région [1] est en passe d’atteindre l’objectif des 20% : la région PACA, avec plus de 15% de surfaces agricoles en bio (cliquez sur les régions concernées de notre carte). Elle est suivie par le Languedoc-Roussillon (11,3% en bio) et Rhône-Alpes (7%) [2] Cinq autres régions ont quasiment atteint l’objectif de 6%. En queue de peloton, le nord du pays (Nord-Pas de Calais, Haute-Normandie et Picardie), avec à peine 1% des cultures vierges de tout pesticide. C’est la région Rhône-Alpes qui compte le plus grand nombre de paysans bio, avec 3000 exploitants. Quinze fois plus que l’Île-de-France, avec seulement 207 agriculteurs en bio. Pourquoi l’agriculture sans pesticides et engrais chimiques se développe-t-elle au sud du pays et pas au nord ?
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« La taille moyenne des fermes en Paca est plus petite que la moyenne nationale, explique Anne-Laure Dossin, de Bio de Provence-Alpes-Côte d’Azur, association qui représente les agriculteurs bio. C’est moins compliqué et moins risqué de convertir de petites surfaces. Nous avons aussi une tradition de vente directe via les marchés, et donc plus de contacts avec les consommateurs qui sont demandeurs de produits bio. » Le climat, enfin, est plus propice : il y a moins de maladies du type mildiou ou oïdium.
Difficultés d’accès au foncier
Dans le Nord de la France, l’agriculture bio peine à se faire une place face à l’agriculture intensive solidement installée. Les industriels y ont trouvé des terres d’excellente qualité et un relief peu accidenté favorisant l’aménagement des immenses champs qu’elle affectionne. La proximité de Paris et de Lille, facilitant la commercialisation, a aussi joué en faveur du développement de l’agriculture intensive. « Ces différents atouts pourraient aussi jouer en faveur de l’agriculture bio, estime Jean-Baptiste Pertriaux, de Bio-Picardie. Mais un autre facteur est à prendre en compte : la difficulté d’accès au foncier pour les jeunes agriculteurs qui veulent s’installer en bio. » Dans le Nord, après cinq ans de recherche, 80% des porteurs de projets en recherche de terres n’y ont toujours pas accès (Lire l’article de la Revue dessinée sur le sujet) ! Pourtant, les exécutifs régionaux ont mis en place des incitations à l’installation en bio, mais il n’y a pas suffisamment de terres...
« Quand la bio se développe, c’est aussi grâce aux acteurs économiques locaux, indique Frédéric Mony, du groupement d’agriculteurs bio de Lorraine, où la bio s’étend sur seulement 3,4% du territoire. En Moselle par exemple, des laitiers ont incité les agriculteurs à se convertir, parce qu’ils avaient une demande, en proposant des aides financières. » Une grande partie du territoire lorrain est occupé par les cultures de céréales. « En bio, il y avait trop de baisse de rendement par rapport aux primes que cela rapportait », estime Frédéric Mony. « Mais cette année, la ré-évaluation des primes européennes pour les bios a favorisé les conversions. En 2015, on a augmenté la surface agricole bio du département de 20% ! Les aides publiques jouent bien sûr un rôle fondamentale dans l’orientation politique de l’agriculture. »
Certaines régions choisissent de limiter les aides
Depuis 2010, les régions gèrent directement une partie des aides de la politique agricole commune (PAC) dédiées au « développement rural ». « Ces aides, qui visent à compenser les surcoûts et manques à gagner liés aux pratiques biologiques, se déclinent en deux volets, explique Clara Gasser, de la Fédération nationale de l’agriculture biologique (Fnab) : aide à la conversion et aide au maintien. Elles sont accordées pour une durée de cinq ans. » Pour pouvoir répondre aux besoins du plus grand nombre d’agriculteurs, certaines régions ont choisi de plafonner ces aides.
Ailleurs, pour le versement des aides au maintien, on priorise certains secteurs. En région Paca par exemple, les aides au maintien sont destinées aux agriculteurs bio proches des captages d’eau potable, sur une nappe phréatique par exemple, afin de limiter leur contamination par des pesticides. « En Aquitaine, elles sont prioritairement versées aux agriculteurs 100% bio ou encore fléchées prioritairement pour les maraîchers ou producteurs de légumes de plain champ en Basse-Normandie », décrit Clara Gasser. Seules huit anciennes régions – l’Alsace, la Bretagne, la Haute-Normandie, l’Île-de-France, le Limousin, le Nord-Pas-de-Calais, la Picardie et le Rhône-Alpes – accordent les aides à la conversion et au maintien, sans plafond ni préférence géographique.
L’agriculture polluante soutenue ad vitam æternam, pas la bio
Autre entrave au soutien financier du bio : la limitation à cinq ans du versement des aides au maintien dans plusieurs régions. « On s’est entendu dire que la région ne voulait pas d’une agriculture bio subventionnée ad vitam æternam », sourit Frédéric Mony, du groupement des agriculteurs bios de Lorraine. Alors que l’agriculture intensive et polluante est sous perfusion depuis des décennies ! « Nous devons organiser nos filières de façon à ce que la rémunération vienne de la commercialisation, et non des aides publiques... » Sur les montants globaux d’aides versées au secteur agricole, les aides à la bio ne représentent pas grand chose.
« En Paca, les aides à la bio représentent moins de 4% du programme de développement rural régional, qui encadre la gestion des aides publiques européennes, alors que l’agriculture biologique occupe plus de 15% des surfaces agricoles de la Région ! », illustre Anne-Laure Dossin. En région Picardie, 3,5 millions d’euros ont été versés à l’agriculture conventionnelle, contre 400 000 euros pour les bios, selon Bio-Picardie. Pour les associations de producteurs bio, les régions pourraient être plus offensives dans la défense de cette alternative. D’autant que d’autres aides, les « mesures agro-environnementales et climatiques », sont accordées à des agriculteurs qui décident, par exemple, de baisser de manière importante leur utilisation de pesticides.
Les régions aident-elles suffisamment l’agriculture bio ?
« Ce type d’aides paie aussi bien que les aides bios alors qu’elles sont beaucoup moins contraignantes et n’interdisent pas le recours aux pesticides », nuance Frédéric Mony, en Lorraine. Les conseils régionaux peuvent aussi débloquer ces aides spécifiques pour soutenir la conversion bio, comme l’a fait la région Ile-de-France. Autre procédé : la majoration des aides à l’installation à l’instar des Pays-de-la-Loire. Les jeunes agriculteurs peuvent y bénéficier d’un bonification de 60 % s’ils ont des projets 100 % bio (ateliers végétaux et animaux), soit 6 000 € (la base de la dotation jeune agriculteur (DJA) étant de de 10 000 €). Il existe enfin, dans la plupart des régions, des bonifications pour les bios qui souhaitent faire des investissements matériels.
« Ce sont des choix politiques, estime Frédéric Mony. Les fonds PAC gérés par la région sont dotés par l’État, à hauteur de 25%, et par l’Europe à hauteur de 75%. Mais rien n’empêche les conseils régionaux de ponctionner leurs fonds propres pour les renforcer. » Pour le moment, aucune région française n’a fait ce choix. Les seuls fonds propres versés directement aux agriculteurs bios sont les aides au financement de leur certification. C’est-à-dire le paiement annuel de l’organisme privé – Ecocert, Veritas, qualité France... – qui viendra contrôler que le cahier des charges de l’agriculture biologique est bien respecté.
On trouve aussi des financements « d’appuis techniques » : des techniciens spécialisés en élevage, en grandes cultures ou en maraîchage, se déplacent sur les fermes où ils aident les agriculteurs à comprendre l’invasion de prédateurs ou l’arrivée de maladies. « L’agriculture bio, c’est très technique, explique un éleveur en vaches à lait récemment converti. Il faut bien connaître son écosystème, passer du temps à observer les animaux, apprendre à tenir compte des équilibres naturels. C’est important d’être accompagné par des professionnels qui maîtrisent tout cela. » Certaines régions proposent enfin des soutiens spécifiques pour les petits projets. L’Auvergne offre ainsi un forfait de 1500 euros par an pendant trois ans aux exploitations de moins de trois hectares et aux agriculteurs qui choisissent de faire de l’apiculture, de la pisciculture ou de la cueillette sauvage.
Une agriculture créatrice d’emplois mais peu soutenue
Les élus en manque d’idées pour se rapprocher de l’objectif de 20% en bio peuvent parcourir les plaidoyers rédigés par certains groupements régionaux d’agriculteurs à l’occasion des toutes récentes élections. Dans le Nord-pas-de-Calais, il invite à « construire des ponts entre agriculteurs bio et conventionnels à travers des groupes d’échange technique ». Il suggère par ailleurs que le conseil régional, compétent en matière de politique de gestion et protection de l’eau, coordonne les actions de développement de l’agriculture biologique dans les champs situés sur les aires de captage [3].
Mais il est peu probable que le tout nouveau président de la région, Xavier Bertrand (les Républicains), retienne ces propositions. Dans la section agriculture de son projet, on ne trouve pas un mot sur la bio, mais des réclamations à propos du « poids des normes », des plaintes à propos de l’interdiction de certains produits chimiques et une conclusion dans laquelle il regrette que l’agriculture soit « trop souvent sacrifiée par les régions actuelles sur l’autel de l’idéologie verte ». Les rédacteurs du plaidoyer de la région PACA ont, semble-t-il, un peu plus de chances d’êtres entendus. Christian Estrosi, le nouveau président de la région, évoque l’encouragement du bio dans ses propositions pour l’agriculture.
Dans les Pays-de-la-Loire, les défenseurs de la bio proposent de conditionner les aides agricoles à la création d’emplois, sachant que l’on compte en moyenne 2,4 emplois sur une ferme bio, contre 1,5 sur une ferme conventionnelle [4]. Le tout nouveau président de la région Bruno Rétailleau (Les Républicains) fait pourtant fi des potentielles créations d’emplois. Dans ses propositions, pas un mot sur la bio, qui concerne pourtant 2000 agriculteurs dans la région et plus de 100 000 hectares de terres ! « Les aides à la conversion et au maintien en agriculture biologique sont gravement menacées », alertent le 25 février les acteurs du secteur [5], s’inquiétant que le budget prévu pour accompagner les conversions en bio sur la période 2015-2020 soit déjà épuisé dans la région Centre et en Languedoc-Roussillon - Midi-Pyrénées. L’objectif français des 20% de surfaces agricoles en bio en 2020 demeure décidément un lointain mirage.
Nolwenn Weiler
Infographie : Germain Lefebvre, avec Ivan du Roy