Et si on construisait des logements sociaux dédiés aux paysans ?

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La pénurie de logements en milieu rural accentue les difficultés d’installation des agriculteurices et entame la durabilité des fermes. L’habitat social pourrait être une solution. Reportage à Notre-Dame-des-Landes.

par Nolwenn Weiler

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Le mois de mars commence tout juste à Notre-Dame-des-Landes, les hirondelles arrivent déjà de leur migration hivernale. À l’extrême est de l’ancienne Zad de Loire-Atlantique, Anne-Claire et Gibier sont occupées à planter des petits pois. Leur exploitation maraîchère, installée depuis 2016 à proximité du lieu collectif de la Noé verte, fait partie de la quinzaine de fermes qui ont vu le jour dans le sillage de la lutte contre l’aéroport.

« La question des terres a été peu à peu réglée depuis 2018, expliquent-iels. Des conventions d’occupation précaire ont été signées avec le conseil général [propriétaire des terres, ndlr], et se sont ensuite transformées en baux ruraux environnementaux. » Les baux ruraux environnementaux permettent aux agriculteurs de payer des loyers modestes en échanges de pratiques agricoles qui préservent l’eau et la terre. Sur l’ancienne Zad, tout le monde est installé en agriculture biologique. Et plus de 500 hectares sont aujourd’hui protégés via ces baux. Les bâtiments agricoles, historiques ou construits au fil de la lutte devraient bientôt être intégrés aux baux ruraux. Reste donc la question du logement, cruciale pour stabiliser les installations, et sur laquelle se penchent cinq des fermes de l’ancienne Zad.

Sans logement, des installations difficiles

« Je suis arrivé en 2014 dans le contexte de la lutte contre l’aéroport », explique Greg, qui a peu à peu constitué un troupeau de vaches allaitantes « nantaises », une race locale, à Bellevue, haut lieu de la lutte contre l’aéroport. « Ces dernières années, le gros de mon engagement, ça a été de recréer une ferme fonctionnelle. Mais je suis à peu près sûr que sans logement, personne ne va jamais la reprendre. » Pour le moment, il vit dans une petite maison de terre qu’il a agrandie avec un mobil-home.

Sa collègue Amalia partage cette inquiétude à propos de la transmissibilité de sa ferme qui abrite des ovins allaitants et des ruches. « Je me suis installée peu après les expulsions de 2018 et suis aujourd’hui associée avec mon conjoint. Nous vivons dans un habitat léger, à proximité de la ferme. Cela fonctionne tant que nos enfants sont petits, mais quand ils vont grandir ce sera plus compliqué… Et rien ne dit que des repreneurses seraient d’accord pour vivre ainsi. » Corentin, qui vit dans un vaste camion qu’il a aménagé en studio, se pose les mêmes questions. Arrivé en 2015 sur la zone, il a des ovins et de grandes cultures, dont du sarrasin transformé sur place en galettes.

Anne-Claire et Gibier habitent de leur côté dans un logement social situé à plusieurs kilomètres de leurs cultures. Les deux évoquent les difficultés d’organisation que cette distance leur impose, en particulier quand la saison estivale bat son plein. Les incertitudes météorologiques dues au changement climatique augmentent largement ces difficultés, car il faut parfois arroser la nuit ou venir précipitamment protéger les cultures de la grêle.

Anne-Claire et Gibier souriant devant leur poulailler.
Anne-Claire et Gibier devant leur poulailler mobile. Iels sont aussi maraîcheres et installées à la Noé verte, à l’extrême est de l’ancienne Zad.
©Nolwenn Weiler

Bref, habiter sur place, ou pas trop loin apparaît nécessaire… mais compliqué, voire impossible. « À l’échelle de nos petites fermes, la capacité à investir dans des logements est très faible », expliquent Anne-Claire et Gibier. « La moindre baraque dans le coin coûte plus de 400 000 euros. On n’a pas de quoi se payer ça », appuie Amalia. « Il faut sortir l’habitat paysan du marché sinon nos fermes seront intransmissibles », estime Corentin. La situation est particulièrement tendue dans les territoires qui se situent près des grandes villes, comme Notre-Dame-des-Landes, proche de Nantes, qui ont pourtant un besoin crucial de paysannes pour les nourrir…

Mobilisation paysanne pour le logement

Fidèles à leurs habitudes collectives, les paysannes de l’ancienne Zad ont décidé de se mobiliser ensemble pour défendre la construction de logements sociaux. Les communes, le conseil général et le bailleur social départemental – Habitat 44 – se sont peu à peu associés à leur réflexion. « Si on regarde les fiches d’impôts des paysans, on voit qu’ils sont nombreux à avoir droit à des logements sociaux, remarque Kathleen Boquet, de l’association Renouveau paysan, qui s’intéresse à la pénurie d’habitats agricoles. Pourtant, les bailleurs sociaux s’investissent rarement en zones rurales. Et quasiment jamais pour des paysannes »

Ce problème du logement paysan est soulevé depuis dix ans par les associations de terrain comme Relier, le réseau Civam ou Terre de liens. Il inquiète désormais la Cour des comptes et le Conseil économique, social et environnemental (Cese), dans un contexte d’urgence absolue de renouvellement des générations agricoles : d’ici dix ans, 43 % des agriculteurices partiront à la retraite.

Question négligée

La question de l’habitat reste pourtant un angle mort des projets d’installation agricole. « C’est déjà tellement compliqué de trouver du foncier abordable, disponible, au bon endroit et au bon moment que ce point du logement est souvent minimisé par les candidates à l’installation », remarque Alessandra Miglio, qui commence une thèse financée par l’Ademe sur les enjeux actuels du logement agricole.

Un homme debout en t-shirt devant un enclos de moutons.
Corentin élève des moutons et cultive des céréales, dont du sarrasin transformé sur place pour faire des galettes.
©Nolwenn Weiler

À cette question du foncier, s’ajoutent les efforts à fournir pour trouver les investissements nécessaires au lancement de l’activité. « Les gens se disent “on verra plus tard, on va s’arranger entre temps, vivre en caravane sur place”, par exemple », constate la chercheuse. « La difficulté à se loger est un frein à l’installation qui est peu conscientisé, précise Kathleen Boquet. Cela peut pourtant entraîner une fragilisation des projets sur le long terme, avec des risques de burn-out. » L’absence de solutions de logement accélère finalement le rythme de disparition des fermes, déjà très inquiétant : environ 200 fermes sont gommées du paysage rural français chaque semaine.

« Quand une ferme est candidate à la transmission, on a souvent une dissociation entre les terres et la maison d’habitation, décrit Alessandra Miglio. Ce n’est pas toujours facile pour les cédantes de quitter un domicile où iels ont passé toute leur vie, et les conditions de retraite très précaires des agriculteurices rendent leur relogement hors de la ferme particulièrement compliqué. » Il peut être tentant, voire simplement nécessaire, de vendre sa maison à des non-agriculteurices, au prix du marché immobilier périurbain ou de la résidence secondaire.

Avantages de l’habitat social

Celles et ceux qui reprennent la ferme se retrouvent alors sans solution de logement sur place. Iels peuvent avoir un projet de nouvelle construction sur une partie des terres agricoles, mais c’est de plus en plus compliqué d’obtenir des autorisations, car les mairies se battent contre la dispersion de l’habitat rural et contre l’artificialisation du sol agricole… « Les impératifs de sobriété foncière peuvent ainsi entrer en contradiction avec les besoins de logement des agriculteurices et, par conséquent, avec la nécessité de maintenir le nombre de fermes sur nos territoires », analyse Alessandra Miglio.

Restent alors les habitats légers. Souvent précaires, et parfois trop petits, ces habitats ne sont pas toujours bien vus, quand ils ne sont pas carrément combattus par les voisines et communes. « C’est une possibilité qu’il faut défendre, commente Kathleen Boquet. Nous travaillons d’ailleurs sur l’acceptation de ces habitats légers. Mais cela ne peut pas être la seule solution. On sait que pour des vies de famille par exemple, les tiny houses sont trop exiguës. Elles ne permettent pas non plus d’héberger les gens de passages, proches ou venant travailler sur les fermes. L’enjeu, vital, de résilience alimentaire des territoires ne peut pas reposer sur des héros et héroïnes qui accepteraient de vivre dans des habitats inconfortables ou indécents. »

Pour Amalia, les logements sociaux offrent plusieurs avantages : « Les loyers correspondent à nos revenus, on pourrait les assumer. Et les transmissions seraient plus faciles : les repreneurses n’auraient pas besoin de débourser 100 000 euros juste pour la maison. » Sur l’ancienne Zad de Notre-Dame-des-Landes, la construction de nouveaux logements à destination des paysannes permettrait de conserver les anciennes maisons comme lieux d’organisation et d’activités collectives.

Un homme souriant en t-shirt debout dehors devant du foin.
Greg est arrivé sur la Zad en 2014. Il s’occupe désormais d’un troupeau d’une cinquantaine de vaches, sur des terres qui s’étendent sur 50 hectares.
©Nolwenn Weiler

« On a besoin de conserver ces lieux pour accueillir les personnes capables de nous remplacer ou les saisonnieres », décrit Corentin. C’est aussi dans ces lieux collectifs que se montent des structures telles qu’Abrakadabois, au sein de laquelle travaillent notamment des charpentierères, aux connaissances précieuses pour les agriculteurices. Même chose pour les forgeronnes, par exemple. « Je suis content d’avoir ces personnes à proximité, et ne pas être obligé d’aller dans une zone artisanale à 20 kilomètres quand j’ai des travaux à faire sur la ferme », explique Corentin.

« Les bailleurs sociaux sont mieux placés que les acteurs agricoles pour réhabiliter des fermes et les louer, intervient Kathleen Boquet. Ils ont des compétences sur ces sujets et des capacités financières, avec des accès aux crédits facilités. Cela permet en plus d’avoir un tiers neutre entre les communes et les agriculteurices. » Pour passer du rêve à la réalité, il faut rebattre une partie des cartes du logement social, très encadré.

Logement de fonction ou contrat d’occupation

Le premier projet de Renouveau paysan, dans le Pays basque, s’était ainsi heurté au principe du « droit au maintien », qui protège les locataires des expulsions dans les logements sociaux. Ce droit peut entrer en contradiction avec le fait que, dans le cas d’un logement social paysan, l’exploitante puisse être obligée de quitter son habitat social si iel décide d’arrêter son activité agricole. Divers montages juridiques ont donc été imaginés pour abriter les paysannes dans des logements sociaux sans détricoter le droit au maintien, si important par ailleurs. Un nouveau projet de logements sociaux paysans pourrait voir le jour prochainement en Gironde.

Impulsés par Kathleen Boquet et sa collègue Linda Rieu ces travaux de réflexion incluent des collectivités, chercheureuses et bailleurs sociaux. Pour le moment, un « contrat d’occupation » accolé au bail semble la piste la plus prometteuse. Mais les réflexions se poursuivent. Ailleurs en France, d’autres initiatives ont vu le jour : sur le territoire de Nantes métropole, la Ferme du bois olive a été sauvée par un savant montage associant la collectivité, Terre de liens, Passeurs de terres et l’association « une Famille Un Toit 44 ». À Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes), qui salarie des agriculteurs, on parle de logements de fonction.

Et sur le plateau de Saclay (Essonne), l’association Terres et cités évoque un quota de logements sociaux réservés aux travailleurs et travailleuses de la terre, paysannes ou saisonnieres. « Ce qui est décisif, essentiel dans ces formes d’habitat agricole émergentes, souligne Alessandra Miglio, c’est que les agriculteurices ne se retrouvent plus en concurrence avec les urbaines ou les vacancieres pour l’accès au logement, comme c’est le cas actuellement dans le marché immobilier. »

Boîte noire

Les photos ont été réalisées en mars 2025 sur l’ancienne Zad de Notre-Dame-des-Landes.